Les jeux vidéo occidentaux : la fin d’une ère ?

Jeux vidéo Occident

L’année 2024 fut une année de grands bouleversements dans le secteur des jeux vidéo et la conséquence se fait encore ressentir en ce début d’année 2025. Échecs commerciaux, éditeurs en faillite ou encore projets abandonnés, le secteur du jeu vidéo en Occident n’aura pas eu le succès escompté et aura connu une grosse perte de terrain face à un marché asiatique qui revient en force. Décryptage d’un secteur en plein remaniement.

Un marché occidental controversé

En février 2024, après plusieurs reports au cours des deux dernières années, Warner Bros Games avait fini par sortir le dernier-né des studios Rocksteady, développeurs de la trilogie Batman Arkham acclamée par la presse et les joueurs, Suicide Squad : Kill the Justice League. S’inscrivant dans la continuité de la série de jeux du Chevalier Noir, le jeu nous invite à jouer une escouade suicide créée pour contrer les forces de Brainiac, composées d’une Justice League corrompue. On y incarne au choix Deadshot, Harley Quinn, Captain Boomerang et King Shark avec un gameplay axé sur du shooting à la 3ème personne et un style de jeu fortement décomplexé.

Le jeu ne fait pas l’unanimité durant sa phase de promotion, notamment durant la présentation de son gameplay qui sera vivement critiquée par les joueurs et vaudra un autre report. Cette mauvaise presse desservira l’attente des joueurs qui deviendra de plus en plus silencieuse jusqu’à sa sortie en début d’année 2024. Les ventes sont bien au-dessous des attentes de l’éditeur qui, par le biais de son offre jeu service qui consiste à pérenniser un jeu sur plusieurs années en offrant du contenu supplémentaire gratuit ou payant comme un pass saisonnier, voulait ancrer le jeu dans la durée avec un nombre de joueurs conséquent prêt à s’y investir.

Cet échec, qui aura fait perdre 200 millions de dollars à l’éditeur, était inévitable quand l’on constate le contenu proposé par le jeu. Coincés entre sa volonté de perpétuer l’héritage de la série Batman Arkham et l’obligation de proposer un jeu service sans l’expérience requise pour accomplir cet objectif, les studios Rocksteady ne réussissent pas à trouver le bon angle pour aborder l’ensemble et proposent une aventure très inégale.

D’un côté, on y retrouve une maîtrise de la narration à travers les quelques cinématiques du scénario principal et de l’autre, une redondance de son gameplay avec les mêmes missions à jouer encore et encore pour monter les niveaux nécessaires pour tuer la nouvelle itération de Brainiac.

Cet échec retentissant sabordera la totalité du catalogue de l’éditeur qui a annoncé récemment la fermeture de Monolith Productions, créateur de la série F.E.A.R., de La Terre du Milieu : L’Ombre du Mordor et en charge du développement d’un jeu autour de l’univers de Wonder Woman qui ne verra jamais le jour, en plus de la fermeture de Player First Games, en charge du suivi de Multiversus.

L’année 2024 aura été le début de la fin pour l’éditeur français Ubisoft. Pendant de nombreuses années, la communication et la gestion de la sortie de ses jeux auront été un enchaînement d’erreurs et d’intentions opportunistes de la part de l’éditeur et l’année passée en aura été son aboutissement. En janvier 2024 sort une nouvelle proposition de l’univers Prince of Persia nommée The Lost Crown. Revenant à un style 2D en hommage aux tous premiers jeux de la licence, nous incarnons Sargon chargé de secourir le Prince de Perse.

La controverse autour du personnage jouable et une communication hasardeuse feront fuir la communauté formée autour de la licence et cela aboutira à un échec retentissant le jour de sa sortie. Tout cela amènera le démantèlement de l’équipe qui aura paradoxalement fourni un jeu aux fondations solides et respectueux de l’univers du Prince et recevra même ironiquement le Pégase des jeux français de 2024.

Le mois suivant sort Skull and Bones, arlésienne très connue de l’éditeur. Le jeu sort dans l’indifférence générale, essentiellement due à un temps de développement long et tumultueux qui aura débouché à une proposition sans réelle consistance et manquant d’âme. En mai 2024, la sortie de XDefiant, jeu service gratuit prenant place dans la série des Tom Clancy, est pendant un temps le bol d’air frais souhaité par l’éditeur avec un pic de joueur atteignant les 8 millions dans le mois suivant sa sortie.

Néanmoins, dans un marché foisonnant de propositions gratuites de jeux service, garder un cercle de joueurs autour d’un seul et même jeu est une chose difficile et les statistiques finissent par être en deçà des attentes fixées par l’éditeur, qui a récemment annoncé la fermeture prochaine des serveurs.

Le cas Star Wars Outlaws entachera d’autant plus l’enseigne avec une sortie mitigée tant au niveau des ventes qu’au niveau de son accueil, la faute à une ambition démesurée pour parvenir à un équilibre financier attendu dans le cadre d’un jeu ancré dans une licence en perte de vitesse depuis quelques années. Tous les espoirs du studio finissent par se reposer sur la sortie d’Assassin’s Creed Shadows, mais ses quelques reports auront poussé un peu plus l’éditeur dans la tombe. Malgré son succès, l’éditeur tel qu’on le connaît aujourd’hui va peu à peu disparaître depuis l’accord passé avec l’entreprise Tencent pour former une toute nouvelle entité regroupant les licences rentables d’Ubisoft.

Les voyants ne sont pas non plus au vert chez Electronic Arts. La sortie de Dragon Age Veilguard aura été une déception commerciale pour un éditeur qui s’accroche éperdument au succès de la série de footballs maintenant appelée EA Sports FC depuis le non-renouvellement du contrat avec la FIFA. PlayStation n’est pas en reste avec la sortie catastrophique de son jeu service Concord, retiré du commerce seulement deux semaines après sa sortie. Annoncée comme la nouvelle grosse licence de PlayStation, son marketing critiqué comme opportuniste par les joueurs n’aura jamais permis au jeu d’atteindre les attentes démesurées d’un studio qui pensait marquer un grand coup avec ce nouveau jeu service.

Tout cela rejoint la vague de licenciements que subit le secteur du jeu vidéo occidental depuis la fin de l’ère Covid avec un pic record atteint en 2024. Au cours de l’année, 14 600 licenciements ont été recensés, dont une grande partie venant de l’entreprise Microsoft à travers les studios Xbox et Activision Blizzard.

L’essor des jeux vidéo asiatiques

Malgré un drapeau en berne du côté de l’Occident, le marché asiatique aura réussi à s’illustrer au cours de cette année 2024. Tout d’abord avec la sortie de Stellar Blade sur les consoles PlayStation, premier gros jeu du studio sud-coréen Shift Up, qui aura réussi à attirer un nombre conséquent de joueurs pour atteindre le million d’exemplaires vendus deux mois après sa sortie.

Au cours de la même période, Capcom sort Dragon’s Dogma II, suite du premier opus sorti 12 ans plus tôt. En l’espace de deux semaines, le jeu dépasse les 2 millions de ventes pour atteindre les 3,5 millions deux mois plus tard. Ce jeu est un véritable succès en comparant les ventes du premier volet qui avaient atteint la barre du million de copies vendues en l’espace d’un mois.

Avec un total frôlant les 30 millions de ventes, la dernière création des studios FromSoftware, Elden Ring, était déjà un monument du jeu vidéo asiatique et l’arrivée de son DLC Shadow of the Erdtree au mois de juin 2024 n’a fait que confirmer l’impact qu’a eu le jeu vidéo sur le marché mondial. En seulement 3 jours, le DLC se sera écoulé à hauteur de 5 millions d’exemplaires. Cela prouve encore une fois que les studios FromSoftware fait maintenant partie des grands noms du monde des consoles et du PC et il ne reste plus qu’à voir si cette hégémonie se confirmera avec ses prochaines sorties.

Le jeu asiatique ayant su fait parler de lui durant cette année-là du fait de sa conception et de son origine est certainement Black Myth : Wukong. Première grosse production chinoise destinée aux consoles de salon et ce malgré des controverses en interne dans sa politique contre les harcèlements, Black Myth : Wukong aura créé un raz-de-marée comme on en voit rarement dans le secteur du jeu vidéo.

En effet, connu comme étant un marché exclusivement tourné vers les jeux mobiles, le marché chinois n’a jamais réellement été très présent dans le marché des consoles de salon et son impact sur les ventes était peu perceptible mais la sortie de ce jeu sur ce marché aura fait débarquer une toute nouvelle communauté de joueurs au nombre conséquent.

En l’espace de quelques heures suivant sa sortie, Black Myth : Wukong atteint un pic de 2,4 millions de joueurs en simultané sur Steam, ce qui correspond à la 2ème place des records d’audience sur la plateforme de Valve, derrière PUBG : Battlegrounds et devant Cyberpunk 2077. En une poignée de mois, le jeu passe la barre des 20 millions d’exemplaires vendus. Même si la majorité de la communauté est composée de joueurs chinois, l’arrivée de ce marché rebat les cartes du monopole de la culture occidentale sur les consoles de salon et prouve qu’il existe des joueurs intéressés par des grosses productions axées sur une culture autre qu’occidentale dans le monde.

La sortie récente de la nouvelle itération de la série Monster Hunter nommée Wilds appuie un peu plus ce basculement en atteignant un cumul de joueurs en simultané de 1,3 millions de joueurs sur Steam, le faisant arriver à la 5ème place du classement.

Une période de transition

Malgré des ratés notables des éditeurs historiques occidentaux, l’année 2024 n’en reste pas moins une bonne année pour d’autres. En dehors de l’échec monumental de Concord, PlayStation Studios aura connu un beau début d’année 2024 avec un succès inattendu avec la sortie de Helldivers 2. La surprise fut telle que les serveurs étaient surchargés et n’arrivaient pas à accueillir tous les joueurs ayant lancé le jeu. La sortie en septembre 2024 de la suite d’Astro’s Playroom aura valu également à PlayStation une reconnaissance publique et critique avec l’attribution de nombreuses récompenses durant les Games Awards 2024, ce qui permettra de booster les ventes pour dépasser la barre des 2 millions de ventes en début d’année 2025.

La sortie durant la même semaine de Warhammer 40,000 : Space Marine II, suite tant attendue du premier volet sorti en 2011, permet à la société Games Workshop de dépasser tous les records détenus par la marque et son ambition de proposer une aventure linéaire ne négligeant aucunement l’action sous hémoglobine et sans concession réussit à trouver son public. Avec ce choix contraire à une politique de contrôle ne cherchant pas à froisser un marché qui semblait frileux face à ce genre de proposition, l’éditeur français Focus Entertainement prouve que cette communauté de joueurs est toujours présente au sein de ce marché.

Les développeurs des pays de l’Est prennent également plus d’assises au cœur du marché jeu vidéoludique. Depuis la percée du studio polonais CD Projekt Red avec The Witcher 3 : Wild Hunt et Cyberpunk 2077 et la reconnaissance des jeux Metro, les propositions des développeurs de l’Europe de l’Est se font plus entendre, à l’image du studio Warhorse Studios. En début d’année 2025, leur dernier jeu en date Kingdom Come: Deliverance II débarque sur les consoles de salon et PC et finit par dépasser les 2 millions de vente en moins de 2 semaines.

Malgré l’invasion russe en Ukraine, les Ukrainiens du studio GSC Game World auront réussi à sortir en Novembre dernier S.T.A.L.K.E.R. 2: Heart of Chornobyl dans un état technique exigeant mais qui deviendra rentable avant la fin de l’année 2024. Il finira par dépasser la barre des 6 millions de joueurs.

En y regardant de plus près, on peut admettre que l’année 2024 aura été l’année symbolique de la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. Certains éditeurs et studios occidentaux historiques du marché jeu vidéoludique n’auront pas réussi à maintenir une qualité constante dans la sortie de leurs jeux principaux à cause de décisions hasardeuses et non productives aux yeux du public et de la presse tandis que le marché asiatique aura su s’ouvrir un peu plus au monde et capter un public friand de nouvelles propositions. Un changement notable commence à prendre forme et l’émergence de nouveaux studios occidentaux les amèneront à potentiellement devenir les studios fers de lance de demain.

Sources :

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