« Strange Way of Life » d’Almodóvar : quelques accrocs au costume, mais on en redemande… [critique]

"Strange Way of Life" d'Almodóvar : quelques accrocs au costume, mais on en redemande... [critique]

Yves Saint Laurent s’est offert un nouveau court-métrage d’auteur au Festival de Cannes 2023. La marque, forte de son expérience avec Gaspar Noé pour Lux Aeterna, a cette fois engagé Pedro Almodóvar. Avec Strange Way of Life, le réalisateur espagnol s’essaie à un territoire encore inexploré pour lui : le western. 

Sorti le 16 Août dans les cinémas, le court-métrage est diffusé avec une ancienne réalisation de Pedro Almodóvar : La voix humaine. Ce double programme ne fait que renforcer les différences entre les deux œuvres. En effet, là où La voix humaine est solitaire et froid, Strange Way of Life est un duo ardent où couvent les passions.

Dès le premier visionnage, on est en terrain familier. Le synopsis ressemble bien à du Almodóvar, puisqu’on plonge dans les non-dits, la tension qui monte, le désir et les émotions refoulées. L’histoire suit Silva, un cow-boy qui  traverse le désert à cheval pour retrouver Jake, shérif d’une petite ville. Les deux hommes se sont connus vingt-cinq ans plus tôt lorsqu’ils étaient tous deux tueurs à gages. Silva souhaite renouer avec son ami, mais ces retrouvailles ne sont pas sa seule motivation…

Un projet hommage

Pedro Almodóvar a choisi de tourner en Espagne, à Almeria, dans les décors d’Il était une fois dans l’Ouest, de Sergio Leone. En effet, le réalisateur espagnol est un grand fan du western classique et spaghetti, bien qu’il les ait découvert sur le tard.

Ce n’est pas le premier genre auquel j’ai été sensible, mais il est devenu un de mes préférés.

Pedro Almodóvar

Strange Way of Life fait référence à de nombreuses œuvres cultes. Si les aficionados y prêtent attention, ils pourront retrouver une quantité impressionnante de clins d’œil. Tout d’abord, Almodóvar a basé son intrigue sur un flash-back qui rappelle une scène de La Horde Sauvage. Mais on note également un hommage aux costumes de La Rivière rouge, Les Affameurs et El Dorado. En ce qui concerne les personnages, il faut regarder du côté du Dernier train de Gun Hill. En effet, le personnage de Jake est né de ce film et de Règlements de comptes à O.K. Corral. Quant à la mise en scène, elle est inspirée des films de John Ford.

La première référence, pourtant, lorsqu’on associe western et romance homosexuelle, est certainement Brockeback Mountain. Pedro Almodóvar le sait et assume la filiation. Selon lui, son court-métrage est là pour répondre à la question que le film culte posait : que peuvent faire deux hommes ensemble dans un ranch? Et si un réalisateur est en effet légitime pour répondre à Brockeback Mountain, il s’agit bien d’Almodóvar. L’homme qui a toujours mis en scène des personnages queer s’amuse du fait que son entrée dans le western était facile. Selon lui, les westerns étant machos, la présence des femmes y était anecdotique. De là, il n’y avait qu’à se servir de cette omniprésence masculine pour y injecter une bonne dose d’homo-érotisme.

Le point fort d’Almodóvar : le casting

On connaît les castings exceptionnels du réalisateur espagnol. Ici encore, c’est un sans-faute. Pour incarner le duo central, le réalisateur a engagé Pedro Pascal (The Mandalorian, the Last of Us) et Ethan Hawke (Bienvenue à Gattaca, Le cercle des Poètes Disparus). L’alchimie entre les deux hommes trouve sa source dans leur complémentarité. Silva, incarné par Pedro Pascal, est ouvert, sensuel et va droit au but. Le shérif Jake lui, est réservé, méfiant et froid. De longs silences ponctuent tout le court-métrage, pendant que les personnages se jaugent, tentent de deviner leurs intentions, hésitent à agir.

Il y a une certaine intensité dans ces pauses, qui sont très érotiques et charnelles pour moi.

Pedro Almodóvar

Toute l’histoire tournant autour de la relation qu’entretiennent les deux hommes, le réalisateur n’hésite pas à se rapprocher des visages, de l’émotion. Les gros plans s’enchaînent et prennent leur temps. Et les acteurs sont au niveau. Frémissement d’un sourire, regard plein de reproche, froncement imperceptible de sourcils, le duo s’essaie à la finesse d’un jeu intériorisé.

Une romance queer réussie

Quant aux scènes intimes, si on laisse à notre imagination le cœur de l’action, Pedro Almodóvar nous offre l’avant et l’après. Les scènes sont claires : gros plans sur les fesses de Silva, habillé puis dénudé, face à face horizontal et sensuel, mains qui se glissent dans le pantalon. Le film n’est pas puritain et n’hésite d’ailleurs pas à glisser dans le fantasme avec cette scène d’orgie avinée entre Jake, Silva et trois prostituées enjouées.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le réalisateur a décidé de faire appel à Pedro Pascal. Selon lui, l’acteur a un sex-appeal désarmant et joueur. Si l’on pense à la scène d’orgie bisexuelle qui l’a introduit dans Game of Thrones, on ne peut qu’acquiescer vigoureusement. Quant à Ethan Hawke, ce dernier a déclaré :

J’ai toujours été partant pour passer un bon moment. Je sais que Pedro a beaucoup réfléchi à ce qu’il essayait de communiquer au public. Il essaie toujours de comprendre l’histoire qu’il veut raconter.

Ethan Hawke

Les acteurs qui interprètent leurs personnages jeunes, José Condessa et Jason Fernandez, sont eux aussi pleins de charisme et de sensualité. Et ce bel ensemble trouve son équilibre dans les dialogues, qui sont à l’habitude du réalisateur, impactants et très sensibles. Hommage à la provocation de Silva : « Que diront les gens quand ils trouveront un homme mort dans ton lit, encore à moitié nu et sentant le sperme à plein nez ? »

Habitués à voir rimer film gay et drame, il est plutôt agréable de voir que le film se conclut sur une scène douce et réunissant nos deux personnages. Bien que l’issue ne soit pas totalement claire, ce moment d’apaisement nous laisse entrevoir un espoir de romance à l’écart du monde. On en redemande et on aimerait voir le film s’éterniser pour devenir un long-métrage.

Pari réussi donc, pour Almodóvar ?

Almodóvar ou Yves Saint Laurent ?

Almodóvar semblait un choix plus que pertinent pour une collaboration avec une maison de mode. Le réalisateur possède en effet une maîtrise chromatographique très codifiée. Cette dernière fait de ses films une palette de couleur et de style très reconnaissable. A travers des décors et des costumes minutieusement travaillés, ses films ont peu à peu contribué à créer sa propre « marque ». Seulement, jusqu’ici, ces considérations stylistiques avaient toujours été au service du scénario et des émotions qu’il véhiculait.

On peut reprocher une chose à Strange Way of Life : la présence phagocytante de la marque Yves Saint Laurent. Si les costumes, créés par Anthony Vaccarello sont magnifiques, leur mise en scène appuyée se remarque sans peine. Gros plans sur la veste vert pomme de Silva, le tiroir de sous-vêtements, les bottes au pied du lit, la couverture, etc. Posséder une garde-robe incroyable est une chose. Mais se détourner des acteurs et de l’émotion pour se concentrer sur leurs costumes en est une autre. On peut donc regretter que, parfois, Strange Way of Life ressemble plus à une longue publicité de marque qu’à un film d’auteur. Le rythme s’en trouve brisé dans quelques séquences et nous sort de la diégèse.

Un nouveau film déjà en cours

Néanmoins, on peut se féliciter de l’existence de ce projet. Si la fameuse maison de mode ne l’avait pas financé, on ne l’aurait sûrement jamais vu sur nos écrans. La collaboration avec les marques est en train de se démocratiser. Il ne s’agit pour les réalisateurs que d’un nouveau moyen de production. Or, avec ce court-métrage, Pedro Almodovar semble s’avancer vers un projet qui lui tient à cœur : son premier long-métrage anglophone. En effet, après avoir travaillé sur un film avec Cate Blanchett  pendant deux ans, il s’est résolu à l’annuler au dernier moment. Si l’on en croit le réalisateur, la cause principale était l’angoisse de l’organisation. Un tournage anglophone avec une production espagnole représente pour lui un véritable casse-tête.

Espérons qu’avec Strange Way of Life, ses craintes s’estompent peu à peu. Almodovar l’affirme : il a déjà un script pour son prochain film anglophone. Tourné fin 2023 si tout se passe selon ses plans, il s’agirait d’une histoire suivant un trio new-yorkais. Court ou long-métrage, on l’ignore encore mais on l’attend déjà avec impatience. 

Sources :

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