Moto Hagio, l’icône du shōjo au Festival d’Angoulême

Moto Hagio, l'icône du shōjo au Festival d'Angoulême

Le Festival de la BD d’Angoulême, qui aura lieu du 25 au 28 janvier prochain, a désormais complètement adopté le manga parmi ses têtes d’affiche. On en veut pour preuve la présence de Moto Hagio, Shin’ichi Sakamoto et Hiroaki Samura parmi les onze expositions préparées par le festival. Si ce ratio ne reflète pas entièrement la réalité du marché français, où plus d’une BD vendue sur deux est un manga, on ne peut que se réjouir de la reconnaissance d’un genre et de ses auteurs qui ont tardé à se faire accepter. Et le festival semble même tenter de rattraper le temps perdu en accordant une place toute particulière à Moto Hagio, autrice qui a marqué la culture nippone pendant plus de 50 ans.

shōjo : Dans le système de publication japonais, œuvre destinée à un public féminin jeune.

La déesse du shōjo

Si l’on a déjà parlé de Moto Hagio ici, c’est bien parce que la mangaka est considérée comme la déesse du shōjo. Ce titre honorifique fait écho à ceux de Osamu Tezuka (le dieu du manga) ou de Kazuo Umezu (le père du manga de l’horreur), la plaçant parmi les auteurs les plus influents de son époque. Ayant commencé sa carrière en 1969, elle a produit plus d’une centaine d’œuvres aux thèmes variés, cherchant toujours à se renouveler. Après avoir posé les bases du shonen’ai et du boy’s love, elle s’accroche aux genres sous-représentés dans le shōjo et y introduit la science-fiction et le surnaturel. Moto Hagio avance, toujours. Lors de l’accident nucléaire de Fukushima, elle est une des premières à oser réagir avec son manga Nanohana. Véritable pionnière, elle a laissé une marque indélébile à chacune de ses œuvres.

Moto Hagio revient sur sa carrière dans l’émission Manben de Naoki Urasawa

La rétrospective du festival d’Angoulême tend à rendre hommage à ce parcours évolutif, puisqu’elle est axée autour de trois périodes artistiques charnières de l’autrice : la fin de l’innocence, l’âge des possibles et le temps des conséquences. Voici une petite sélection d’œuvres qui illustrent ces thèmes dans la carrière de Moto Hagio et qui font désormais partie du paysage culturel nippon.

Œuvres charnières

Le clan des Poe (1972)

Dans cette suite d’histoires non linéaire, Moto Hagio traite la figure du vampire à travers les personnages d’Edgar, Marybelle et Allan, transformés alors qu’ils ont 13 et 14 ans. Ces âmes damnées prisonnières d’un corps adolescent traversent les âges et affrontent le temps.

Nous sommes onze ! (1975)

Marquant véritablement l’arrivée de la science-fiction dans le shōjo, ce titre suit un groupe d’astronautes passant un test de survie dans un vaisseau à la dérive. Alors que leur groupe est censé être composé de dix personnes, ils réalisent à leur arrivée qu’ils sont bel et bien onze. Et qu’ils vont devoir trouver l’intrus tout en affrontant les épreuves prévues par leurs examinateurs.

Star Red (1978)

La science-fiction étant l’un des genres de prédilection de Moto Hagio, il n’est pas étonnant de retrouver plusieurs œuvres cultes du genre. Dans Star Red, les humains colonisent puis abandonnent Mars, laissant derrière eux des êtres humanoïdes mutants dont les pouvoirs les dépassent.

La princesse Iguane (1992)

Première série de Moto Hagio se déroulant dans le monde contemporain et au Japon, on y suit une petite fille rejetée par sa mère qui la voit comme une iguane. En grandissant, la jeune femme doit affronter cette vision déformée d’elle-même qui empoisonne sa vie.

Un paysage à transformer

Lorsque Moto Hagio se lance dans le manga dans les années 70, le shōjo n’a aucune reconnaissance aux yeux du public ou des éditeurs. Il s’agit alors d’un type de publication dominé par des auteurs masculins, dont Osamu Tezuka, et qui n’a pas encore acquis de caractéristiques propres. Une première vague d’autrices dans les années 50 parvient à augmenter les ventes, le public féminin se sentant plus proche de leurs histoires. Elles permettent alors l’arrivée d’histoires d’amour profondes et adaptent notamment des films hollywoodiens. En parallèle, les ventes de manga augmentent et les éditeurs se voient dans l’obligation de recruter massivement. Parmi les nouvelles recrues, les hommes ne suffisent pas à combler toutes les places vacantes…

Tout à coup, c’est un véritable plafond de verre qui se brise. De plus en plus de femmes sont recrutées pour remplir les magazines spécialisés et elles y proposent immédiatement des histoires originales, qu’elles auraient elles-mêmes voulu lire. Mais hélas, les contraintes éditoriales restent décevantes et les obligent à camper des comédies romantiques ou des histoires d’amour familiales.

Nous sommes en 1969 et Moto Hagio débute alors sa carrière. En tant que lectrice, puis en tant qu’autrice, la pauvreté des thèmes abordés ainsi que le dédain global pour le shōjo l’affectent. Elle n’a alors qu’une envie en tête : celle de donner ses lettres de noblesse au shōjo. Elle rencontre très vite un certain nombre de mangakas avec les mêmes aspirations qu’elle : parmi elles, Keiko Takemiya (Kaze to ki no uta), avec qui Moto Hagio vivra un certain temps. A force de se voir refuser ses histoires tournant autour de la science-fiction et du surnaturel (jugées inadaptées aux publications shōjo), Moto Hagio est à cette période de plus en plus frustrée. Et cette énergie, elle compte bien l’utiliser à bon escient.

Impact culturel

C’est à cette même période que la colocation avec Keiko Takemiya, où travaillent également leurs assistantes, devient un point de rendez-vous entre autrices. A force d’échanges et de soutien, le salon Ōizumi prend alors forme. Ce rassemblement d’autrices est en train, très sciemment, d’engendrer une véritable révolution au sein du manga. Le groupe de l’an 24, comme on les nommera par la suite, va définir les codes du shōjo et permettre une telle séparation avec le shōnen et le seinen que certains hésitent à lui donner le nom de « genre ».

On note par exemple l’apparition des monologues intérieurs figurés par les bulles rectangulaires, l’ajout d’éléments graphiques en dehors des cases représentant l’état intérieur des personnages, les arrière-plans figuratifs. Mais aussi un trait délicat et des personnages androgynes, qui dépassent les genres masculins et féminins. La force du groupe de l’An 24 réside probablement dans sa perspective à long terme. En effet, leur désir d’étendre les limites du possible dans le shōjo en abordant de nouveaux thèmes et en se renouvelant a permis à la fois de toucher un public plus large, mais aussi d’éviter à ces nouveaux codes de devenir immédiatement un carcan.

S’il existe de nos jours une si grande variété d’œuvres shōjo avec des styles graphiques et des thèmes très différents, c’est l’œuvre du travail de Moto Hagio et de ses consœurs. A force d’interroger le genre, celui de leurs personnages, celui de l’œuvre, celui de la publication, les limites se sont subtilement effacées. Aujourd’hui, de grandes mangakas sont à l’origine de shōnen (Fullmetal Alchemist, Demon Slayer, Dorohedoro) et marchent également dans les pas de leurs prédécesseures.

 

Sources :

2 Replies to “Moto Hagio, l’icône du shōjo au Festival d’Angoulême

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *