L’année 2024 semble avoir désigné son grand perdant vidéoludique : Dustborn. Véritable fiasco, surpassant même Concord, le nouveau projet édité par Quantic Dream peine à séduire son public et devient rapidement la cible de moqueries sur les réseaux sociaux. Mais qu’en est-il vraiment ? Face à la frustration des joueurs, il nous paraissait essentiel de tester le jeu pour en avoir le cœur net. Bien que Dustborn ne soit pas le pire titre de l’année, il laisse vraiment cette impression, surtout en raison de la maladresse avec laquelle il tente de faire passer ses messages. Les joueurs allergiques à toute forme de politique dans le jeu vidéo devraient s’abstenir immédiatement !
La controverse du Gamergate 2.0, déclenchée par les censures de Stellar Blade et le boycott massif de l’entreprise Sweet Baby Inc, a provoqué un véritable raz-de-marée dans l’industrie du jeu vidéo, faisant de nombreuses victimes. Le verdict est sans appel : Dustborn est un échec financier total, avec à peine 1 000 exemplaires vendus, toutes consoles confondues. Pire encore, le jeu peine à dépasser les 30 joueurs simultanément connectés sur Steam, là où d’autres titres controversés comme Suicide Squad : Kill the Justice League (que nous avons défendu !) ou Forspoken parviennent à mieux s’en sortir malgré leurs propres échecs.
Le jeu narratif développé par Red Threads Games divise les joueurs : d’un côté les rares fans, et de l’autre ceux qui refusent d’y consacrer du temps en raison des accusations d’inclusivité forcée. Il est donc difficile d’élaborer une critique du titre progressiste sans mentionner la colère qu’il suscite. Parlons donc du jeu en lui-même. Et c’est là que le bât blesse : Dustborn ne parvient malheureusement pas à s’imposer comme une expérience véritablement recommandable.
Une belle idée terriblement maladroite !
Tout commence dans ce monde uchronique des États-Unis dans lequel la femme de JFK devient la victime d’une tentative d’assassinat. Les joueurs incarnent Pax, une escroc habitante de Pacifica, qui va traverser les routes désertes de la nouvelle Amérique pour se rendre à tout prix en Nouvelle-Écosse pour « livrer » un colis. Accompagnée d’un groupe haut en couleur, elle sera traquée par Justice, un système autoritaire mis en place pour maintenir l’ordre tout en persécutant les personnes anormales. Heureusement, le groupe soudé pourra compter sur la solidarité et le pouvoir surnaturel des mots.
Puisant pleinement son message politique fort autour de l’inclusivité, Dustborn devrait tout avoir du sacré coup de poing capable de faire réfléchir et de délivrer des moments d’une forte intensité. Après tout, le contexte d’une Amérique dystopique et la volonté de révéler le courage de la parole par des éléments fantastiques semblent sonner comme une brillante idée vectrice d’émotions. Ragnar Tørnquist, le créateur du jeu, le décrit parfaitement dans un entretien auprès du média Xboxygen. Hélas, le ressenti n’est pas forcément à l’image que nous aurions désirée.
Nous espérons que les joueurs quitteront Dustborn en réfléchissant au pouvoir des mots et à l’importance de l’empathie et de la compréhension : à la nécessité d’écouter les autres, même lorsque nous ne sommes pas d’accord avec eux.
Tout repose sur la façon dont nous communiquons et nous nous connectons les uns aux autres, malgré nos différences. Nous souhaitons également que les joueurs réfléchissent à la manière dont le langage peut ouvrir des chemins ou ériger des barrières, informer ou contrôler, et qu’ils réfléchissent au rôle que nous jouons dans le façonnement du monde qui nous entoure : à travers les mots, parlés et écrits, adressés à des amis, à la famille, à des étrangers. En fin de compte, Dustborn est aussi une histoire d’espoir et de recherche d’un terrain d’entente dans un monde divisé. (Ragnar Tørnquist)
La politique est omniprésente dans le jeu édité par Quantic Dream, à tel point qu’elle finit par se transformer en une caricature, ce qui a déclenché un violent review bombing sur Metacritic. De nombreuses séquences du jeu circulent en ligne, accompagnées de railleries. Les commentaires fusent, comparant le titre à un tutoriel conçu par la droite politique pour ridiculiser la gauche. Si le jeu divise profondément son public, nous en sortons nous-mêmes avec une forte impression d’amertume, et cela pour plusieurs raisons.
Impossible to parody pic.twitter.com/IBQtfomNdM
— LA/ENDER (@LavenderGhast) August 22, 2024
Soyons clairs, si Dustborn se veut « woke« , il le fait de la manière la plus artificielle et hypocrite jamais vue dans un jeu vidéo. Les personnages sont dépourvus de profondeur et incroyablement antipathiques. Ils semblent exister uniquement pour satisfaire un cahier des charges de diversité, ce qui rend l’identification presque impossible dès les premières heures de jeu (même pour les concernés).
Aucun des protagonistes, qu’ils soient bons ou mauvais, ne dégage une véritable personnalité, et leurs espoirs peinent à susciter de l’intérêt, malgré des enjeux pourtant bien posés. Quelques scènes bien réalisées subsistent, mais l’émotion reste insuffisante pour convaincre pleinement. Pour un jeu narratif, l’incapacité à provoquer une véritable émotion est un sérieux handicap !
Nous avons l’impression que les personnages de Dustborn sont écrits uniquement pour souligner leur appartenance à une communauté, plutôt que pour les épreuves qu’ils traversent au cours de leurs aventures. À l’image de cette Amérique futuriste dépeinte dans le jeu, ils sont déshumanisés, réduits à des archétypes presque issus d’un catalogue. Pire encore, jamais nous n’avons vu autant de stéréotypes dépeints.
Pax et caritas omnium
Le véritable problème qui empêche Dustborn de susciter l’adhésion générale réside dans son héroïne, Pax. Mal écrite et hautement détestable, malgré une légère évolution au fil du jeu, elle sabote toute tentative de connexion émotionnelle, notamment dans ses interactions avec les membres de sa famille. C’est un véritable obstacle pour un jeu narratif qui aspire à être aussi captivant qu’un Life is Strange, par exemple.
D’ailleurs, si Max Caufield, Chloe Price ou Alex Chen avaient eu la même caractérisation que Pax, les fans ne se seraient probablement pas autant investis dans leurs récits respectifs. Et pour répondre à un débat souvent soulevé sur les réseaux sociaux, ce n’est pas une question de diversité (ou de couleur de peau) qui nous détache de Pax. Des personnages comme Lee Everett, héros de The Walking Dead, restent marquants, même dix ans après. C’est aussi le cas de Saga Anderson dans Alan Wake 2, que nous considérons toujours comme le meilleur jeu de 2023, ou encore de personnages comme Markus Holloway (Watch Dogs 2), CJ (GTA San Andreas), Tyler (Tell me Why) et D’arci Stern (Urban Chaos).
Le problème avec Pax est tout simplement qu’elle est mal écrite et n’inspire aucune empathie. Le fait qu’elle soit une arnaqueuse ou une meneuse de groupe ne justifie en rien son incapacité à nous toucher, d’autant plus que certains des héros les plus iconiques du jeu vidéo sont des criminels, sans que cela ne nuise à leur identification. C’est d’autant plus regrettable que l’on aimerait s’attacher à des personnages comme Sai ou Noam, qui sont influencés par Pax.
Cela dit, chez Cultea, la diversité n’a jamais été un problème. Dans le domaine vidéoludique, nous avons adoré Tales of Kenzera ZAU, malgré son approche Metroidvania très classique, et attendons avec impatience Assassin’s Creed Shadows. Cependant, le véritable souci avec Dustborn est qu’il semble oublier de donner à ses personnages cette singularité et cette sincérité qui les rendraient mémorables. Et dans les rares moments où cela fonctionne, l’ennui nous avait déjà gagnés…
Dustborn nous pousse à être cruels pour tolérer ?
Si Dustborn se veut le porte-étendard d’une cause engagée, jamais nous n’avons vu un message de tolérance et de liberté aussi maladroitement transmis. En effet, le jeu semble encourager le mensonge et la manipulation des proches, tout en harcelant ceux qui ne partagent pas les mêmes opinions. Il pousse même à bannir toute forme de pensée divergente à l’aide des compétences spéciales des personnages, telles que « Cancel », « Bully » ou « Discord », qui ne laissent place qu’à la vision des héros.
Prenons, par exemple, une séquence où nous devons « libérer » l’esprit d’un PNJ prisonnier de la désinformation. Bien qu’elle n’ait pas encore confiance en nous, il nous est possible de lui hurler des propos injurieux dans l’espoir qu’elle finisse par se rallier à notre cause. Pardon ? Bien sûr, il peut être amusant de semer le chaos et de déverser sa haine sur ses ennemis, mais dans le contexte de Dustborn, cela devient un véritable paradoxe. La maladresse est tellement cinglante que parfois certains personnages ressemblant à des fascistes semblent devenir encore plus fascistes après les avoir libéré de leur mal. Quelque chose ne va vraiment pas du tout dans le message du jeu…
Pax, l’héroïne, peut utiliser ses pouvoirs pour imposer sa vision des choses. Illustré par un mot dans une bulle noire entourée de rouge, ce pouvoir force son interlocuteur à se taire, à fuir ou même à obéir.
Et si cela échoue, il reste toujours la possibilité d’en affronter certains avec une batte de baseball flambant neuve dans des combats si confus qu’il est difficile de croire que le jeu ait prévu des mécaniques aussi dépassées. Heureusement, ces affrontements sont globalement assez faciles.
Dustborn est finalement un peu douteux !
Pendant une grande partie du jeu, nous nous sommes interrogés : Dustborn serait-il une satire ? Cela aurait pu donner plus de profondeur à l’œuvre. Malheureusement non. Le titre de Red Thread Games se prend très au sérieux (ou alors, il n’est juste pas drôle du tout) et nous rappelle constamment que nous incarnons les « gentils » de l’histoire. Cela semble logique, étant donné que le jeu se déroule dans un pays totalitaire où l’on doit promouvoir la tolérance. Pourtant, cet idéal nous a souvent mis mal à l’aise, tant nous avons eu l’impression de jouer un personnage manipulateur et narcissique.
Nous étions sceptiques quant à la controverse qui a enflé sur les réseaux sociaux, souhaitant nous forger notre propre opinion. Mais force est de constater que Dustborn peut aisément être perçu comme une mascarade, faisant plus de mal que de bien.
Le comble, c’est qu’un jeu comme South Park: L’Annale du Destin critiquait précisément ce que Dustborn tente de faire, mais avec humour et intelligence, à travers des QTE liées aux micro-agressions. C’était hilarant et pertinent. Red Thread Games aurait dû opter pour la satire ou assumer pleinement que ses protagonistes sont, en réalité, des « méchants ». Mais au final, le jeu semble indécis, nous laissant dans l’incertitude.
Nota Bene : Un détail qui nous laisse pantois : le jeu est édité par Quantic Dream. La célèbre boîte de production vidéoludique française ayant terni sa réputation depuis des accusations de harcèlement moral à l’encontre de ses employés. Nous vous recommandons de lire l’article de nos confrères de Gamekult sur le sujet. Lorsqu’on s’intéresse de près à cette affaire, devenir l’éditeur d’un projet comme Dustborn ressemble à un mea culpa.
Au final, personne ne se reconnaîtra dans cette aventure, malgré une direction artistique magnifique. Un jeu vidéo a besoin d’une âme et d’une sensibilité. En enfermant les personnages dans des cases définies par leur identité sexuelle ou leur genre, le jeu ne parvient pas à susciter l’attachement. Au contraire, Dustborn semble renforcer les divisions qu’il prétend vouloir combattre, discriminant plus qu’il ne favorise l’unité.
Fait d’autant plus triste que le jeu norvégien a pourtant de très nombreux atouts dans sa manche. Tout d’abord, nous répéterons que sa direction artistique est particulièrement somptueuse. Très proche des comics, elle apporte une touche de poésie dans ce road trip au rythme lent. La bande originale est très entraînante et nous jetterons immédiatement notre dévolu sur les séquences musicales jouables qui sont très accrocheuses, bien que son aspect jeu de rythme pourrait irriter.
En revanche, Dustborn reste techniquement poussiéreux avec des crash survenus pendant la partie. Dans ses graphismes, impossible de ne pas penser aux premières heures de Telltale Games, créateur de l’épatante Saison 1 de The Walking Dead (Lee et Clémentine, à jamais dans nos cœurs) et l’excellent The Wolf Among Us. Dustborn reste relativement magnifique, mais les animations saccadent et subissent des ralentissement à outrance.
Un message politique mal exploité peut avoir des conséquences désastreuses, et Dustborn en est un exemple frappant. En plus d’être une grande déception en tant que jeu narratif, le titre échoue à transmettre son propos de manière cohérente. L’héroïne principale, ainsi que ses pouvoirs, nous ont souvent mis mal à l’aise, tant le gameplay et l’écriture véhiculent des messages très douteux. C’est d’autant plus frustrant que Dustborn semblait avoir un potentiel certain pour séduire un large public. Malheureusement, le jeu s’est fourvoyé dans des choix scénaristiques et ludiques maladroits. Ce qui aurait pu être une expérience enrichissante se laboure en œuvre qui vise complètement à côté. Un jeu né dans la poussière, destiné à y retourner…