A sa sortie en 2018, Megalo Box est simplement un joli cadeau d’anniversaire pour fêter les 50 ans d’Ashita no Joe, le très célèbre manga de Tetsuya Chiba et Asao Takamori. Produire des one-shot célébrant des œuvres cultes est une pratique très courante dans l’édition japonaise et on n’hésite pas à faire appel à de grands artistes pour les réaliser (on peut penser à Naoki Urasawa et son Pluto pour rendre hommage à Astroboy de Tezuka).
Megalo Box boucle son intrigue en 12 épisodes, rencontre un succès immédiat et parvient à capturer l’esprit de l’œuvre originale. Mission réussie donc ! Mais en 2019 l’annonce d’une deuxième saison vient faire hausser un sourcil sceptique aux fans… Sous le titre de Megalo Box Nomad, cette suite qui se présentait d’abord comme un cheveu sur la soupe s’est révélée être bien plus qu’une vampirisation marketing du succès de la licence et est même aujourd’hui mieux notée que la saison 1. Un succès qui fait plaisir et que l’on ne peut s’empêcher de décortiquer.
Un socle solide
Le cœur du manga Ashita no Joe repose dans son message social, qui dénonce les conditions de vie japonaises d’après-guerre et les conséquences sur les défavorisés au début des années 60. Les bidonvilles, le centre d’adoption et de correction, la prison sont les décors désabusés et violents d’une histoire qui met en scène un orphelin prêt à tout pour s’en sortir et à qui il ne manque qu’un cadre qu’il trouvera à travers la boxe et un entourage solide.
La saison 1 de Megalo Box représente une réécriture abrégée de cette histoire dans un univers alternatif futuriste. On traîne dans des bidonvilles, on suit la montée de Joe, on traite de la pauvreté, de la corruption dans le milieu du sport, de la guerre et du désespoir des marginaux et on laisse Joe au sommet. Comment poursuivre ? Une énième réécriture n’ayant aucun sens, Megalo Box saison 2 a fait le choix courageux et intéressant de se concentrer sur un message social tout aussi fort mais différent. On met désormais un coup de projecteur sur une population et des héros qui connaissent tout autant la pauvreté, la marginalité et le désespoir : les immigrés.
Au service d’une nouvelle cause
Joe continue d’être le fil conducteur entre les saisons mais désormais il s’efface pour laisser de l’espace à une communauté hispanique, immigrée d’Amérique du Sud, qui l’accueille pendant un temps. L’occasion pour le spectateur d’affronter des sujets durs : le racisme quotidien et les violences, la grande précarité, les problèmes d’intégration, le déracinement, le deuil des êtres chers… Rien à envier au Ashita no Joe original. Loin d’une victimisation pleurnicharde ou d’une romantisation de la pauvreté et du stéréotype du « bon sauvage », Megalo Box Nomad se contente de placer Joe en tant que spectateur des drames et combats qui émergent d’eux-mêmes dans cette situation sociale.
La saison 2 se divise en 2 parties. On pourrait craindre qu’avec des sous-parties et autant de thèmes, la série soit confuse mais on ne se sent jamais perdu. Le sujet de l’immigration et du passé continue de le suivre et de traverser l’intrigue, dans la première partie où on suit Joe dans cette communauté et la seconde qui suit son retour dans son ancienne ville où il doit affronter les conséquences de son départ.
En effet, la diaspora sud-américaine est représentée à travers plusieurs héros qui ont tous leur sous-intrigue : Chief, Maria, Mac (Rosario), Mio. L’effacement partiel de Joe permet à ces nouveaux personnages de briller et d’offrir une nouvelle portée au message social de l’animé. On a trop peu souvent l’occasion de croiser un casting avec autant de personnages de couleur (et féminins) aussi développés et Megalo Box réussit son pari de leur donner vie et d’en faire des héros puissants.
De la maturité…
On l’a compris avec l’effacement de « Gearless Joe » et l’arrivée de nouveaux héros, la saison 2 de Megalo Box ne craint pas d’apporter de la nouveauté. Et c’est là sûrement que réside la plus grande clé de la réussite de Nomad. Au lieu de répéter à l’infini une recette qui marche, l’équipe dirigée par Yo Moriyama (dont c’est la première série à la réalisation, après avoir travaillé entre autres sur Master Keaton d’Urasawa et Redline) a préféré prendre des risques.
Si les spectateurs aiment se rattacher à la nostalgie et n’aiment pas voir changer, grandir, mourir leurs personnages fétiches, eh bien il vaut mieux pour eux se diriger vers Detective Conan que vers Megalo Box (les adeptes du genre penseront aussi à Vinland Saga qui n’hésite pas à prendre cette direction).
En effet, Nomad a fait passer le temps, 7 ans exactement, entre ses deux saisons. Et tout le monde a changé, à commencer par Joe. Car si pour nous, le générique de fin de la saison 1 sonnait la fin de ses aventures, lui a continué à vivre sans qu’on ne le voie. Et lorsqu’on le retrouve, c’est avec des problèmes qui sont différents eux aussi, des problèmes d’adulte qui a grandi et évolué et qui donnent le ton : addiction, fuite et abandon, syndrome de stress post-traumatique…
Les démons de Joe sont liés à ses responsabilités grandissantes, à son statut de star, à ses deuils que la vie continue de lui apporter, aux conséquences de ses choix… Et on peut dire que l’ensemble de cette saison mûrit avec lui, ce qui permet à Megalo Box de pousser ses thèmes plus loin et d’entrer dans des sujets plus durs et plus intéressants.
Tout comme Joe, les nouveaux héros de cette saison sont des hommes plutôt mûrs. Chief et Mac ont eux aussi des dilemmes complexes et une histoire pleine d’humanité dure et touchante qui les force à vivre avec les conséquences de leurs choix. S’éloignant du classique affrontement entre deux rivaux (comme Yuri et Joe dans la saison 1), Nomad s’essaie à des dynamiques plus recherchées, où les « méchants » disparaissent presque pour laisser place à une représentation plus juste et plus nuancée du monde.
… Mais toujours avec fougue !
Une saison plus mature, plus complexe du point de vue de la narration, c’est une belle surprise pour les fans. Mais Nomad a aussi fait le choix de conserver l’énergie, la colère et la fougue rebelle de la première saison et même de la série originelle Ashita no Joe. Et pour ça, Joe passe le relais aux jeunes générations, aux adolescents au sang bouillonnant qui remplissent également le casting.
Après tout, c’est un des points forts de l’œuvre, qui en fait un shōnen puissant et impactant. On retrouve là aussi les enfants de l’orphelinat, Sachio en tête qui ont grandi et prennent plus d’importance. Mais aussi Mio, le jeune immigré qui est perdu entre ses racines et son pays d’accueil et Liu qui a la fougue des jeunes combattants… Nomad a la grâce de leur donner à chacun d’entre eux des objectifs propres, une personnalité différente et d’en faire des personnages intéressants.
Côté combats, l’animé n’a pas oublié ses racines et continue de nous en mettre plein la vue avec peut-être même plus de satisfaction que la saison 1 qui nous promettait parfois plus que ce qu’elle pouvait nous offrir. Les matchs de boxe sont toujours aussi puissants et galvanisants mais là aussi, on peut remarquer un changement dû au ton de la série… Car si on s’attachait dans la première saison adolescente à la gloire et à l’extase de l’affrontement, à la joie sauvage du combat… Désormais c’est avec une crainte latente qu’on remarque chaque coup et blessure, qu’on observe les après-matchs, craignant les conséquences de cette violence que cette nouvelle saison n’hésite pas à montrer frontalement.
Néanmoins, Nomad sait trouver son équilibre et ne renie pas les origines de Joe, ni sa passion dévorante pour la boxe. Alors jusqu’au bout, et tout en nous faisant prendre conscience des risques, on peut voir notre héros affronter des adversaires acharnés dans de vrais matches galvanisants et très bien animés. L’animé cherche à éveiller autre chose chez le spectateur, à diriger son regard, mais n’hésite pas à nous faire ressentir l’adrénaline qui continue à pousser les boxeurs à rester sur le ring malgré les dangers.
Un nouveau Megalo Box
Nomad a su trouver une nouvelle identité, une unité artistique qui lie tous les épisode et qui marque définitivement la transition entre les deux saisons. Les titres poétiques en espagnol, la musique nostalgique de Mabanua (décidément, de quoi nous rappeler Bleach parfois), la mélancolie qui témoigne du temps qui passe et qui revient hanter les personnages et l’esthétique de la série comme ce colibri qui ne cesse d’apparaître devant eux… Des choix marqués et assumés qui en font une œuvre entière, qui se suffit à elle-même tout en offrant une très belle suite à la série originale.
Cette deuxième saison est sombre, fidèle à Ashita no Joe et son pessimisme latent, mais avec de l’espoir. Nomad n’offre pas la vision d’un monde où tout est foutu, mais plutôt d’un monde malade, où chacun abrite une partie de la solution. Tout en équilibre, Nomad donne au spectateur de l’action réussie, mais pas au dépend de ses personnages. Comme s’ils chérissaient ces créatures déjà meurtries, les animateurs refusent de les sacrifier, préfèrent les voir remonter la pente lentement. Et au lieu d’enfoncer l’idée du défaitisme chez le spectateur, cette deuxième saison ouvre une voie différente, qui pousse à aller de l’avant, encore et encore. Un appel au courage, à la résilience et au soutien.
Ici, c’est la famille, qu’elle soit de sang ou bien choisie qui permet d’avancer. Voilà le message effleuré dans Megalo Box et approfondi dans Nomad. Face à tous les événements traumatiques qu’affrontent nos personnages, face à leurs problèmes personnels ou bien à l’oppression de la société, les liens qu’ils construisent sont salvateurs. Et plus les épreuves sont dures, plus ces liens sont importants, pouvant facilement être la seule chose qui les fait osciller entre la vie et la mort. En bref, dans un monde individualiste et ultra-capitaliste comme celui de Joe, le message est simple : l’union fait la force.
Nomad avait tout pour réussir et c’est une grande déception que la série soit passée sous le radar de la plupart des fans d’animé. Si sa qualité fait l’unanimité, c’est la quantité de spectateurs qui fait grincer des dents. La faute sûrement à une communication insuffisante. Mais qu’on se rassure, Nomad est en route pour devenir un des grands classiques underground de l’animation, qu’on verra sûrement ressurgir dans le futur. On ne peut que se réjouir qu’une suite ait déjà pu voir le jour, là où tant d’autres sont annulées. L’animé réalisé par TMS Entertainment (Fruits Basket, Lupin III, Sherlock Holmes, Cobra) est à découvrir ou redécouvrir sur Crunchyroll !
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