La pollution au Moyen Âge : origines et conséquences du phénomène

La pollution au Moyen Âge : origines et conséquences du phénomène

L’image stéréotypée des tableaux de villes du Moyen Âge peut nous offrir une vision aseptisée, voire idyllique, de l’époque médiévale (ou à l’inverse, un cliché barbare et arriéré). Entre châteaux majestueux, princes et princesses oisifs et villes accueillantes, les peintures ne reflètent pas toujours la réalité de la vie urbaine de cette époque. Le contexte actuel dans lequel nous évoluons impose le terme de « pollution » dans les débats environnementaux et les luttes écologiques. Pourtant, cette prise de conscience n’est pas aussi contemporaine que l’on pourrait croire…

Nota Bene : Il faut noter que le terme tel qu’il est employé aujourd’hui n’existait que très peu dans le vocabulaire du Moyen Âge et était essentiellement utilisé à des fins religieuses. L’emploi contemporain n’apparaît qu’au XIXe siècle. Nous emploierons cependant le terme « pollution » dans son sens actuel : la dégradation de l’environnement par des substances (naturelles, chimiques), des déchets (ménagers ou industriels) ou des nuisances diverses (sonores, lumineuses, thermiques, biologiques, etc.).

Cachez cette fiente que je ne saurais voir

S’il vous prenait l’envie de faire un petit voyage au XIIe siècle, Instagram ou Tiktok ne seraient pas vos amis. Loin des centres historiques que l’on visite aujourd’hui avec allégresse, les rues du Moyen Âge s’engorgent de débris et immondices, au point parfois de ne pouvoir les emprunter.

On circule peu à peu dans les rues qui prennent forme dans la boue et la fiente. Faîtes d’ailleurs attention aux jets de pots de chambres par dessus les fenêtres… Même Louis IX n’a pu y échapper ! Bouchers, poissonniers et barbiers-chirurgiens déversent également les abats et le sang souillé sur la chaussée, tandis que les bêtes errantes s’entassent dans les ruelles à la recherche de nourriture.

Nota Bene : Pour se représenter une image de la pollution au Moyen Âge, les historiens s’aident entre autres de la toponymie des rues (rues Sale, Foireuse, Merdière, ruelle du Pipi, passages Merdeux à Chartres au XIe siècle), d’ordonnances, de gravures, de chartes…

En outre, en temps de grands travaux (notamment durant la guerre de Cent Ans), les travaux provoquent de nombreux gravats qui bouchent les rues.

À cela s’ajoute la déambulation d’élevages sauvages dans les villes : oies, cochons, moutons… Les chevaux sont également très présents ainsi que de nombreux chiens errants. Cette présence animale urbaine est à l’origine de nombreux accidents. En 1131, Philippe de France, fils de Louis le Gros, meurt écrasé sous le poids de son cheval après qu’un porc se soit jeté sous les sabots du destrier au point de l’en faire tomber.

Des procès contre les animaux se montent même, comme en 1386 où en Normandie, une truie renverse un nouveau-né mal surveillé et commence à le dévorer au niveau du bras et du visage. Au tribunal, on condamne l’animal à être pendu et brûlé.

Illustration représentant une truie et ses porcelets jugés pour le meurtre d’un enfant. Le procès aurait eu lieu en 1457, la mère étant reconnue coupable et les porcelets acquittés.

Bouchez-vous les oreilles !

Au cas où cela ne vous aurait pas découragé, il est conseillé d’apporter avec soi quelques paires de boules Quies. Eh oui ! Si le vrombissement des voitures n’existait pas encore, les marteaux des forgerons ne manqueront pas de vous agresser les oreilles de bon matin.

Sans parler des cris dans les marchés, des animaux cherchant quelque nourriture en grondant… Ces sons étaient pourtant des repères spatio-temporels importants au Moyen Âge. Ils permettaient aux passants d’identifier les quartiers où ils se trouvaient. Les coups de haches dans la rue de la boucherie, le son d’une imprimerie, les cloches d’une église…

Lors des périodes de guerre, les nuisances sonores s’aggravent. La guerre de Cent Ans impose l’accueil de troupes de soldats aux municipalités, où blessés de guerre s’amoncellent.

Quelqu’un aurait un pince-nez s’il vous plaît ?

Ce qui affecterait sans doute le plus votre confort, c’est l’odeur. Les quelques descriptions précédentes n’en font pas une surprise. L’odeur qui en émane est souvent insupportable, alimentée par les passants eux-mêmes. Certains sont réticents au bain, pensant qu’une couche de saleté les protégerait des maladies.

Pourtant, dès le début du Moyen Âge, les nobles des châteaux possèdent leurs propres bains privés et dans chaque quartier, on trouve des structures de bains publics appelées les étuves (des sortes d’énormes cuves remplies d’eau chaude).

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Valerius Maximus, Facta et dicta memorabilia, fin XVe siècle.

Aux déchets organiques s’ajoute la pollution chimique. Elle est produite par les artisans comme les drapiers, les teinturiers, les tanneurs, les abattoirs, les forgerons, ou encore plus tard les papeteries (dans l’Essonne notamment) avec des vapeurs de souffre, de suie, de la teinture, des fermentations…

Une petite bouchée avant de partir…

Si vous êtes encore là malgré tout, votre ventre doit commencer à protester d’être si vide, non ? Mais faîtes attention, ces pollutions diverses contaminent les cours d’eau, rivières ou nappes phréatiques en amont des villes. Cette eau est pourtant essentielle à la vie des habitants. On se débarrasse des déchets organiques dans les rivières. Les fermentations et autres se déversent dans des eaux que l’on utilise au quotidien (pour les lessives, pour l’alimentation,…).

Des fontaines se créent (Philippe Auguste en place une aux Halles et une à Saint Lazare). Mais les canalisations peu étanches sont corrompues par les sols infestés de souillures. Les détritus contaminent certaines nappes phréatiques et pompes à eau. De fait, les cultures sont parfois contaminées et les aliments deviennent immangeables.

Et le toucher ?

L’essor urbain évolua au cours du Moyen Âge. La concentration d’une forte population dans les villes augmenta et dans un même mouvement, le niveau de pollution aussi.

De plus, l’enserrement urbain, avec la création de nouveaux remparts, rend les rues de plus en plus étroites et propices à la maladie. Les maux se développent donc (maladies infectieuses, lèpres…) et se transforment en épidémies.

À partir de 1348, la peste bubonique fait d’énormes dégâts dans la population. Les mentalités changent alors progressivement, prenant conscience de la corrélation entre les odeurs pestilentielles et la pollution de l’air, des sols… Provenant souvent des quartiers pauvres, on met malheureusement dans le viseur des boucs émissaires marginaux ou étrangers auxquels on associe la saleté. La pollution va devenir un sujet de tension dans les municipalités et dans la population.

Les pouvoirs se réveillent pour faire face à la pollution

Avec les épidémies de plus en plus fréquentes, les pouvoirs publics prennent des mesures pour dégager les rues. Des ordonnances s’imposent dans des villes, interdisant aux bouchers, poissonniers, barbier-chirurgiens de jeter leurs déchets sur la chaussée.

Les cabinets (ou aisements) collectifs ou privés se développent avec des fosses. On charge également chacun de s’occuper de la propreté de son trottoir. On crée des « fosses à immondices », loin des nappes phréatiques, on dénonce ses voisins peu respectueux des mesures d’hygiène… Une règlementation et un suivi s’imposent aux commerces chargés de l’alimentaire. On oblige également les boulangers à se laver les mains pour faire leur pain et à exercer dans un local propre.

Des emplois se créent pour entretenir la voirie. On organise le curage des rivières, les artisans bruyants ou nuisibles pour la santé sont déplacés pour être éloignés des centres urbains (et surtout des quartiers riches ou religieux). On réutilise et rénove les systèmes de pavage et de canalisations/aqueducs provenant de l’antiquité, mais ils n’existent pas partout.

L’argent attribué par les municipalités pour gérer la pollution ne s’élève jamais bien haut. Il relève de conflits politiques : les sols urbains appartiennent à plusieurs seigneurs. Cela ne facilite par l’uniformité des mesures mises en place.

Si elle diffère dans ses origines et conséquences actuelles, la pollution aura donc tout de même été un sujet sensible et préoccupant au Moyen Âge…

À lire également : Croyez-vous en ces idées fausses sur le Moyen Âge ?

Bibliographie :

  • Arlette Higounet-Nadal, Hygiène, salubrité, pollutions au Moyen Âge. L’exemple de Périgueux, Annales de Démographie Historique, 1975
  • Jean-pierre Leguay, La pollution au Moyen Âge, Gisserot-Histoire, 1999
  • Didier Boisseuil, Espaces et pratiques du bain au Moyen Âge, Médiévales, 2002

Étudiante chercheuse en Histoire Contemporaine - Passionnée de littérature, de musique, de cinéma.

19 Replies to “La pollution au Moyen Âge : origines et conséquences du phénomène

  1. Oui et boire le sang du christ ( vin) n est pas venu par hazard. L eau etait source de maladie comme la viande de porc fans les pays chauds et saigner la viande avant de la consommer aidait a la conservation…l’autorité religieuse a eu du bon sens …

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