Alors que le manga devient de plus en plus perméable aux influences étrangères, on assiste chaque année à la naissance de nouvelles œuvres hybrides, mixant cultures et dessins du monde entier. Si on peut penser à Jiro Taniguchi (Le Gourmet solitaire, Le Sommet des dieux) et ses influences franco-belges, à Moto Hagio et ses histoires inspirées par la science-fiction occidentale, c’est aujourd’hui sur une autrice plus discrète que l’on se penche.
Ebine Yamaji est une mangaka connue pour ses histoires yuri (romance lesbienne) dont le nouveau manga a remporté le prix Culturel de l’histoire courte Osamu Tezuka 2023. Le Monde dans leurs yeux est une œuvre au féminisme touchant et universel, où l’on voyage à travers la prise de conscience de jeunes filles du monde entier.
Un premier essai transformé
Le Monde dans leurs yeux est un virage réussi, mais pas si surprenant dans le parcours artistique de Ebine Yamaji. En effet, l’autrice s’était jusque ici concentrée sur des récits d’amour lesbiens (Free Soul, Indigo Blue) ou sur des personnages se reconstruisant après des violences sexuelles (Au temps de l’amour). Si la mangaka affirme que l’élément déclencheur pour cette nouvelle formule est due à son changement de tantō, on sent qu’elle navigue pourtant en terrain connu dans un exercice qu’elle maîtrise.
Avec une grande justesse, Ebine Yamaji dépeint les sentiments conflictuels de ses personnages, des jeunes adolescentes dont le regard s’éveille à la société qui les entoure et les emprisonne. On est charmé par la force naïve et innocente de ces émotions qui transparaissent, de ces révélations qui prennent tout à coup une mesure grave à travers leurs yeux. La mangaka réussit à sublimer les femmes, à saisir toute la force des compromis, de l’acceptation, de la soumission dont elles ont dû faire preuve, sans jamais prôner l’abnégation.
Au contraire, Le Monde dans leurs yeux encourage à briser ces schémas de soumission et délivre un message d’espoir pour celles et ceux qui souhaitent un monde plus égalitaire. Le manga présente ainsi des parcours de vie qui permettent de s’affranchir, notamment à travers le voyage et l’éducation. On apprécie également le fait que l’œuvre présente des modèles masculins encourageants et féministes, ainsi que des schémas familiaux alternatifs mais où l’amour est toujours présent.
Un manga pour toutes et tous
Avec son dessin et ses thèmes qui peuvent rappeler Marjane Satrapi (Persépolis, Poulet aux prunes), avec ses héroïnes du monde entier, avec son ton doux et sa pudeur, Le Monde dans leurs yeux s’adresse à un public très large. Il peut s’agir d’une parfaite première lecture pour sensibiliser au féminisme, pour faire voyager les enfants à travers les yeux de leurs alter-egos au Maroc, en Afghanistan, au Japon, en Inde ou en Arabie Saoudite.
Mais les adultes y trouveront aussi des personnages proches d’eux, plus matures et des thèmes forts en arrière-plan. Entre les modes de vie de parents divorcés, les fractures générationnelles entre parents et grand-parents, les choix pour assurer une meilleure vie à ses enfants… Il y en a pour tout le monde.
Avec ce changement de genre, sinon de ton, Ebine Yamaji change donc également de maison d’édition et si toutes ses œuvres jusqu’ici ont été publiées par Asuka, c’est chez Vega-Dupuis qu’on pourra se procurer Le Monde dans leurs yeux. Nouvelle pièce de leur catalogue ALPHA (mangas s’affranchissant des codes traditionnels), il sera disponible dès le 13 septembre en librairie. Il y rejoindra les œuvres Samura de Oku, Kurage de Hishiwo Miyazawa et l’art-book de Toy-E Superbeast.
Magnifique recueil d’émancipations féminines, Le Monde dans leurs yeux est un premier essai réussi de manga choral pour son autrice Ebine Yamaji. Les destins presque croisés de ses héroïnes sont des voyages touchants, réunis dans une œuvre qu’on conseille peu importe l’âge, le genre ou l’origine. A découvrir le 13 septembre chez Vega Dupuis !
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