« PLANETES » : premier manga de l’auteur de « Vinland Saga »

"PLANETES" : premier manga de l'auteur de "Vinland Saga"

Il y a des auteurs comme ça qui fracassent tout dès leur première œuvre. Makoto Yukimura, l’auteur de Vinland Saga, en fait partie. Sorti de l’université des beaux-arts Tama, il arrive sur le devant de la scène dès 1999 avec son premier manga original : PLANETES. La sérialisation durera 5 ans et aura même droit à un anime de 26 épisodes. Retour sur ce succès immédiat d’une œuvre encore mal connue en France.

Un chemin tout tracé

Makoto Yukimura attaque sa carrière de mangaka comme beaucoup d’autres avant lui : en tant qu’assistant. Il aide son sensei, Shin Murimura (Ma vie dans les bois), à compléter ses planches et apprend le métier à ses côtés. L’auteur de PLANETES et de Vinland Saga lui en restera éternellement reconnaissant.

C’est lui qui m’a tout appris. (…) J’étais un peu prétentieux. Je pensais être bon en dessin et quand j’ai vu ce dont était capable un auteur pro, en comparaison avec mon niveau d’amateur, j’ai eu un choc. (…) Le sens des responsabilités, le respect des contraintes, la gestion humaine d’une équipe… Tout ça, je l’ai appris avec Morimura-sensei.

Yukimura-Sensei

Après quelques années en tant qu’assistant, Yukimura a envie de voler de ses propres ailes. Il cherche une histoire à raconter et tombe à la bibliothèque sur un livre qui parle de débris spatiaux. Il découvre alors le danger que représentent ces débris pour l’exploration spatiale, à travers le syndrome de Kessler. Comprenant qu’il peut mettre en scène le travail à la fois pénible et exceptionnel de nettoyeur de l’espace, Yukimura se lance.

Hachi, le jeune Japonais membre du Toy Box

Synopsis : En 2075, un groupe d’astronautes travaille à la récupération des débris spatiaux en orbite autour de la Terre, dans son vaisseau nommé Toy Box. En plus d’être l’un des métiers les plus dangereux de la station, c’est aussi le moins gratifiant. L’équipe, composée de la capitaine Fi, de Hachirota et de Yuri, travaille avec acharnement. Chacun a ses rêves et compte bien aller jusqu’au bout.

Les premières planches que Yukimura montre au tantô de son sensei, M. Kanai, sont acceptées. Au lieu de lui proposer de concourir dans les fameux concours de jeunes talents, M. Kanai publie directement le premier chapitre de PLANETES dans le magazine Morning, de la Kôdansha. Et alors qu’il s’agissait d’un one-shot, il pousse le jeune homme à une publication mensuelle.

Et voilà PLANETES

Pour un premier manga, ce qui frappe immédiatement, c’est la maîtrise du trait et de l’espace. Les dessins sont nets, le découpage est clair et le mangaka n’hésite pas à prendre des libertés. Yukimura a compris qu’avec le thème de son œuvre, il avait l’occasion d’offrir des vues spectaculaires, qui captivent l’œil. Et il n’hésite pas un instant. Plus d’une fois, en tournant les pages, on est frappé par la beauté de l’œuvre. Les visages n’ont rien à envier aux paysages : certaines scènes de furie semblent tout droit sorties de Berserk.

Yuri, l’astronaute russe endeuillé membre du Toy Box

Si l’intrigue met quelques chapitres à trouver sa voie, cela nous permet au moins de profiter de la création du manga « en temps réel ». Ainsi, le personnage principal passe du Russe mature et endeuillé, Yuri, à un personnage plus jeune, plein de rage et d’ambition, Hachirôta (Hachi). Ce dernier change d’ailleurs de couleur de cheveux en plein troisième chapitre.

En se basant sur un équipage qui affronte à la fois le danger de l’espace et ses propres démons, Yukimura s’offre une palette d’action assez large. Il jongle assez rapidement entre drame et humour, n’hésitant pas parfois à mêler les émotions. Et grâce aux personnages qui ne sont finalement que des ouvriers mal payés, venant d’horizons différents, le lecteur s’identifie assez facilement. Suivant les conseils de son tantô et son rythme de création un peu lent (Yukimura-sensei l’admet bien volontiers), PLANETES prend enfin forme.

Une œuvre déjà mature

Le premier chapitre prouve dès le départ la maturité des thèmes abordés par Yukimura. Et le mangaka ne tombe pas dans le piège des monologues sans fin. Dès sa première œuvre, il sait transmettre des histoires et non des messages, laissant le lecteur faire son propre chemin.

Son talent se révèle dans le portrait humain, plein d’émotions et d’empathie. En effet, à travers ses personnages principaux et secondaires, le mangaka aborde des questionnements et sentiments universels. La mort, l’amour, la violence, la solitude, l’amitié, la liberté, le sexe. Mais également des thèmes un peu plus rares au sein d’une première œuvre seinen aussi « grand public » : le racisme, le terrorisme, la radicalisation, l’écologie. Cependant, on ne lit jamais de jugement sous les traits de Yukimura. Il se contente de décrire, avec finesse, tous les aspects, même les plus sombres, de l’être humain.

L’Américaine Fi, capitaine du Toy Box face à un Hachi et un Yuri penauds

Si les personnages secondaires sont nombreux et éclectiques, l’équipage du Toy Box présente déjà un certain terrain émotionnel. Yuri garde son deuil secret en attendant de pouvoir retrouver la dernière trace de sa femme décédée. Hachi veut devenir un des premiers astronautes à explorer Jupiter et posséder sa propre navette. Fi, elle, veut rester vraie avec elle-même tout en étant obligée de gérer les choix politiques de ses supérieurs. Elle est également responsable de son équipe et porte un grand poids sur ses épaules. Sans compter qu’elle est mère et doit affronter les premières crises d’adolescence de son fils.

Yukimura nous offre ainsi, l’air de rien, une équipe prolétaire, internationale, menée par une femme. Pour un jeune homme qui, selon lui-même, « ne sortait jamais de sa chambre mais voulait explorer le monde », il a su faire preuve d’une justesse tout à fait passionnante.

Une reconnaissance française tardive, après Vinland Saga

La sérialisation de PLANETES a lieu de 1999 à 2005. L’œuvre arrive en France en 2003 et connaît un succès modeste, mais certain. Le studio Sunrise (Cow-Boy Bebop, City Hunter, Gundam) adapte le manga en 2003 et attire donc encore plus de public. Lorsque, deux ans plus tard, PLANETES se conclut, les yeux se tournent déjà vers la prochaine création du mangaka…

Avec Vinland Saga, Yukimura touche déjà le jackpot. Il ne s’agit que de sa deuxième œuvre, mais son tantô avait fleuré le bon filon. Le manga devient un succès mondial et un des titres phares, surtout depuis son adaptation en anime par le fameux Studio MAPPA (Yuri On Ice, Jujutsu Kaisen, Chainsaw Man, Dorohedoro).

Depuis, les éditeurs s’intéressent de nouveau à la genèse de l’artiste et redécouvrent PLANETES. Plusieurs rééditions du manga ont lieu, en perfect édition puis avec des couvertures originales. Au festival d’Angoulême 2010, Yukimura-Sensei est l’invité d’honneur du manga building. En 2023, plus de 20 ans après sa sortie, PLANETES est sélectionné au même festival d’Angoulême pour le prix Eco-Fauve Raja.

Affiche originale créée par Yukimura en l’honneur de Moebius

Créée au tournant de l’an 2000, l’œuvre est plus d’actualité que jamais grâce à son message écologiste et humaniste. L’empathie. La clé de PLANETES. Yukimura nous offre une œuvre optimiste, au fond, sur l’être humain. Une œuvre parfois pleine de fureur et de désespoir, mais où la flamme ne s’éteint jamais vraiment. Car le mangaka nous le prouve en se glissant lui-même dans la peau de ses personnages : on peut toujours se mettre à la place des autres. Et ainsi, en sauvant l’autre, on se sauve soi-même.

 

Sources :

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