Dans un milieu aussi silencieux que celui de la BD, il faut une bonne secousse pour se faire entendre. Et c’est en effet un petit tremblement de terre déclenché par un article de Lucie Servin dans l’Humanité qui en prenant de l’ampleur, vient désormais essayer de faire tomber la tête du très intouchable délégué général du Festival d’Angoulême : Franck Bondoux.
Quand la BD sent le vieux
Au sein des milieux culturels soit-disant toujours jeunes et actuels, la bande-dessinée, qui se dit populaire, cache pourtant un vrai côté rétrograde. Ce visage chauviniste est peut-être dû à un long héritage franco-belge que certains veulent sanctifier, où l’on regarde uniquement vers le passé (et vers son nombril) au lieu d’accueillir les nouvelles formes, les diversités, les révoltes nécessaires à l’évolution de l’art… Rien n’empêche pourtant le 9ème art de se réinventer tout en respectant les grandes figures de la bande-dessinée, dont les nouveaux auteurs reconnaissent de toute façon généralement l’influence.
Au cours des dernières années, on a déjà pu assister dans la BD à un MeToo retardé ; pas étonnant puisque l’omerta est toujours plus puissante dans les boy’s club, ce qu’a longtemps prétendu être le 9ème art. Il y a eu la dénonciation du sexisme du Festival d’Angoulême, lors de l’édition de 2016, où aucune femme ne figurait au tableau des 30 nominés pour le Grand prix (on remercie d’ailleurs certains nominés masculins d’avoir ardemment défendu les autrices en boycottant l’édition).
Puis, après un problème très clair de greenwashing autour de l’Éco-Fauve-Raja (quel oxymore !), l’affaire Bastien Vivès a inondé le festival de débats hallucinants de justifications douteuses… Et enfin on a pu assister à la douloureuse question du mépris qu’on croyait éternel de la BD japonaise, mais qui heureusement a cessé lorsque le manque à gagner est apparu clairement (rappelons, peut-être cyniquement, que la France est le deuxième consommateur de mangas au monde).
Festival d’Angoulême : une évolution lente mais bienvenue
Bref, de polémique en polémique, le Festival d’Angoulême s’adapte, essaie de faire mieux (c’est en tout cas le message diffusé à chaque coup de tonnerre) et il est vrai qu’on a pu voir de vraies évolutions. C’est ainsi que Fausto Fasulo (rédacteur en chef de Mad Movies et de ATOM) a intégré l’équipe en tant que directeur artistique de la programmation Asie par exemple, assurant une vraie qualité et légitimité à cette facette toujours grandissante du festival.
De même, pour ce qui est des nominées pour les prix, le Festival d’Angoulême semblant aussi vouloir rattraper son long oubli des autrices et dessinatrices. Ainsi l’an dernier c’est la britannique Posy Simmonds qui a remporté le Grand Prix, suivie d’Anouk Ricard, tout juste annoncée gagnante pour cette 52ème édition.
Difficile de se réjouir de ce qui semble être une lente remontée de pente vers une éthique acceptable, mais on ne pouvait que souhaiter que le Festival d’Angoulême continue sur cette lancée, en laissant derrière lui ses mauvaises habitudes héritées d’un système dépassé. Mais pas le temps de dire ouf : à l’orée de cette 52ème édition, c’est désormais la direction même du festival qui est remise en cause, ainsi que sa gestion globale dans une longue enquête qui a mis à jour des problèmes pernicieux qui continuent de miner la messe du 9ème art.
Franck Bondoux et 9ème Art +
Au cœur du problème : un homme qui fait plutôt figure d’empereur au FIBD : Franck Bondoux. Afin de résumer ce qui est reproché à ce délégué général du festival, qui tient son poste depuis bientôt 20 ans, nous allons parler du sacro-saint argent. L’argent, c’est bien le mantra ultime de Franck Bondoux qui ne cache pas du tout (ou alors très mal) ses priorités. Par exemple, lorsqu’il est interrogé par Livres Hebdo en Janvier 2025 sur la programmation internationale du festival, Franck Bondoux n’a pas vraiment la tête à la culture :
« Le festival d’Angoulême a la volonté de s’inscrire dans cette tradition des grands événements français accueillant la production mondiale. Dans le domaine de la bande dessinée, la France est incontestablement un marché qui fédère économiquement l’ensemble des bandes dessinées. »
Après avoir été à l’origine des polémiques évoquées plus haut et avoir prouvé à de nombreuses reprises lors de ses prises de paroles qu’il n’était pas vraiment au fait sur la bande-dessinée (quoi ? Un faux passionné ? Qui l’eut cru…), la course au profit générée par Franck Bondoux fait atteindre ses limites à ce que le public, mais surtout son équipe, peut supporter.
Car si le pass 4 jours est passé de 35 à 65€ en 10 ans (un art si populaire que les jeunes doivent payer chacun 30 euros), si le sponsor de cette année n’est nul autre que Quick (on peut peut-être se réjouir du fait que l’enseigne de malbouffe n’aura pas beaucoup de jeunes à la caisse, vu qu’ils auront déjà claqué leur argent de poche dans le pass et le merch constant), si le Festival tout entier semble devenir un attrape porte-monnaie, c’est bien à cause de son influence.
Sauf que loin d’en rester à cette facette bien connue du délégué général qui attise les colères du milieu depuis longtemps, l’article de l’Humanité fait ressortir une vase plus profonde. En effet, entre les conflits d’intérêts qui sautent aux yeux au sein des financements du Festival d’Angoulême et l’épuisement du personnel qui œuvre à faire tenir ce géant angoumoisin, c’est l’affaire de Chloé (prénom modifié) qui vient, comme le dernier des symptômes, choquer profondément la communauté de la BD.
Dans les colonnes de l’Humanité se trace l’histoire de cette ex-responsable de communication qui témoigne avoir été droguée puis violée par un collaborateur lors de la 51ème édition du FIBD. Sauf que lorsque Chloé, qui a été arrêtée par la médecine du travail, s’en ouvre à sa hiérarchie, rencontra une réaction problématique hélas récurrente et même systémique. En effet, elle se voit tout simplement licenciée pour comportement incompatible avec l’image de l’entreprise (ce qu’il advint dudit collaborateur, personne n’en sait rien).
L’histoire de Chloé rejoint dans une ambiance glauque les nombreux témoignages de burn-out et de ras-le-bol qui couvent depuis bien longtemps au sein du Festival d’Angoulême. Mais ce n’est pas faute de réclamer le départ de Franck Bondoux et de cette direction au monopole familial étouffant : certains artistes comme Joann Sfar se sont engagés sur la question depuis longtemps.
Désormais, c’est le Syndicat National de l’Édition qui s’en mêle en prenant cette enquête au sérieux, ainsi que les autrices et auteurs qui ne se reconnaissent plus dans ce management qui tient plus du sauvetage de l’image de marque que du réel désir de partager l’amour du 9ème Art.
Quid du Festival d’Angoulême cette année ?
Impossible donc, d’apprécier ce fichu Festival d’Angoulême? Pas question ! Pour les amoureuses et les amoureux du 9ème art, il y a toujours, fort heureusement, des passionnés qui travaillent ardemment (mais souvent proche de la précarité) afin d’offrir la meilleure expérience possible au public pendant ces quelques jours et ce, de manière éthique.
Il ne faut donc pas hésiter à soutenir les maisons d’édition indépendantes qui sont toujours sur place, puisqu’elles sont les premières à subir cette direction toujours plus commerciale. Ainsi, côté manga on a le fameux Lézard Noir (La Cantine de Minuit, le Roi des Limbes, Chiisakobé) ou IMHO (Onimbo, Jun, Mindgame), mais aussi tout le FUTURE OFF qui regorge d’inspiration.
Et puis, il convient d’apporter également son soutien aux autrices et auteurs qui viennent du monde entier à la rencontre de leur public, ainsi qu’aux commissaires d’expositions, aux intervenant.e.s et conférencier.e.s dont ces 4 jours au Festival d’Angoulême représentent l’aboutissement d’un travail de longue haleine !
Sources :
- L’Humanité – Gros sous et mal-être : enquête sur un festival d’Angoulême en pleine dérive
- Livres Hebdo – Interview de Franck Bondoux