On l’attendait depuis dix ans. Le nouveau film de Hayao Miyazaki est enfin là et sa sortie discrète ne l’a pas empêché de battre tous les records. En effet, malgré l’absence de communication, Le Garçon et le Héron a vite pris la première place au box-office au Japon et en France. Entre hommages à sa propre carrière et adaptation de récits cultes, le film marque en tout cas un vrai changement pour le réalisateur de 82 ans.
Synopsis : Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de 11 ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où elle a grandi. Il s’installe avec son père dans un vieux manoir situé sur un immense domaine, où il rencontre un héron cendré qui devient petit à petit son guide et l’aide, au fil de ses découvertes et questionnements, à comprendre le monde qui l’entoure et à percer les mystères de la vie.
Plus Yuasa que Miyazaki
Passés les logos porteurs de rêves de la TOEI et du studio Ghibli, on découvre notre héros, le jeune Mahito. Alors que l’hôpital où dort sa mère est dévoré par les flammes, le garçon court à travers la foule pour rejoindre l’incendie. Dès les premières minutes du film, on comprend que cette projection n’aura pas grand-chose à voir avec un Miyazaki habituel. Loin d’être réalistes, les corps se déforment pour donner l’impression de vitesse et de chaleur. Ils disparaissent pour montrer que Mahito ne voit plus rien, concentré sur sa course.
Cette animation qui projette l’état émotionnel des héros en dehors d’eux-même, qui montre le monde non pas tel qu’il est mais tel qu’on le ressent, rappelle les films de Masaaki Yuasa (Mind Game, Ping Pong). Et ce ne sera pas un cas isolé car tout au long du film on ne peut s’empêcher de penser à d’autres grands réalisateurs expérimentaux ou éloignés de Ghibli. Des séquences qu’on attribuerait tour à tour à Satoshi Kon (Perfect Blue, Paprika) ou à Makoto Shinkai (Your Name, Suzume) jaillissent du film et surprennent. Si l’on ne peut qualifier cette animation de nouvelle, elle est en tout cas brillamment exécutée et représente un nouveau terrain de jeu pour Hayao Miyazaki.
Miyazaki et les adaptations
Le Garçon et le Héron adapte un roman de John Connolly : Le Livre des Choses Perdues. Dans ce livre, le jeune David, 12 ans, se réfugie dans les livres pour fuir le remariage de son père et se consoler de la naissance de Georgie, son demi-frère. Un jour, la voix de sa défunte mère le guide jusqu’à un étrange passage vers un autre monde où des aventures et dangers le guettent.
L’adaptation d’un livre irlandais ne surprendra pas les amateurs de Miyazaki. En effet, le réalisateur s’est souvent inspiré d’œuvres européennes, dont les influences culturelles ressurgissent tout au long de sa carrière. Pour rappel, voici un aperçu des adaptations et influences de ses principaux films.
- Le château dans le Ciel – Les Voyages de Gulliver / La bergère et le ramoneur
- Kiki la petite sorcière – Livre éponyme
- Porco Rosso – L’ère des hydravions
- Princesse Mononoke – Le voyage de Shuna
- Le Voyage de Chihiro – La cité des brumes oubliées
- Le Château Ambulant – Le Château de Hurle
- Ponyo sur la falaise – La petite Sirène
Comme d’habitude, Hayao Miyazaki transforme complètement l’œuvre originale, imprimant son identité sur le scénario. Ainsi, il reste du Livre des Choses Perdues le deuil, l’histoire familiale, le cœur de l’intrigue. Mais le réalisateur aime faire foisonner les idées et les influences. Ainsi le film se nourrit également d’un autre livre culte : Et vous, comment vivrez vous? de Genzaburo Yoshino. L’œuvre, qui fait un apparition physique dans le film (légué par la mère défunte), est une ode au passage à l’âge adulte, à la découverte de soi et de sa propre place dans le monde. Mais Hayao Miyazaki s’est également beaucoup inspiré de sa propre histoire et de sa carrière pour écrire Le Garçon et le Héron.
Un film très auto-référencé
Les références à la carrière d’Hayao Miyazaki ne manquent pas dans Le Garçon et le Héron. Et si certaines sont légères, d’autres sont moins subtiles. Un personnage assène que « le vent se lève » face à la caméra. Un autre ressemble trait pour trait à Arrietty (dont Miyazaki a écrit le scénario). Le ruban de navires disparus rappelle la traînée d’avions de Porco Rosso, la cape du grand-oncle est la même que celle de Oh-Baba dans Nausicaa. Les wara-wara, ces âmes en devenir, nous rappellent les kodama de Princesse Mononoké. Quant aux bandelettes de papier agressant nos héros, elles ressemblent aux petits personnages de papier de Chihiro. Que ce soit dans le chara-design, dans la réalisation de certains plans, dans le caractère des personnages ou des dialogues, le film nous rappelle sans-cesse l’œuvre globale de l’octogénaire.
Évidemment, il ne s’agit pas d’un hasard, d’un manque d’inspiration ni de pur fan-service. Hayao Miyazaki nous livre simplement une histoire dont il est sinon le héros, l’antagoniste ou du moins, l’incompris. Il l’avait annoncé comme une œuvre testamentaire… Et en effet Le Garçon et le Héron est sûrement son film le plus autocentré. Le réalisateur nous parle ici de son incapacité à transmettre le relais à une nouvelle génération, de la mort proche de son univers.
En effet, tout comme Mahito face à son grand-oncle dans le film, Goro Miyazaki n’a pas su et n’a pas voulu succéder à son père. Les différents prétendants ont échoué à capturer la beauté du monde de Miyazaki ou sont hélas décédés trop tôt. Du haut de ses 82 ans, le réalisateur accepte désormais que le monde qu’il a créé parte avec lui. Après tout, comme il l’avait dit dans le documentaire Kingdom of Dreams and Madness :
Le studio va disparaître. Pourquoi s’en inquiéter ? C’est inévitable.
La mort au cœur de l’œuvre…
Ainsi Le Garçon et le Héron traite de la mort, partout, à chaque instant. Le deuil que porte Mahito ne peut s’accomplir, car il n’a pas vu le cadavre de sa mère, ce qui le pousse à l’imaginer malgré lui toujours en vie. Lorsqu’il arrive dans le nouveau monde, le jeune garçon peine à vider un poisson immense. Dégoûté, il se retrouve enseveli sous les viscères. Cette scène nous montre tout le chemin qui lui reste à accomplir pour comprendre que vie et mort sont un cycle et qu’il ne faut craindre ni l’un ni l’autre.
Mahito assiste au cycle de naissance des wara-wara, à leur massacre et à l’embrasement des pélicans. L’expérience concrète de la mort va lui permettre de l’accepter petit à petit. Ensuite, il n’hésitera pas à se confronter au pélican mourant et à l’enterrer. Tout comme dans Princesse Mononoké, la mort est ici très organique. Le sang, l’agonie, la déformation des corps et des organes, rien ne nous est épargné.
Dans le monde parallèle les perruches sentent la chair fraîche et cherchent à tuer. Le vieux maître, presque aveugle, sent la mort approcher… Même l’être malicieux vivant dans le héron gris se sert de sa peau et la porte comme une dépouille (rappelant les chasseurs de Mononoké). En dehors de la quête de Mahito, ce n’est pas plus joyeux. En effet, la guerre est présente dans le monde réel et le jeune garçon et sa tante en honorent les victimes. Ainsi, beaucoup de spectateurs ont trouvé que le film se démarquait comme plus sombre, oubliant peut-être que le réalisateur n’a pas hésité à plonger dans des univers très durs avec Mononoké ou Nausicaa. Néanmoins, on retrouve dans Le Garçon et le Héron beaucoup d’éléments plus légers et habituels au studio.
… Mais toujours un Miyazaki !
Le Garçon et le Héron compte sûrement parmi les plus beaux films, visuellement parlant, du studio Ghibli. Les arrière-plans se démarquent et sont à couper le souffle. Les peintures sont détaillées, la lumière joue avec poésie sur les arbres et l’herbe. Et si la nature est source d’émerveillement, elle sert également le propos écologique de son réalisateur. Car dans le monde parallèle, les ressources ont été épuisées. Les pélicans n’ont plus rien à manger et se mettent à dévorer les âmes humaines. Métaphore à peine voilée du retour de bâton lié à la surexploitation.
Le Garçon et le Héron illustre également les relations inter-générationnelles habituelles à Miyazaki. Si le décalage entre les âges est parfois source de rire (on pense au père de Mahito, complètement déconnecté de la réalité de son fils), chaque génération est vue avec bienveillance. Personnes âgées, parents, enfants, leur dynamique est complexe et certains apportent de la vitalité et du courage là où d’autres apportent sagesse et expérience.
Autre point qui ne dénote pas : les femmes ont toujours une place prépondérante dans le film et leurs rôles sont loin des carcans habituels. Natsuko, malgré sa grossesse, n’hésite pas à se mettre en danger en attaquant le héron. La vieille Kiriko qui fume comme un pompier protège Mahito et la jeune Kiriko qui pêche des énormes créatures marines prend également le jeune garçon sous son aile. Himi maîtrise le feu, n’a pas peur de mourir et est toute aussi aussi aventurière que son fils.
Du côté de l’intrigue, on retrouve l’habituel pont entre le monde imaginaire et la réalité, à la Alice au Pays des Merveilles. Et la guerre est en trame de fond, comme souvent dans les films de Miyazaki. Ici, il s’agit de la Seconde Guerre mondiale, le père de Mahito fabriquant les verrières des avions de chasse. Quant au style, Le Garçon et le Héron renoue avec une esthétique baroque que le réalisateur avait laissé de côté depuis près de 20 ans et qui culminait dans Chihiro.
Un film décousu
Malgré tous les aspects nouveaux, inattendus et absolument réjouissants de la part d’un réalisateur en fin de carrière… Malgré tous les éléments habituels à son parcours et qu’on adore retrouver… Le Garçon et le Héron ne semble hélas pas avoir conquis tant les cœurs que les cerveaux. Surprenant pour un Hayao Miyazaki capable de nous transporter émotionnellement en un claquement de doigts. Le film fait bien l’unanimité sur les critiques et a récolté des notes positives sur toutes les plateformes. Néanmoins, il est loin d’entrer dans les favoris du public. Et il y a plusieurs explications à cela.
Pour commencer, la faute en revient sûrement à une œuvre trop intellectualisée. Le message n’était pourtant pas compliqué. Miyazaki ayant traité simplement et efficacement de l’écologie, de la guerre, du passage à l’âge adulte, de la maladie, on ne s’attendait pas à le voir se casser les dents sur le deuil et le passage de témoin. Mais là où on avait l’habitude de le voir inclure ces messages dans un scénario uni, avec une histoire linéaire, Le Garçon et le Héron vient tout chambouler.
Le film est une très longue succession de tableaux, de métaphores cachant des messages. La structure du film, assez Lynchéenne, entretient une forme de mystère qui obscurcit le propos. Le monde parallèle a des règles changeantes, qui sont à peine mentionnées et rares sont les éléments expliqués. Quelle est cette roche ? D’où vient-elle, pourquoi a-t-elle une conscience ? Quel est le lien entre le Héron et le grand-oncle ? Pourquoi certaines personnes ont-elles des pouvoirs ? Le film perd son spectateur et, après quelques tentatives de raccordement, il faut accepter de prendre du recul et d’être émerveillé… Et de revisionner l’œuvre quelques fois.
Comme un goût de manque
Une autre conséquence de cette structure narrative est le manque cruel d’attachement aux personnages. Quel dommage quand on ressent autant de personnalité et de potentiel dans chacun d’eux. Ils sont beaux, drôles, courageux, mystérieux, puissants. Mais aucun n’est développé. Ils apparaissent et disparaissent après une scène, laissant une certaine amertume au passage. Car en deux heures de film, il y avait pourtant le temps d’en apprendre plus sur eux. Il en ressort une certaine froideur qui empêche une vraie connexion émotionnelle avec le film.
Enfin, certains s’étonneront de ne pas voir mentionnée la musique. Après tout, les Miyazaki, c’est Joe Hisaishi. Le compositeur a signé des musiques mémorables sur chacun des films de Miyazaki (et de Kitano) depuis 1984… Le Garçon et le Héron semble pourtant, là aussi, marquer une rupture. Sur ce film, sa musique se fait très discrète. Loin des envolées orchestrales, un simple piano minimaliste égrène parfois quelques notes. Le silence règne souvent et s’étire.
De rares scènes voient revenir les cordes, mais à peine l’émotion nous étreint-elle que déjà on passe à un autre tableau. Pour un film qui souffre déjà d’une certaine froideur, le manque d’émotions ne s’en fait que plus ressentir. Mais tous ces points ne sont pas tant des défauts que des choix de réalisation qui chamboulent nos habitudes.
Le Garçon et le Héron est donc bien un film testamentaire. Cependant, Miyazaki travaille déjà sur un autre projet. L’homme fait un pied de nez à ceux qui aimeraient le voir finir sa carrière sur cette note. Et l’artiste, lui, nous offre le plus beau cadeau possible. Non content de nous éblouir après 60 ans de carrière, voilà qu’il nous surprend. Et qu’il nous donne donc, par la même occasion, une chance d’attendre sa prochaine œuvre avec incertitude et impatience… Un peu comme si c’était la première.
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