« Rose Bertin, la couturière fatale », mode et révolution française [critique]

Rose Bertin, la couturière fatale est sorti chez Michel Lafon et nous transporte dans la France des Lumières, la cour de Versailles et la révolution qui fascinent décidément le Japon. Cet enthousiasme lancé par La rose de Versailles (Lady Oscar en animé) en 1972, a engendré une descendance multiple et éclectique. Si Innocent de Shin’ichi Sakamoto prend pour héros les bourreaux officiels du roi, le Troisième Gédéon met en scène des révolutionnaires fictifs. Et dans Versailles of the Dead, Paris est peuplé… De zombies. Dans cette grande famille franco-japonaise, Rose Bertin, la couturière fatale tient plus de la biographie libre que de l’uchronie déjantée.

Résumé : 1766, Abbeville. Rose Bertin est de loin la meilleure couturière de la ville. Ses robes fluides et confortables font sensation. On loue ses concepts novateurs et sa dextérité hors normes. Mais la jeune femme aspire à mieux. Elle rêve de gloire, de Paris et de devenir la plus grande couturière de France ! La concurrence sera rude pour imposer son style face à sa rivale Marie-Jeanne Bécu, la modiste la plus influente de la capitale.

Rendre l’Histoire passionnante

Les mangas représentent une porte d’entrée accessible et enthousiasmante pour les lecteurs, qui y découvrent des sujets magnifiés, idéalisés, sans être rebutants par une trop grande complexité ou froideur technique. Qu’ils aient pour sujet la cuisine, le football, l’automobile, le patinage artistique, l’architecture, la magistrature… On se fait facilement happer par leur mise en scène et Rose Bertin, la couturière fatale ne fait pas exception à la règle.

Ici, ce sont la mode et l’histoire de France qui sont revisitées à travers la plume de Isomi Jingetsu, dont c’est le troisième manga. L’auteur, qui s’était précédemment attaqué aux échecs (Chrono Monochrome, inédit en France) et au base-ball (Knuckle Down, idem) a l’habitude de se plonger dans des univers techniques, documentés. Il se prête dans cette nouvelle saga à l’exercice familier de jongler entre réalisme historique et dramatisation pour un résultat des plus réussis.

Le parti-pris de s’attaquer à une figure en marge des grandes personnalités historiques permet d’offrir une lecture différente d’une période qui nous est familière. On croise bien les plus grands noms de l’époque, mais Isomi Jingetsu préfère s’attarder sur les artistes et artisans qui ont contribué à donner son faste et son rayonnement à Versailles et de Paris. Moins documentés, moins connus, ils offrent une plus grande liberté au mangaka qui n’hésite pas à combler les pages vides de leur Histoire. Rose Bertin, Mademoiselle Pagelle, Léonard-Alexis Autier prennent vie au fil des pages et nous font découvrir l’envers du décor, une sorte de visite d’arrière-boutique du Paris du 18ème siècle.

Isomi Jingetsu est un passionné et son enthousiasme se fait sentir dans son dessin comme dans ses notes de fin de chapitre. Ces dernières retracent ses entretiens avec son tantō, concernant les repérages et la recherche de références historiques, notant au passage les écarts que le mangaka fait parfois pour servir l’intrigue.

Comprendre Rose Bertin

Qui dit adaptation de la vie de Rose Bertin et de la haute couture, dit quantité de tissus et de tenues exceptionnelles à dessiner. Le trait fin et délicat d’Isomi Jingetsu se prête bien à l’exercice, faisant ressortir les textures, la transparence et le charme de la soie, la mousseline, des dentelles de l’époque. Un soin du détail qui permet de (re)découvrir, parfois avec surprise, les extravagantes modes de la cour de Versailles. Mention spéciale à la coiffure du « pouf à sentiments » qui repousse toutes les limites de la gravité et du bon goût.

À travers le personnage de Rose Bertin et de ses consœurs, on se familiarise surtout avec la condition féminine du 18ème siècle. Manque d’indépendance, impossibilité de se marier pour faire carrière, besoin d’être officiellement soutenue par des hommes, sexualisation du corps et place des courtisanes… Le manga n’hésite pas à mettre au cœur de son intrigue ces problèmes et des personnages féminins forts qui s’entraident pour les dépasser, ce qui est rare et agréable.

Avec un regard empathique, Isomi Jingetsu nous rapproche de ces femmes qui ont choisi de se battre pour s’affranchir de leur condition. Le manga est drôle, émouvant, passionnant. L’intrigue comme le dessin deviennent meilleurs de tome en tome, révélant des personnages ambigus, des tenues incroyables et des moments d’Histoire bouleversants. Déjà 9 volumes sont sortis au Japon et le tome 2 sortira en France début Juillet chez Michel Lafon (Kazoku). 

Sources

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