« Stellar Blade » : la polémique autour de la censure cache un gros problème !

"Stellar Blade" : la polémique autour de la censure cache un gros problème !

Stellar Blade est un jeu d’action fantastique, dont notre test arrivera prochainement. Cependant, il semble qu’une grande majorité du public ne se concentre que sur les tenues très osées d’Eve durant son aventure. Depuis la sortie du jeu, beaucoup de joueurs s’offusquent que les costumes soient victimes de censure. Mais d’où provient cette polémique qui n’a pas lieu d’être ? 

Dans cette exclusivité PS5, Eve et son groupe sont le dernier bastion de l’humanité qui veut repousser une invasion extraterrestre sans précédent. Le premier projet AAA de Shift Up ne brille peut-être pas pour sa narration (un peu) téléphonée, mais pour son gameplay addictif et son héroïne qui fait déjà beaucoup parler d’elle. Se rapprochant beaucoup du genre des Souls-Like, Stellar Blade ne nous fait pas lâcher le pad et nous rappelle les longues heures passées devant NieR Automata et Devil May Cry, dont l’on sent de fortes influences.

« Eve, lève-toi et danse avec la vie ! »

Libérez Stellar Blade !

Depuis son lancement le 26 avril 2024, certains joueurs se fâchent auprès de Playstation sur le réseau social X, anciennement Twitter avec un hashtag particulier : #FreeStellarBlade. En effet, l’éditeur aurait modifié le titre lors de la première mise à jour, malgré la promesse d’une version intégrale non censurée. Certaines scènes seraient-elles passées à la trappe ? Certains moments violents ont-ils été adoucis ? Oui, quelques effusions de sang ont été supprimées. Toutefois, la polémique vient simplement de minuscules changements de tissus sur les tenues d’Eve.

L’ancien développeur de Blizzard, anciennement soupçonné d’escroquerie envers les joueurs, Mark Kern, a récemment publié une pétition sur le site Change.org appelant à la restauration de Stellar Blade.

Stellar Blade est un nouveau jeu phénoménal qui vient d’être lancé sur Playstation 5 dans le monde entier. Mais il y a un problème. Le contenu a été censuré de la version originale de la bande-annonce publiée par Sony. En tant que joueurs, nous souhaitons récupérer ce contenu. Nous nous y sommes appuyés, nous avons fait du jeu la précommande n°1 dans le monde grâce à cela, et c’est le vrai jeu que nous voulons.

Stellar Blade est plus qu’un jeu, il est devenu un phare culturel pour la liberté d’expression à une époque où les éditeurs de jeux comme Sony censurent plus que jamais les jeux. Stellar Blade était une bouffée d’air frais et les joueurs se sont ralliés à elle parce que cela signifiait que les choses changeaient, s’amélioraient, et que la voix de la liberté créative résonnait haut et fort.

Mais pour des raisons inconnues, le jeu a été censuré et des modifications ont été apportées. Ce que nous avons reçu après notre achat de bonne foi n’était pas le même que celui annoncé.

Nous croyons au jeu, nous croyons en Shift Up, et nous demandons d’obtenir le jeu auquel nous croyons. Annulez les changements de censure, corrigez le jeu, et vous constaterez qu’encore plus de joueurs vous rejoindront et vous soutiendront !

Tous les joueurs peuvent nous aider en signant cette pétition. Il sera imprimé en Corée et livré en Corée aux bureaux de Shift Up, et physiquement imprimé et livré aux bureaux de Sony Playstation Amérique du Nord. Diffusez cette pétition sur les réseaux sociaux avec le hashtag #FreeStellarBlade.

Avec un descriptif aussi imposant, on pourrait presque croire que Stellar Blade est un titre qui blâme la société contemporaine, mais la pétition n’est pas explicite sur ses motivations. La véritable raison de la colère des joueurs vient des tenues sexy qui ont été légèrement modifiées par un patch. Eve, la protagoniste principale, en porte certaines qui sont très révélatrices de son apparence, frôlant la nudité. Sur certains habits portés par la jeune femme, un peu de tissu a été ajouté afin de cacher sa poitrine.

17 tenues feraient l’objet d’une censure « inacceptable » selon les joueurs. Les développeurs, plus précisément Kim Hyung-tae, ont déclaré être conscients des changements employés de la société occidentale et que son héroïne pourrait choquer par sa sexualisation.

Bien sûr qu’il faut garder à l’esprit les questions de réalisme lors de la création et je respecte cela. Mais ce ne sont pas les seuls points qui doivent exister. Il est important de conserver de la diversité.

Plein de costumes sont disponibles dans Stellar Blade ! Véritable défilé de mode ou fétichisme ?

Une polémique presque incompréhensible

Néanmoins, ce scandale autour de la censure n’a pas lieu d’être, puisque le jeu ne change absolument pas. Les différences sont tellement minimes entre les tenues d’Eve que nous ne l’aurions pas remarqué, d’autant que l’on joue avec un personnage qui sera de dos pendant toute la partie. On ne joue pas à Stellar Blade pour admirer la plastique de son héroïne, mais on embarque très rapidement dans son histoire et sa psychologie. Dans un entretien avec GamesRadar, l’éditeur a révélé avoir volontairement utilisé beaucoup de budget sur le dos d’Eve, incarnée par la modèle coréenne Shin Jae-eun.

Honnêtement, quand je joue à un jeu, j’aimerais voir quelqu’un de plus beau que moi. C’est ce que je veux. Je ne veux pas voir quelque chose de normal ; Je veux voir quelque chose de plus idéal. Je pense que c’est très important dans une forme de divertissement. Il s’agit après tout d’un divertissement destiné aux adultes.

Cette forme de divertissement semble surtout prendre son origine des films de science-fiction des années 90. Il semble impossible de ne pas voir en ce Stellar Blade un hommage à des œuvres comme Barbarella, dont l’on rappelle qu’un reboot avec Sydney Sweeney devrait prochainement entrer en tournage. Le réalisateur ne cache pas son inspiration de cette période cinématographique, bien qu’il admette avoir surtout pris un manga en exemple principal :

J’étais un grand fan des films dystopiques des années 80-90. Ceux qui décrivent l’avenir de l’humanité de manière extrême et négative. Ce fut mon inspiration. Mais c’est aussi le film Alita: Battle Angel, inspiré d’un manga futuriste de Yukito Kishiro, qui a été notre principale influence.

En fait, le sujet de cette polémique est encore plus triste, tant Eve est un personnage passionnant. En la réduisant uniquement à un objet de fantasme, de nombreux joueurs passent à côté d’une héroïne destinée à devenir culte. Les développeurs, eux-mêmes, se sont justifiés sur cette problématique en affirmant que le patch de Stellar Blade correspond bien à la vision artistique du jeu !

Le costume final que nous souhaitions vous montrer est en effet le costume de la version 1.0.0.2. Je tiens à préciser que c’est notre produit final. Cependant, je sais que cette réponse n’est pas suffisante pour convaincre nos utilisateurs. Il y a une discussion interne en cours à ce sujet, donc je pense que nous aurons l’occasion de répondre bientôt.

Le retour du Gamergate ?

Pourquoi autant de problèmes pour quelques ajouts de tissu sur la poitrine d’Eve ? Le scandale derrière Stellar Blade n’est qu’un élément supplémentaire du Gamergate qui frappe depuis quelques années le média vidéoludique. Connu comme étant une vague anti-féministe datant d’une dizaine d’années, le Gamergate se vantait d’être dénonciateur des problèmes de déontologie chez certains journalistes spécialisés. Cependant, le tout s’est rapidement transformé en des campagnes de harcèlement autour de plusieurs personnalités féminines du milieu. Depuis quelques mois, on retrouvait très souvent des allusions d’extrême droite, plus explicitement à l’ancien président des Etats-Unis Donald Trump.

Plusieurs femmes de l’industrie vidéoludique sont touchées par des insultes, des menaces de mort et de viol. C’est le cas des développeuses Zoë Quinn et Brianna Wu, ainsi que de la vidéoblogueuse féministe Anita Sarkeesian.

Quel est donc le rapport avec Stellar Blade ? Pour les joueurs, censurer Eve serait une volonté imposée par le « wokisme ». Ce terme utilisé à tort et à travers est souvent employé de manière péjorative pour critiquer des choix artistiques et la diversité. Cette année 2024 s’est démarquée par le boycott général de l’entreprise montréalaise de consultation Sweet Baby Inc. Ayant travaillé sur Marvel’s Spider-Man 2, Forspoken, Alan Wake 2 ou encore Sable et Gotham Knights, l’entreprise est victime de violences importantes.

Saga Anderson dans Alan Wake 2

Sweet Baby Inc, le bouc émissaire !

Les joueurs (plus exactement des mouvements de l’extrême droite américaine) accusent Sweet Baby Inc d’imposer la diversité dans les productions. Selon les joueurs, ce seraient eux qui décideraient que les personnages et autres quêtes forcent sur la représentation de multiples communautés. Bien évidemment, tout est faux.

Ce déferlement de violence serait né d’une cinématique qui aurait provoqué la colère des joueurs. En fouillant dans les forums de Reddit, 4chan et Twitter, on réalise que Suicide Squad : Kill the Justice League revient très souvent dans les discussions.

Dans la dernière œuvre de Rocksteady, un Batman « dévirilisé » se fait froidement tuer par Harley Quinn qui lui reproche ses malheurs. Pour avoir testé le jeu sur Cultea, nous pouvons vous garantir que le leak de cette scène est entièrement sorti de son contexte, puisque le Chevalier Noir n’est plus qu’un pantin lâché par Brainiac. De ce fait, doit-on préciser que le titre du jeu se traduit par « Tuer la Justice League » ?

Une balle et tout s’embrase…

Une autre théorie du complot très répandue chez les détracteurs de Sweet Baby Inc les accuse d’avoir forcé Remedy à faire de Saga Anderson, l’héroïne d’Alan Wake 2, une femme noire. Pire encore, cette véritable campagne de haine pousse les joueurs à croire que tous les licenciements du secteur et les ventes désastreuses de certaines licences sont en partie à cause des décisions de Sweet Baby Inc. Comment des consultants au scénario pourraient-ils diriger le milieu vidéoludique ? Malheureusement, à l’heure où nous écrivons ces lignes, la polémique n’est pas prête de s’arrêter.

Récemment, une liste sur Steam détaille tous les jeux ayant travaillé avec l’entreprise. Steam Curator : Sweet Baby Inc encourage les gens à éviter les prétendus messages de propagande des projets œuvrant pour plus de diversité, d’équité et d’inclusion. Selon certaines théories conspirationnistes, ces employés montréalais « enlaidissent » les femmes et « émasculeraient » les hommes. Le groupe Steam compte plus de 100 000 abonnés, tandis qu’un groupe Discord compte plus de 2 000 membres. 

Son ampleur est tellement grande que de nombreuses personnalités de l’industrie ont dû nier les allégations selon lesquelles l’entreprise interviendrait et changerait complètement les jeux pour les transformer selon ses volontés. C’est le cas, par exemple, de Kyle Rowley, directeur artistique sur Alan Wake 2. Dans un fil de discussion sur les réseaux sociaux, un scénariste employé chez Insomniac Games a confirmé qu’en tant que consultant, l’entreprise ne proposait rien d’autre que des idées, des commentaires et de l’aide à l’écriture. Rien ne serait pris en compte sans l’approbation des développeurs. Suite à cette réponse, le scénariste a verrouillé son compte.

Le 6 mars 2024, le média Kotaku publie une enquête, ayant infiltré des groupes créés pour écarter Sweet Baby Inc. La journaliste Alyssa Mercante résume la situation par ces lignes :

Le 5 mars, j’ai réussi à passer environ une heure dans le serveur Discord Sweet Baby Inc. Detected avant d’être expulsé de l’espace. Dans ce document, les membres ont partagé des articles faisant référence à la fondatrice de Feminist Frequency , Anita Sarkeesian, à des citations de Marcus Aurelius et à des images de corps féminins idéalisés dans des jeux vidéo. Une image montrait plusieurs photos de la protagoniste Eve du prochain jeu d’action du développeur coréen ShiftUp, Stellar Blade , juxtaposées à des personnages féminins d’ OverwatchForspoken et Life is Strange . « Embrassez la tradition. Rejeter la modernité » est inscrit sur le collage. 

La journaliste est également allée à la rencontre de Kim Belair, la PDG de Sweet Baby Inc qui s’est défendu de faire ce dont son entreprise est accusée depuis plusieurs semaines.

Sweet Baby est, à la base, une société de développement narratif. Cela signifie tout, de l’écriture du scénario à la conception narrative, en passant par la direction narrative et les critiques d’histoires. L’une des choses que nous proposons, ce sont des consultations culturelles ou des consultations sur l’authenticité.

Pour nous, cela signifie généralement qu’on peut nous demander de regarder une histoire s’il y a un personnage qui est marginalisé d’une certaine manière, et [le studio] veut que nous le mettions en contact avec un consultant qui peut apporter un peu d’authenticité. Mais la perspective n’est jamais que nous arrivions et injections de la diversité… Pour l’essentiel, c’est l’inverse. C’est qu’une entreprise a créé un personnage et veut rendre ce personnage plus représentatif et plus intéressant.

La protagoniste de Life is Strange True Colors est souvent rejetée des joueurs… pour son physique.

Par conséquent, lorsque Shift Up présente Stellar Blade et son héroïne glamour, certains mouvements voient en elle une égérie de la « liberté d’expression » (pour reprendre les termes de la pétition de Mark Kern) et l’exception à ce que l’on nomme le Gamergate 2.0. La minuscule censure apportée par la mise à jour aurait alors agit comme une trahison pour les joueurs.

Nota Bene : La journaliste Alyssa Mercante serait également victime de harcèlement en ligne, beaucoup de memes et de textes se moquant d’elle sur X, anciennement Twitter pour son article et son avis sur le personnage d’Eve. Nous apportons tous notre soutien à la journaliste.

La problématique derrière l’hypersexualisation !

Finalement, le débat sur l’hypersexualisation d’Eve n’est qu’un nouveau chapitre d’une problématique qui frappe l’art depuis la nuit des temps : l’appropriation de l’apparence physique d’une femme. On reproche à Eve d’être comme 2B de NieR Automata ou Bayonetta, mais on déplorait qu’Ellie de The Last of Us, Aloy de Horizon ou Selene de Returnal sont l’inverse de ce que représente Eve. Peu importe leur personnalité et l’émotion qu’elles arrivent à procurer, elles ne seront toujours qu’une liste de critères à cocher. Il est certain que la prochaine héroïne à venir fera l’objet de commentaires désobligeants…

Le physique et la couleur de peau sont-ils vraiment fondamentaux ? Ne devrait-on pas plutôt s’intéresser à l’écriture, pour la plupart très réussie, des personnages. Nous pensons à Saga Anderson d’Alan Wake 2 par exemple. Récemment, Star Wars Outlaws édité par Ubisoft s’est attiré les foudres, parce que son trailer présentait l’héroïne Kay Vess. Pour des joueurs, « elle n’est pas jolie, rendant donc son identification plus difficile. » Ridicule, n’est-ce pas ? Rappelons-nous que la licence Assassin’s Creed s’était pris des remarques virulentes avec Kassandra, décrite comme un personnage masculin. Désormais, elle est devenue l’une des héroïnes préférées de la saga.

A une époque où les joueurs devraient davantage s’alarmer de la disparition probable du support physique et de l’abondance des abonnements en ligne, le débat autour du physique d’une actrice modélisée n’est tout bonnement pas des plus importants. En effet, en critiquant, reprochant et imposant des critères de beauté, ce sont les véritables actrices qui ont prêté leur visage qui subissent les conséquences. Il en est de même pour des hommes.

Nous avons très hâte d’essayer Star Wars Outlaws !

Les joueurs se retrouvent divisés, tandis que Mark Kern vient probablement de trouver un moyen d’alimenter un nouveau buzz après le scandale de l’écran-titre de Starfield en 2023. Espérons que l’on puisse parler autrement de Stellar Blade que simplement de l’objet de désir qu’est devenue Eve. Ce ne serait pas surprenant que son nom soit le plus recherché des sites pornographiques, comme ce fut le cas pour Chun-Li.

Stellar Blade est encore représentatif d’un challenge constant auquel les développeurs font souvent face : trouver le juste équilibre de la vision artistique, tout en naviguant entre les attentes et les sensibilités de leur communauté. Le jeu de Shift Up ne sera pas le dernier à relancer le débat, mais toute cette polémique engendrée pointe encore le doigt sur cette appropriation du corps féminin qui ressort très souvent dans les dernières productions. Véritable personnalité forte ou poupée sexuelle, la discussion n’est pas encore finie. 

Bande-annonce Stellar Blade

Sources : 

Photographe et réalisateur indépendant. Certains de ses films ont obtenus une soixantaine de sélections en Festival à travers le monde. Rédacteur chez Cultea, ses écrits sur le Traumatisme abordé dans le jeu vidéo sont publiés sur le site !

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