Présents tous deux lors de cette 52ème édition du FIBD, Guillaume Singelin (Frontier, PTSD) et Matthieu Bablet (Carbone et Silicium) sont allés à la rencontre de leur public pour fêter la sortie du premier tome de leur nouvelle série : Shin Zero. Ce renouveau du Super Sentai aux Power Rangers uberisés, démystifiés (et même désabusés) est une proposition forte, qui correspond très bien à son duo d’auteurs.
Aux origines de ce projet, une rencontre en deux temps. D’abord, l’idée un peu originale de Matthieu Bablet qui s’imagine en 2016, entre deux histoires, l’uberisation de ces super-héros colorés et qui en parle à son entourage. Mais ce concept ne prend pas forme, puisqu’il se concentre bientôt sur Carbone et Silicium, laissant les Power Rangers au placard. En 2022, un autre artiste et copain de sa maison d’édition Rue De Sèvres, Guillaume Singelin, est alors en train de finir sa BD Frontier et commence déjà à réfléchir à la suite. Et la suite, vous la connaissez : c’est enfin le bon moment pour nos deux bédéistes de collaborer sur ce qui deviendra Shin Zero.
Pour Guillaume Singelin, c’est l’occasion de rompre avec son projet précédent, aux personnages chibi dans l’espace, pour se concentrer sur un dessin plus réaliste et faire une pause scénaristique. Artistiquement, le dessinateur avoue avoir pris beaucoup de plaisir à repousser ses limites de mise en scène et de mise en page dans ce projet plus manga que jamais, lui dont les jeunes années ont été marquées par la découverte d’auteurs japonais puissants comme Taiyō Matsumoto (Ping Pong).
Dépoussiérer le Sentai avec Shin Zero
Si la collaboration des deux artistes s’est faite aussi naturellement, c’est aussi grâce à des influences communes, qui une fois mêlées au Super Sentai, leur ont permis d’amener une proposition nouvelle sur la table. En effet, Shin Zero surfe sur la vague de la réappropriation du tokusatsu par une nouvelle génération qui a, sinon une lecture différente du genre, des envies de rompre avec des clichés vieux de 70 ans et une absence de fond scénaristique. On peut ainsi penser à Shin Godzilla, Shin Ultraman et Shin Kamen Rider de Hideaki Anno (Evangelion) et Shinji Higuchi (film L’Attaque des Titans).
Ces nouvelles séries de film aux thématiques humaines fortes, qui se détachent du merchandising pour se concentrer sur leurs personnages et qui les mettent en scène dans un réalisme trivial (et donc plus impactant), ont une influence très forte sur les créateurs de Shin Zero qui s’y reconnaissent en termes de démarche. En tournant les pages de leur manga, il est clair que c’est l’aspect tranche de vie et presque documentaire social qui prend le plus de place, avec des problématiques très actuelles. Néanmoins quand la baston ou les kaijus sont là, le dessin de Guillaume Singelin rend fidèlement hommage à l’esthétique et aux visuels impactants de nos souvenirs.
Faire sortir le coming-of-age de ses carcans…
Il y a un autre point qui tient à cœur aux deux collaborateurs : celui de libérer ces histoires tranches de vie et coming of age de clichés relationnels qu’ils considèrent toxiques. Repenser le passage à l’âge adulte et la maturité alors qu’ils approchent de la quarantaine a permis à Matthieu Bablet et Guillaume Singelin d’offrir un regard critique plus réfléchi, bien que toujours empathique, sur cette étape charnière de la vie.
Ainsi, on sent avec Shin Zero que leur travail de déconstruction et de « dénormalisation » touche particulièrement aux problématiques amoureuses et au genre. Proposant leur propre version de Femmes au bord de la crise nerf, les deux créateurs essaient de s’éloigner de leur propre prisme social pour ne pas fantasmer la réalité, mais en offrir une version qui inclut le vécu féminin. Ainsi se dévoile au fil des pages une réalité sociale crue et impactante qui pousse à des ras-le-bol et à des émancipations féminines fortes. Une proposition plus que bienvenue, surtout de la part d’artistes masculins qui doivent faire partie du combat pour que la société avance.
Cette démarche qui peut rappeler celle de One dans Mob Pyscho 100, à travers la fausse idée que se fait Mob de sa meilleure amie d’enfance et de la déconstruction progressive de leur relation, est un des points de nouveauté de Shin Zero, mais pas le seul. Rien que le high concept d’uberisation des super-héros offre un décalage constant qui fait que l’on rit jaune tout au long de l’œuvre. Ces Power Rangers de la lose, complètement paumés à l’aube de leur vie adulte nous attendrissent et nous agacent, dans un mélange d’émotions complexes qui réussit à refléter leur propre chaos intérieur.
… Et faire un beau manga
Que ce manga soit une réussite visuelle ne surprendra personne, vu le parcours artistique des deux créateurs et leurs références artistiques (Otomo, Matsumoto, Kitano). Les propositions de scénario de Matthieu Bablet et l’exécution graphique de Guillaume Singelin permettent de mélanger les scènes foisonnantes de détails du quotidien avec quelques pics d’action à l’esthétique joyeusement impactante. L’utilisation des couleurs, en décalage avec le manga classique, est un autre point de nouveauté qui a été très discuté lors de cette collaboration.
En effet, Shin Zero c’est du noir et blanc… Et un vrai petit arc-en-ciel qui en ressort de manière claquante quand on tourne les pages. Afin de pouvoir différencier les personnages dans leurs costumes iconiques, Guillaume Singelin, après avoir fait plusieurs essais et demandé l’avis de ses collègues du label 619, a finalement décidé de garder les couleurs qui les distinguent. Une proposition qui rend la lecture bien plus claire en facilitant leur identification, mais qui permet aussi d’exprimer toutes les émotions intériorisées des personnages dans de jolies métaphores visuelles.
Ce premier tome de Shin Zero, qui dissémine quelques lueurs d’espoir et d’amour dans une ambiance de pessimisme social désabusé ne signe pas la fin des aventures de Warren, Nikki, Heloïse, Satoshi et Sofia. En effet, puisqu’il s’agit d’une trilogie, on peut s’attendre à une évolution drastique des personnages de Matthieu Bablet et Guillaume Singelin dans le deuxième tome qui sortira courant 2026, avec notamment une ellipse temporelle des plus intrigantes…
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