Début 2023, les grandes entreprises avaient annoncé des licenciements par milliers. Bien que le secteur vidéoludique soit devenu l’un des plus importants, il a connu une crise de l’emploi tout au long de cette année. On compte plus de 9 000 licenciements, un nombre conséquent qui risque d’être dépassé d’ici le début de la nouvelle année…
On entend souvent que l’année 2023 fut très enrichissante dans le média vidéoludique. Difficile de nier avec le nombre d’œuvres de qualité qui ont diverti les joueurs. Baldur’s Gate 3, Alan Wake 2, Starfield, Marvel’s Spider-Man 2, Tchia, Street Fighter 6 et Resident Evil 4 Remake. La qualité et le talent étaient très présents, que ce soit dans le rayon des jeux indépendants ou des grosses productions. Bien évidemment, d’autres titres ont défrayé la chronique, comme l’aboutissement catastrophique de Skull Island Rise of Kong ou le soupçon d’escroquerie autour de The Day Before.
L’année 2023 fut finalement très prolifique pour le jeu vidéo. Malheureusement, il ne s’agit que de la surface de l’iceberg, qui cache en réalité un secteur frappé par des multiples licenciements. De nombreuses personnes ont perdu leurs emplois, alors que le milieu vidéoludique se destine à faire des économies.
9 000 licenciements en 2023
A ce jour, on compte à travers les différentes entreprises presque 10 000 licenciements. Et ce mois de décembre n’est pas épargné :
- On compte désormais au 14 décembre une réduction des effectifs chez Slipgate Ironworks (appartenant au groupe Embracer), Funselektor Labs et Wildlife Studios.
- Le 11 décembre, s’est déroulée la fermeture de Free Radicals Design, créateur de Timesplitters. 80 employés sont renvoyés.
- Au 8 décembre 2023, approximativement 10 postes sont supprimés de l’entreprise indépendante danoise Triple Topping Games.
- Au 5 décembre, Rovio Montreal appartenant à l’éditeur Sega supprime 16 postes.
- Au 4 décembre, Code Masters, qui travaille en étroite collaboration avec Electronic Arts, supprime un nombre indéterminée de postes. Le journal IGN associe le croissant renvoi des équipes au déclin des franchises de jeux de course d’EA, pourtant à leur apogée dans les années 2000.
- Enfin, l’imposant Embracer Group supprime une quarantaine de postes au sein de New World Interactive et Iugo Mobile Entertainment.
En cette année 2023, Unity arrive en tête de ce sombre classement avec plus de 900 licenciements. L’entreprise à l’origine du moteur graphique avait défrayé la chronique en voulant taxer les éditeurs.
En seconde position se trouve Epic, à l’origine du succès mondial Fortnite, qui annonce 830 suppressions de postes. Ensuite, Amazon Games se sépare de 535 employés. Viennent enfin Electronic Arts et le géant suédois Embracer. Au total de cette année 2023, 80 entreprises ont dû diminuer les effectifs. Parmi eux : Ubisoft Montreal, Respawn Entertainment, Bungie, Deadalic Entertainmement, Niantic, Telltale Games, Media Molecule ou Striking Distance Studios.
La fin de l’aventure pour certains !
Plus grave encore, 11 studios de développement ont dû mettre la clé sous la porte. C’est ainsi le renvoi de tous les employés des entreprises Cyberconnect2 Montreal, Calypte, Volition Games, Pixel Opus et Vanpool. Mentionnons aussi Puny Human, Dang, Antimatter Games, Campfire Cabal, Mimimi Games et Kiloo Games.
Les joueurs n’auront peut-être jamais entendu parler d’eux, mais leurs catalogues ont trouvé place sur le Play Store ou encore sur Steam. Kiloo Games est reconnu pour Subway Surfers, tandis qu’Antimatter est responsable d‘Evolve. Pixel Opus, studio Playstation ayant travaillé sur l’adorable exclusivité Concrete Genie, disparaît en mai 2023.
Dear friends, our PixelOpus adventure has come to an end. As we look to new futures, we wanted to say a heartfelt thank you to the millions of passionate players who have supported us, and our mission to make beautiful, imaginative games with heart.
We are so grateful! ❤️🙏 pic.twitter.com/rQO2Cgvhnq— PixelOpus (@Pixelopus) May 5, 2023
Investissements et ventes
Ces licenciements de masse sont une incompréhension dans un secteur qui ramène autant que la musique et le cinéma. Le jeu vidéo a amassé presque 250 milliards de chiffre d’affaires cette année.
Des milliards sont dépensés pour racheter des studios et des entreprises, tandis que les profits continuent de croître considérablement. Il y a peu, Microsoft concluait définitivement le rachat de Blizzard Activision pour la somme astronomique de 68 milliards de dollars. Néanmoins, le rachat a pu permettre l’augmentation du nombre d’employés chez Xbox, passant de 5 000 à environ 15 000.
343 Industries, à l’origine de Halo Infinite, prix du public aux Game Awards 2021, compte 60 personnes renvoyées sur un effectif de 450 salariés. Cela pourrait grandement ternir l’expérience du jeu Halo et son contenu gravement menacé. Du côté de Playstation, le studio Naughty Dog a licencié une dizaine d’employés travaillant sur un potentiel projet multijoueur autour de The Last of Us. Le patron de Playstation, Jim Ryan, a démissionné de Sony sans que l’on en sache les raisons, mais cela est sûrement synonyme de changement stratégique au sein de l’éditeur.
Associé à des conditions économiques tendues, l’impact des licenciements a été amplifié par une réduction des embauches et une concurrence accrue pour l’emploi (le Dr Jakin Vela, directeur exécutif de l’International Game Developers Association, pour le journal Polygon)
Et le crunch…
Ce sont des nouvelles terribles, d’autant plus que la majorité des productions vidéoludiques ont recours au crunch et apporte de trop nombreuses heures supplémentaires. Beaucoup de développeurs n’ont plus de temps à consacrer à leurs familles et montrent leur expertise pour proposer le meilleur produit au client. On pense notamment au studio créateur d‘Immortals of Aveum. Les faibles ventes n’ont eu d’autre effet que de provoquer le renvoi de la moitié de l’entreprise.
Un projet doit être rentable et terminé dans les temps, tout en respectant les dépenses. Beaucoup de projets réussissent à obtenir la reconnaissance, tandis que d’autres seront considérés comme des échecs, comme le prouve notre article sur le développement calamiteux de Rise of Kong
On pense aussi à The Callisto Protocol en 2022, dont Glen Schofield a soutenu la pratique du crunch auprès des employés et qui s’est littéralement planté avec les ventes. Les ventes catastrophiques ont entraîné la démission du game designer de Striking Distance, survenue en ce mois de septembre 2023.
Nota Bene : Le terme « crunch » signifie une période de travail se déroulant lors d’un rendu d’une étape importante d’un projet de jeu. Cette période difficile peut durer de quelques jours à plusieurs mois. Elle se caractérise particulièrement par une pression ainsi que de nombreuses heures supplémentaires en semaine. Le week-end peut également être touché pour pouvoir atteindre à temps des objectifs.
Un silence pesant autour du contexte
Lors de la cérémonie des Game Awards 2023, de nombreuses personnes ont pointé du doigt l’absence de dialogue à propos de ces licenciements. Geoff Keighley insistait pourtant sur le fait que la soirée était une reconnaissance du travail et une célébration du jeu vidéo. De nombreux employés se sont donc retrouvés dans l’ombre. Plus exactement, dans l’impossibilité d’être gratifié pour le travail acharné. Que l’on se rappelle que l’industrie du jeu vidéo est parfois surnommée l’industrie de la passion. Il s’agit avant tout d’un métier d’artistes et de créateurs. Chaque équipe de développement comprend des passionnés qui croient au potentiel de leurs titres. Un développeur se bat pour que son œuvre atteigne l’excellence.
Dans le secteur, se crée alors une culture du dévouement pour se consacrer facilement à cette passion. Le licenciement est alors perçu comme un véritable choc. Les Game Awards 2023 ont contribué au silence de nombreux artistes voulant offrir une expérience satisfaisante à son public.
Quelles peuvent être les différentes conséquences de ces licenciements ?
- Les conséquences de la pandémie du Covid19 : Le marché du jeu vidéo a connu une croissance exponentielle depuis la pandémie. Les ventes ont gonflé et les joueurs sont bien plus présents dans le média vidéoludique. En cette période compliquée, des investissements dans les jeux en 2021 et 2022 ont encouragé une expansion à un rythme accéléré. Cela a permis de faire de nombreux bénéfices et de créer beaucoup d’emplois qui coûtent désormais trop cher.
- L’endettement : Il y a des chances pour que de nombreuses équipes soient endettées par des aides financières survenues pendant la crise du Covid-19, le budget d’un développement et les faibles ventes d’un titre n’ayant pas su résoudre la dette.
L’industrie s’est développée entre 2020 et 2021 pendant la pandémie de COVID-19, totalisant 56,6 milliards de dollars en 2022. C’est un niveau de croissance qu’aucune autre industrie du divertissement n’a égalé. Ce que nous constatons maintenant, c’est que le marché se stabilise. » (Aubrey Quinn, vice-présidente senior des communications de l’Entertainment Software Association interviewé par le journal Polygon)
Les investissements ont considérablement ralenti, les entreprises doivent désormais s’adapter à des budgets plus serrés.
- L’inflation : L’inflation et la hausse des taux d’intérêt (et des prêts bancaires) entraînent une trop grande augmentation des coûts. Les travailleurs particuliers (associons cela au jeu indépendant) ne bénéficient pas des mêmes incitations fiscales importantes que les entreprises plus grandes. Cela pourrait entraîner une précarité au sein du secteur vidéoludique.
- L’inflation des consommateurs : Les joueurs et les joueuses sont aussi concernés par l’inflation et ne peuvent pas se procurer plus de jeux qu’avant, le porte-monnaie étant de plus en plus fragilisé. Beaucoup se refusent à acheter un jeu à son prix maximum, préférant se tourner vers l’occasion.
De nombreuses entreprises ont passé des années à profiter de la grande disponibilité d’investissements dans un climat de taux d’intérêt proches de zéro pour se développer de toutes sortes de manières non durables, et 2023 a été l’année où les taux d’intérêt ont grimpé en flèche et où cette réalité s’est effondrée. (Rob Fahey, rédacteur chez Games Industry)
Lorsque l’argent commence à se tarir, les travailleurs sont dans l’obligation de réévaluer les méthodes d’allocution des fonds dont ils disposent. C’est pourquoi les licenciements apparaissent comme la solution immédiate dans la réduction des dépenses.
Une concurrence beaucoup trop importante ?
Un article du journal Polygon est formel sur ces licenciements de masse. Des milliers de personnes ont perdu leur emploi, inondant désormais le marché de nombreux développeurs de jeux qualifiés et établis à la recherche de travail. Mais tous ne trouveront pas du travail immédiatement.
- Un autre point important à souligner serait celui de l’exigence : Les gros studios doivent désormais répondre à l’exigence et imposer de nouveaux standards de qualité sur lesquels il devient difficile de trouver du travail et d’embaucher. La concurrence devient de plus en plus rude et peut empêcher de recruter. On pense à From Software et Larian Studios qui sont unanimement reconnus par les joueurs et la presse dans leur excellence.
Le secteur touché en France ?
Avec un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros en 2022, l’univers du jeu vidéo en France est devenu le numéro 1 du secteur créatif et de la culture, dépassant la musique et le cinéma. De nombreux talents se découvrent chaque année et sont de plus en plus primés et acclamés des joueurs. On pense à Stray mais aussi à A Plague Tale pour ne citer qu’eux. Citons également le récent succès de Tchia. Le milieu vidéoludique français n’est pas le plus concerné par les licenciements. Il se porte même plutôt bien.
En revanche, travailler dans le milieu du jeu vidéo en France demande des diplômes spécifiques. Il faut donc se tourner vers des formations très chères dans lesquelles beaucoup d’étudiants vont commencer à s’endetter. Etant un secteur de plus en plus demandé dans le marché du travail, la concurrence est aussi rude que dans n’importe quelle profession. Selon un sondage du Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo, 85% des employés en France ont moins de 5 ans d’ancienneté dans une entreprise. 44% des travailleurs décrochent uniquement un Contrat à durée déterminée. Le journal L’Humanité expliquait dans un article que les « métiers passions » de l’industrie vidéoludique n’étaient pas assez payés. En exemple, en septembre 2022, des salariés du studio Don’t Nod manifestaient pour évoquer les revendications salariales.
La France et la pratique du crunch
En fait, le jeu vidéo français semble aller bien et réussit à s’exporter à travers le monde. 52 % des entreprises ont embauché de nouveaux employés durant cette année 2023.
Cependant, il faut souligner que, selon le syndicat, de nombreuses entreprises exercent aussi la pratique du crunch. Ces heures supplémentaires représentent généralement plus de 2 heures de travail en plus par jour, sans forcément bénéficier d’un bonus salarial. Selon le sondage, 21% des sondés confrontés à cette situation ont été rémunérés en heures supplémentaires, tandis que 29,8% d’entre eux n’ont tout simplement eu aucune compensation. Certains ont pu obtenir de congés supplémentaires ou des primes.
Les développeurs ne sont pas les seules victimes
Les yeux sont rivés vers les licenciements, les fermetures des studios de développement et les éditeurs en déficit. Pourtant, elles ne sont pas les seules victimes. Le secteur vidéoludique est frappé dans son ensemble aussi bien sur ses rassemblements que sur ses journalistes. C’est ce que révèlent des articles de Games Industry :
- En novembre, il est confirmé que le média Kotaku réduit ses effectifs.
- Jezebel, un média féministe depuis 16 ans ferme aussi ses portes.
- Plus tôt dans l’année, Vice fait fermer sa section de jeux Waypoint.
- Mentionnons également que les journaux Gamespot (ayant révélé la supercherie Abandoned) et Giant Bomb ont aussi perdu entre 40 et 50 membres du personnel.
Enfin, la chute définitive de l’E3, survenue le 12 décembre 2023, risquerait aussi d’avoir des conséquences. Rob Fahey, rédacteur de Games Industry, écrit à propos de la fin de l’évènement mondialement reconnu.
Il était sans aucun doute temps que l’événement disparaisse – il y a de solides arguments à faire valoir que le format même du salon lui-même faisait écho aux racines de l’industrie dans l’électronique grand public plutôt qu’à son statut actuel d’industrie importante des médias et du divertissement. D’une part, et les progrès en matière de streaming vidéo et de distribution numérique ont rendu le coût de l’émission pour toutes les parties impliquées de plus en plus difficile à justifier.
Rami Ismail écrivait sur Twitter : « En 2023, l’industrie du jeu vidéo devrait générer plus de 490 milliards de dollars de revenus. Soit 81 millions de dollars par développeur licencié ». Malgré l’effervescence d’un milieu générant des bénéfices, le secteur vidéoludique semble subir les conséquences de l’inflation et de la pandémie. Le développement d’un jeu peut prendre plusieurs années, et les coûts deviennent de plus en plus élevés. De nombreux projets sont alors annulés afin de ne pas prendre le risque d’une absence de rentabilité.
This is useless math but it serves a point: in 2023, the games industry made a revenue of $81 MILLION PER DEV LAID OFF.
Games is expected to turn a US$490.60 billion revenue in 2023. Over 6,000 developers have been laid off in 2023.
491 billion / 6,000 = 81,666,666.67
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— Rami Ismail / رامي (@tha_rami) October 31, 2023
Bande-annonce Hogwarts Legacy (le jeu le plus vendu de 2023)
Sources :
5 Replies to “Jeux vidéo : On compte environ 10 000 licenciements dans le secteur en 2023 !”