Jeu vidéo et traumatismes : vers une approche thérapeutique ?

Jeux vidéo et traumatismes : vers une approche thérapeutique ?

Les jeux vidéo posent des réflexions sur le traumatisme à travers des personnages torturés et des scénarios complexes. De cette manière, les développeurs peuvent aller bien plus loin en proposant au joueur de comprendre la souffrance d’autrui. Plus encore, les jeux ne se contentent plus de briser le silence sur le traumatisme, proposant désormais aux victimes des solutions.

Se remettre d’un traumatisme est très difficile. Apparu dans le média vidéo-ludique comme une tentative de justification du héros sombrant dans la vengeance et le désespoir, le jeu vidéo est désormais considéré comme un outil de dénonciation et de compréhension des souffrances d’un individu.

Le jeu vidéo peut-il devenir un objet thérapeutique ? La médecine et la psychologie s’y intéressent de plus en plus. Plusieurs études prouvent l’aspect bénéfique des jeux vidéo sur la santé. On s’éloigne des nombreuses polémiques autour des répercussions irréversibles des jeux sur le cerveau.

« Attention aux mots. « Thérapeutique » laisse entendre que les jeux vidéo soignent directement. Non, un jeu ne soigne et ne guérit pas, il peut contribuer à faciliter le travail du soignant, la rééducation du patient et sa prise de médicaments. » (Pascal Stacinni, médecin spécialisé en informatique de santé et fondateur du SeGaMed)

La thérapie par le jeu vidéo ?

En France, l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM) de la Pitié-Salpêtrière s’intéresse de très près à la thérapie par le jeu vidéo. Créateur de jeu en collaboration avec Genious Healthcare, les thèmes abordés sont variés : premiers secours, AVC, cécité ou encore autisme. Le jeu JeREV, par exemple, porte sur le thème des enfants victimes de traumatismes suite à des attentats.

Créé à la suite du drame survenu à Nice en 2016, l’objectif est d’aider l’enfant à réguler ses émotions et à construire des scénarios positifs. Le jeu a donc pour but de mieux comprendre le fonctionnement émotionnel des enfants ayant subi un choc traumatique lié à un attentat terroriste et de proposer une meilleure prise en charge.

Un autre exemple, peut-être le plus célèbre objet d’étude psycho-thérapeutique : Tetris. Les premières expériences commencent en 2010, alors que la psychologue clinicienne Emily Holmes publie ses premières recherches. Il en ressort que jouer à Tetris pourrait interrompre le traitement de la mémoire immédiatement après une expérience traumatique. Aussi incroyables soient-ils, les résultats soutenaient l’hypothèse de Holmes et de ses collègues. Ainsi, après une expérience traumatique, il existerait un créneau de plusieurs heures pendant lequel une « stabilisation » visuelle et traumatisante pourrait être perturbée. En détournant la capacité de traitement visuel et spatial du cerveau avec un jeu captivant comme Tetris, les souvenirs pourraient être perturbés. Toutefois, la plupart des expériences thérapeutiques du Tetris ne seraient venues en aide qu’à des personnes souffrant de traumatismes causés par de graves blessures ou un accident de la route.

Le participant qui l’a vécu a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements impliquant une mort ou une blessure grave.

Vaincre la peur du monde ?

Les traumatismes peuvent entraîner une asociabilité et de l’anxiété. Les jeux vidéo peuvent aider à surmonter ces symptômes. Pokémon Go fut très sollicité à sa sortie par de nombreux joueurs. Idéal pour sortir avec des amis, le jeu a cependant connu de vives polémiques. Pour cause, nombreux ont été les accidents causés par l’inattention des joueurs, concentrés sur le jeu. Toutefois, beaucoup l’ont défendu sur les réseaux sociaux, en particulier sur Tumblr et Twitter. Ainsi, beaucoup de personnes atteintes de stress post-traumatique suite à un drame survenu dans la rue auraient témoigné que le jeu les avait aidées à sortir de la maison et à aller plus loin de jour en jour. Une joueuse témoigne :

« J’ai des problèmes de motivation et d’énergie depuis que j’ai 9 ans et j’ai développé une grave dépression. Après ça, quand j’ai eu 15 ans, j’ai développé un trouble de stress post-traumatique après une relation abusive qui m’a laissée complètement phobique vis-à-vis de mes relations sociales et j’ai commencé à avoir peur de quitter la maison pour voir des gens. »

Pokémon Go lui aurait été d’une aide précieuse.

« J’étais capable de quitter la maison, de marcher pendant des heures et me rendre compte que j’aimais ça. J’avais l’afflux instantané de dopamine à chaque fois que j’attrapais un Pokémon, et je voulais que ça continue. »

Revenons à l’anxiété qui fait encore débat dans le secteur du vidéo-ludisme. Certains pensent que le jeu vidéo est responsable de l’anxiété. Ils soutiennent que les images particulièrement violentes de certains jeux peuvent traumatiser les plus jeunes joueurs. D’autres, au contraire, suggèrent que cela peut être utile pour contrer l’anxiété. Cette idée est née dans l’imagination du créateur du jeu Deep, Owen Harris, lui-même victime de dépression et d’anxiété. Ce jeu est donc né de son propre parcours vers la guérison.

« Discuter de la santé mentale et des problèmes que nous avons tous est vraiment génial. Dans mon pays, l’Irlande, et dans le reste du monde, il y a de gros problèmes avec ça. Pourtant, les gens sont trop embarrassés ou timides pour en parler. Chaque semaine, nous recevons des e-mails de gens qui partagent leurs histoires avec nous et nous disent à quel point ils anticipent l’arrivée de ce jeu. Ils veulent voir s’il aura un impact sur leur vie de la même façon qu’il a eu un impact sur la nôtre. »

Deep est un jeu créé pour être utilisé avec un casque de réalité virtuelle VR Occulus Rift. Il est conçu dans l’unique but d’aider le joueur à gérer ses crises d’angoisse en maîtrisant calmement sa respiration pour reprendre le contrôle de soi.

« J’espère que de cette invention pourra faire naître une nouvelle génération de jeux vidéo, entièrement basés sur la respiration parce que je crois en sa valeur salutaire : non seulement elle aide à améliorer la respiration par le diaphragme, mais elle permet de contrôler l’anxiété qui s’accumule pendant la journée. C’est l’issue de secours de ce monde chaotique vers une oasis de paix et de tranquillité. »

Revivre le cauchemar ou le fuir par le jeu vidéo ?

Une méthode qui aiderait les victimes serait de les confronter à une situation similaire à celle à l’origine du traumatisme. Seulement, dans l’univers vidéo-ludique, les victimes pourraient éliminer leurs ennemis et leurs adversaires. Dans un article du Monde, certains survivants traumatisés par les attentats du Bataclan à Paris se seraient mis à reprendre les jeux de tir compétitifs et les jeux d’action bourrins. Vanessa Lalo, psychologue clinicienne, défend cette réaction des victimes :

« C’est une formation réactionnelle. Retrouver de l’adrénaline, des sensations, se remettre dans l’émotion du moment vécu, c’est typique des traumatismesIl y a cette notion de réappropriation : on se met en danger, mais de manière choisie et conscientisée. On devient acteur de ce danger. »

Aux Etats-Unis, les militaires utilisaient des jeux les replongeant directement dans les mêmes conditions que celles du champ de bataille qu’ils avaient connu : Virtual Afghanistan ou Virtual Iraq. Leur créateur Albert Rizzo justifiait ainsi ces jeux, financés intégralement par l’armée :

« Au premier abord, cela semble contre-intuitif. Pourquoi remettre quelqu’un dans une situation où le but est de l’angoisser un peu et de lui faire revivre des expériences traumatiques ? Mais les chercheurs ont découvert qu’en augmentant progressivement le niveau de stress d’un patient jusqu’à un niveau modéré tout en l’encourageant à verbaliser son expérience traumatique, ils parvenaient à réduire les symptômes de stress. »

Toutefois, certains préfèrent se tourner vers un paysage onirique ou poétique, priorisant les aventures en grands espaces comme Death Stranding ou The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Ce sentiment de voyage renforce cette recherche de sécurité, mais aussi de liberté.

« L’imaginaire du jeu vidéo est structuré et structurant, il a un cadre, on sait que rien ne va nous arriver dedans. On y est acteur et pendant ce temps-là, le corps autant que l’esprit sont occupés. C’est une bulle dans laquelle on se sent protégé. »

Le jeu vidéo devient alors un refuge, permettant d’éloigner doucement les traumatismes. Certains préfèrent des balades en automobile ou une simulation agricole, ou tout simplement les mondes féeriques enfantins comme Hollow Knight. Vanessa Lalo ajoute :

« Quand on a vécu un événement traumatique, soit on cherche à se confronter au danger, soit on cherche à s’en écarter, à mettre une rustine. Le jeu vidéo devient un refuge onirique un peu anesthésiant. »

Dans son article La technique des jeux vidéo en psychothérapie, Benoît Virole explique que le média peut dévoiler l’expression du désir voulu par le joueur, le poussant à créer « un soi grandiose ». Dans ce terme mentionné par Heinz Kohut, tous les problèmes peuvent se surpasser et tout peut aller pour le mieux. Virole écrit ainsi :

« L’absence de jugement, la bienveillance, la neutralité, la curiosité attentive, la mise entre parenthèses du monde réel, l’absence d’attente éducative, la confiance dans le devenir de l’autre, toutes ces propriétés de l’attitude empathique permettent progressivement au patient de laisser cours à une activité libre dans le jeu et d’effectuer des demandes inconscientes adressées au thérapeute. Ces demandes sont perceptibles sous les échecs répétés significativement dans le jeu symbolisant une détresse infantile et un appel à l’aide. Elles sont sous-jacentes aussi aux conduites sadiques, aux conduites obsessionnelles, aux choix aberrants. Ces éléments signifiants sont perçus à la condition d’une attention flottante du thérapeute aux conduites de jeu de son patient. Par exemple, les jeux de gestion, de type Sims, permettent au patient de construire des univers fictionnels, avec des personnages dotés d’un certain gradient d’autonomie, qui sont des projections de leurs désirs, de leurs peurs, de leurs attentes conscientes, préconscientes ou inconscientes. L’exemple le plus fréquent est celui de l’enfant élaborant le traumatisme d’une séparation parentale par la reconstitution d’une famille virtuelle unie. »

Contre toute attente, la série de jeux Les Sims de Electronic Arts devient un sujet d’étude sur la problématique de la vision idéalisée du joueur. Le jeu permet au joueur de créer une réalité alternative. Il aiderait aussi à lui révéler des choses sur lui-même à travers ses actions. Michael Stora résume une de ces études dans son ouvrage Guérir par le virtuel (2005). Il y traite de l’utilisation des Sims dans le cadre de ses thérapies, au centre psychopédagogique de Pantin.

« J’ai eu récemment le cas de deux petites filles obèses. L’une s’est choisi un personnage à la limite de l’anorexie. L’autre s’est incarné telle qu’elle est. En fait, elle sortait d’un grave accident de voiture et était d’abord angoissée par la mort. Selon ses parents, choisir une Sims obèse était un moyen de montrer que son poids ne la préoccupe pas. Mais c’est aussi, peut-être, une façon de leur faire comprendre qu’elle le vit mal. »

Il ajoute :

« Les personnages choisis peuvent nous révéler des choses que l’on ne voulait pas voir. Les Sims permettrait de mettre en scène nos conflits internes et même de jongler avec les limites de la moralité. Le jeu présente également des cas d’infidélité, de violence et de sadisme envers les enfants. Par exemple, un personnage dans les Sims peut être isolé et tué. Cela met en évidence tous les apports sur la compréhension des patients que peut offrir un jeu comme les Sims. »

Le jeu vidéo devient un formidable outil pour le bien-être de chaque individu. Le média s’envisage désormais sérieusement comme une aide précieuse apportée aux victimes à chaque type de traumatismes subis, notamment à travers le sous-genre de l’« empathy games ». A travers le jeu vidéo, le silence commence à se briser avec notamment la série Silent Hill ou The Town of Light, ouvrant les yeux sur des choses difficiles à concevoir et percevoir. Finalement, seule compte l’envie de ne jamais nuire aux joueurs… 

Sources :

Photographe et réalisateur indépendant. Certains de ses films ont obtenus une soixantaine de sélections en Festival à travers le monde. Rédacteur chez Cultea, ses écrits sur le Traumatisme abordé dans le jeu vidéo sont publiés sur le site !

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