« A l’aube de notre histoire » : la désinformation selon Netflix

Robin Uzan
Robin Uzan
17 Min Read

Fin 2022, Netflix a diffusé sur sa plateforme une série documentaire intitulée A l’aube de notre histoire. Un programme qui aurait pu être intéressant, mais qui s’est avéré une imposture pseudoscientifique, où l’histoire et l’archéologie sont allègrement piétinées. 

Synopsis : Le journaliste Graham Hancock parcourt le monde et nous expose ses hypothèses sur une civilisation disparue. Celle-ci serait à l’origine de nombreuses constructions anciennes de par le monde.

Au programme :

De la désinformation

De révisionnisme historique et archéologique

Du racisme dissimulé

Du conspirationnisme

Aujourd’hui, plongeons au cœur de la gigantesque manipulation historico-archéologique entreprise par le programme A l’Aube de notre histoire (le tout avec la bénédiction de Netflix).

A l’aube de notre histoire : une désinformation archéologique manifeste 

Au premier abord, A l’aube de notre histoire est une série qui peut paraître alléchante. Celle-ci est présentée par le journalisme Graham Hancock et se déroule sur huit épisodes. A cette occasion, le présentateur nous parle d’une ancienne civilisation disparue, qui aurait prodigué son savoir de par le monde… A l’aube de notre histoire construit ainsi chacun de ses épisodes de la sorte :

  1. Graham Hancock se rend sur un site archéologique quelque part dans le monde
  2. Il explique que les archéologues n’ont dit que des choses fausses sur le site en question
  3. Hancock expose ses hypothèses, sans jamais apporter de preuves

Le présentateur prend un malin plaisir à ignorer les connaissances établies sur les sujets qu’il aborde. Pire, il passe la totalité des huit épisodes à dénigrer le travail des scientifiques… Ainsi, tous les travaux sérieux sur les sujets abordés par la série sont soit éludés, soit dénigrés. Le tout sans nuances et sans démonstration de leur inexactitude. Hancock se contente de marteler ad nauseam son discours anti-sciences et anti-intellectuels. Une démarche manifestement révisionniste qui rejette les connaissances établies, au profit de spéculations.

« A l’aube de notre histoire » : la désinformation selon Netflix
Graham Hancock – A l’aube de notre histoire – Netflix

Un discours conspirationniste 

Qu’on soit bien clairs : le mot « conspirationniste » n’est pas une insulte. Le conspirationnisme est un phénomène historique et sociologique bien défini, dont on peut discerner les contours. Si l’on prend la définition la plus rudimentaire, à savoir celle du Larousse, on nous dit ceci :

Conspirationniste : 

Se dit de quelqu’un qui se persuade et veut persuader autrui que les détenteurs du pouvoir (politique ou autre) pratiquent la conspiration du silence pour cacher des vérités ou contrôler les consciences.

Si l’on regarde attentivement cette série « documentaire », on peut constater que de nombreux arguments conspirationnistes reviennent de façon régulière :

  • Des détails (souvent insignifiants) sont utilisés comme « preuves »
  • Les autorités compétentes (ici les archéologues) sont présentées comme stupides ou corrompues
  • Les propos sont basés sur des spéculations et sur l’imaginaire, ce qui les rend « irréfutables » (or, une théorie scientifique doit être réfutable)

Durant la totalité de ses huit épisodes, A l’Aube de notre histoire s’inscrit parfaitement dans la rhétorique complotiste. Graham Hancock ne cesse de marteler que les autorités scientifiques sont soit incompétentes, soit corrompues. Il se présente même comme « l’ennemi n°1 des archéologues », car son discours dérangerait les scientifiques, qui refusent sciemment de dévoiler la « vérité ».

Graham Hancock se présente comme celui qui rétablit cette vérité, face à un système corrompu qui essaye de le censurer (il est tellement censuré qu’il vend des millions de livres et obtient des financements de Netflix). Le présentateur n’a d’ailleurs pas hésité à balancer la phrase la plus stéréotypée du conspirationnisme dans l’épisode 7 de la série :

« Ne vous fiez pas aux experts. Faites vos propres recherches. »

Des propos incohérents, jamais précis, jamais prouvés…  

Le documentaire ne se contente pas de contredire les experts de l’archéologie… Il arrive à se contredire lui-même. L’exemple le plus frappant est dans l’épisode 5, où le présentateur nous parle du site préhistorique de Göbekli Tepe.

Il est expliqué que la plus grande chambre de Göbekli Tepe serait aussi la chambre la plus ancienne. Graham Hancock en déduit que, si la chambre la plus ancienne est aussi élaborée, alors cela implique qu’il n’y a pas eu de « coup d’essai ». Par extension, s’il n’y a pas eu de « coup d’essai », c’est forcément que les autochtones ont été aidés dans la construction… Sauf que, dans le même épisode, il est précisé qu’une vingtaine d’autres enceintes ont été découvertes, mais pas encore datées. Vous voyez venir le problème ? S’il existe autant de chambres non datées, alors il est tout à faire possible que certaines soient antérieures à la plus grande. Cela en dit sacrément long sur le sérieux des explications fournies par Graham Hancock… Et ce n’est là qu’un exemple isolé parmi huit épisodes.

De surcroît, jamais l’auteur ne s’aventure à être précis. Qui était cette civilisation dont il parle ? D’où vient-elle ? Quelle était sa culture ? Quelles sont les preuves tangibles de son existence ? Aucune indication n’est donnée, car ce serait prêter le flanc à encore plus de critiques. La prétendue civilisation dont il parle n’est au final qu’un fantasme servant d’élément de récit.

C’est d’ailleurs une constante de ce « documentaire »… Graham Hancock n’apporte JAMAIS la moindre preuve des propos qu’il tient. Les seuls éléments fournis durant la totalité du programme sont des spéculations et un dénigrement du travail des scientifiques. Le tout, évidemment, sans qu’il ne donne d’éléments pour étayer ses propos. Tout se base sur des ressentis, des spéculations, un discours anti-sciences…

A l’aube de notre histoire : qu’en disent les archéologues (les vrais) ? 

Mais justement, qu’en disent les historiens et archéologues qualifiés ? Eh bien, c’est simple, la Society for American Archeology n’a pas tardé à réagir avec un communiqué à l’attention de Netflix. Ce collectif s’est ainsi exprimé dans des termes non-équivoques :

« La série dénigre les archéologues et leur profession sur la base d’affirmations fausses et de désinformation. (…) Nous avons trois problèmes principaux avec « Ancient Apocalypse » :

1 – L’hôte de la série rabaisse violemment les archéologues et la pratique de l’archéologie, avec une rhétorique agressive, cherchant délibérément à nuire à nos membres et à notre profession aux yeux du public.

2 – Netflix présente le programme comme une « docu-série », un genre qui implique que son contenu est fondé sur des faits, alors que l’émission est basée sur de fausses affirmations sur les archéologues et l’archéologie.

3 – La « théorie » présentée est depuis longtemps associée aux idéologies racistes et suprématistes blanches, elle traite injustement les peuples autochtones ; et encourage les extrémistes. »

Society for American Archaeology 2019 | UAPress

Avec une telle réaction de la part de la communauté scientifique, il serait sage de la part de Netflix de prendre ses responsabilités. Bien évidemment, la censure n’est pas une solution. Toutefois, il paraitrait pertinent de mettre ce programme dans la catégorie « fiction » et de mettre un panneau explicatif au début de chaque épisode, afin de rappeler la nature pseudoscientifique des hypothèses exposées.

Le racisme en arrière-plan 

Il faut être clair, A l’aube de notre histoire est un programme qui n’est pas explicitement raciste. Il faut dire que Netflix, qui tente des allures progressistes, n’aurait probablement pas financé un « documentaire » raciste. Toutefois, ce programme s’inscrit dans la lignée de beaucoup d’autres, dont le message sous-jacent est le suivant : les peuples anciens de par le monde n’étaient pas capables de construire de pareilles merveilles… Ils ont forcément été aidés par une « intelligence supérieure ».

En gros, ces peuples étaient trop primitifs pour construire quoi que ce soit de grandiose et ont forcément été aidés par une civilisation (de préférence blanche). Un discours qui est déjà vivement dénoncé par les historiens et archéologues depuis des années.

« [Les affirmations d’Hancock] renforcent les idées suprématistes blanches, dépouillant les peuples indigènes de leur riche héritage et attribuant plutôt le mérite aux extraterrestres ou aux Blancs. »

Flint Dibble – Archéologue

La Society for American Archeology est d’ailleurs intervenue une fois encore pour développer l’histoire raciste derrière ce genre de programme :

« Les affirmations d’Hancock s’inscrivent dans un passé faisant la promotion d’une pensée raciste dangereuse. Son affirmation selon laquelle une civilisation mondiale avancée aurait existé pendant la période glaciaire et aurait été détruite par des comètes n’est pas nouvelle. Cette théorie a été présentée, débattue et réfutée depuis au moins 140 ans. Elle remonte à la publication de Atlantis : The Antediluvian World (1882) et Ragnarok : The Age of Ice and Gravel (1883) par Ignatius Donnelly, membre du Congrès du Minnesota. Cette théorie vole aux peuples indigènes le crédit de leurs réalisations et renforce la suprématie blanche. De Donnelly à Hancock, les partisans de cette théorie ont suggéré que les survivants blancs de cette civilisation avancée étaient responsables de l’héritage culturel des peuples indigènes des Amériques et du monde entier. Cependant, il a été démontré que les récits sur lesquels se fondent les revendications des « sauveurs blancs » ont été modifiés par les conquistadors espagnols et les autorités coloniales pour leur propre bénéfice. Ils ont ensuite été utilisés pour promouvoir une violente suprématie blanche. Le récit de Hancock enhardit les voix extrêmes qui dénaturent les connaissances archéologiques afin de diffuser de faux récits historiques ouvertement misogynes, chauvins, racistes et antisémites. »

Bien évidemment, cela ne veut pas forcément dire que le documentaire soit volontairement suprémaciste et que les personnes l’ayant regardé (ou aimé) soient racistes par essence. Mais on ne peut passer sous silence cette longue tradition de révisionnisme historique, au profit de ce genre d’idéologie.

A l’aube de notre histoire : la tradition du « documenteur » 

A l’aube de notre histoire est loin d’être un cas isolé. Ce genre de révisionnisme concernant d’anciennes civilisations est monnaie courante dans les « documentaires » de ce genre. Les plus emblématiques sont :

  • La révélation des pyramides (2010)
  • Bâtisseurs de l’ancien monde (2018)
  • La série Alien Theory (commencée en 2009 et toujours en cours)

Les points communs entre ces œuvres ? Celles-ci sont de véritables torchons d’un point de vue archéologique. De surcroît, elles dénigrent totalement le génie des civilisations autochtones de par le monde, pour réattribuer le mérite à « d’anciennes civilisations humaines » (si ce n’est aux extraterrestres). Bon par contre si vous attendez des preuves, vous pouvez oublier… Ces documentaires sont là pour être grandioses, pas pour être rigoureux.

L’asymétrie de Brandolini 

A l’aube de notre histoire est un parfait exemple de ce qu’on appelle la Loi de Brandolini. Ce concept explique que la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des idioties est drastiquement supérieure à l’énergie qu’il faut pour produire lesdites idioties… En gros, si quelqu’un dit une énorme ineptie (ex : l’Homme n’a pas marché sur la Lune), il vous faudra beaucoup plus de temps et d’énergie qu’une simple phrase pour le réfuter. Imaginez alors avec un « documentaire » en huit épisodes.

Pour déconstruire toutes les imbécilités évoquées, il faudrait probablement un livre entier ou une série documentaire avec autant (voire plus) d’épisodes. Autant dire que même avec toute la meilleure volonté du monde, il va être dur d’expliquer de façon exhaustive en quoi cette série documentaire est un scandale d’un point de vue archéologique…

Comment Netflix a pu laisser passer un programme pareil ? 

C’est une question qu’il est important de se poser… Comment un géant comme Netflix a pu laisser passer un programme aussi manifestement absurde ? Comment est-il possible que la production n’ait pas pris la peine de vérifier que le projet (qui se vend comme un documentaire) était viable scientifiquement ?

A une époque où les Fake News se propagent six fois plus vite que les vraies informations, des plateformes comme Netflix devraient avoir à cœur d’informer correctement leur public. Au lieu de ça, ils ont décidé de produire huit épisodes de désinformation, diffusés à échelle mondiale. Et cela nous oblige à poser deux hypothèses pas très flatteuses à propos de la production :

  1. Soit ils n’avaient pas conscience de l’idiotie qu’ils étaient en train de mettre en image, ce qui serait révélateur de grandes failles dans leur système de production.
  2. Soit ils étaient conscients du problème et ont sorti ce « documenteur » en toute connaissance de cause. Auquel cas, la désinformation et le discours anti-sciences délibérés, ce qui serait encore plus grave.

A l’aube de notre histoire est une sortie de route très regrettable de la part du géant Netflix, qui nous a habitués à des programmes de bien meilleure qualité. Ce « documentaire » ne méritait clairement pas le budget qu’on lui a alloué, ni l’audience à laquelle on l’a soumis. Espérons maintenant que la plateforme saura apprendre de ses erreurs et évitera de produire à nouveau de pareilles inepties. Autant dire que, pour une fois, nous n’espérons absolument pas de saison 2 pour un programme Netflix. 

Sources : 

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Journaliste, photographe et réalisateur indépendant, écrire et gérer Cultea est un immense plaisir et une de mes plus grandes fiertés.
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