Son annonce en 2020 ayant fait grand bruit, Black Myth Wukong n’a cessé d’alimenter les attentes. Reprenant l’une des œuvres littéraires les plus emblématiques de la Chine, intitulée La Pérégrination vers l’Ouest, les développeurs de Game Science se sont lancés dans le pari fou de concevoir une expérience qui pourrait lui attribuer sa place parmi les meilleurs jeux vidéo de l’année. Quel est donc le verdict autour de ce projet qui crée des pénuries de consoles dans son pays natal ?
Nota Bene : Nous avons testé le jeu sur PS5. Pour l’heure, Black Myth Wukong n’est pas disponible en support physique.
Le voyage le plus célèbre de la littérature chinoise
Le puissant mais arrogant Sun Wukong se confronte à l’Armée Céleste et ses cent milles guerriers dirigés par le neveu de l’Empereur de Jade. La subordination du Roi Singe conduira à sa recherche de rédemption. Dans ses premières minutes, le ton est donné. Black Myth Wukong propulse vers un conflit titanesque doté d’une mise en scène époustouflante. On pourrait très vite penser que nous avons un aperçu du potentiel maximum du phénomène chinois et que la maestria de l’introduction va s’essouffler. Il n’en sera jamais rien.
La production de Game Science délivre un amour sincère envers la mythologie chinoise et ses légendes, apportant les valeurs philosophiques de la vie et de la bravoure. Après tout, les productions vidéoludiques traitant d’un folklore chinois mondialement reconnu dans la pop culture ne sont pas spécialement exploitées. Majoritairement, il n’est qu’une source de références, en témoignait le mésestimé Enslaved Odyssey to the West du studio Ninja Theory.
Black Myth Wukong pourrait aisément séduire en adaptation aboutie du triomphe littéraire de Wu Cheng’en, phénomène planétaire depuis des siècles, précurseur de Dragon Ball et de son populaire héros Son Goku. Si cette épopée fascinante happe votre curiosité, nous profitons de ce test pour vous recommander Le Royaume Interdit, une réalisation cinématographique sortie en 2008 avec Jet Li, mais aussi la saga The Monkey King, produite en 2014 avec Donnie Yen dans le rôle de Wukong.
La Pérégrination vers l’Ouest est un récit de voyage. Les développeurs ne prendront jamais ce mot à la légère, tant Black Myth Wukong est une invitation à ce « voyage ». Plus précisément, rare sont les jeux qui évoluent en même temps que leur héros par les étapes du pèlerinage. Jeu couloir dans lequel on enchaîne les rencontres agressives dans les premiers chapitres, le périple prend peu à peu une ampleur inattendue et se transforme en un véritable environnement ouvert. Ainsi, les six chapitres sont d’une grande richesse dans leur volonté de renouvellement. Car, en même temps que le Prédestiné, le monde aussi est en perpétuelle évolution, à la recherche d’une aube nouvelle.
C’est en essayant encore et encore que le singe apprend à bondir
Cette métamorphose se transmet aussi au joueur qui sera bien plus fort, plus rapide mais surtout connaîtra moins la peur. Oui, dans cette description, vous comprendrez rapidement que Black Myth Wukong se rapprocherait des derniers opus de God of War, des Souls-Like bien punitifs comme Sekiro Shadows Die Twice que l’on ne présente plus, mais surtout d’une autre production chinoise qui nous vient en tête : Sinner Sacrifice for Redemption
Ce dernier poussait les joueurs à racheter leurs fautes en terrassant les sept péchés capitaux. Peu connu du grand public, le titre nous est revenu en mémoires lors de l’extraordinaire pèlerinage du Roi Singe voulant regagner la grâce de Buddha. Ces deux titres ont en commun la thématique du Boss Rush dans l’objectif du pardon.
Car aussi fidèle aux valeurs du conte original, Sun Wukong fait figure de protagoniste transmetteur d’une morale universelle. Pour exemple, il se croit supérieur à quiconque. Lors de l’introduction, il est presque invincible et nous allons vite prendre la mauvaise habitude de provoquer notre adversaire. Conséquence directe : un premier chapitre qui s’apprend dans la douleur, mais aussi dans la douceur.
Contrairement à Sekiro, Black Myth Wukong pardonne des erreurs de timing loupé et de manque de risque. La difficulté n’en reste pas moins corsée, elle monte crescendo mais offre toujours de multiples possibilités. Plus de temps morts pour les ennemis, plus de fenêtres d’ouverture, mais également des sorts qui bouleverseront l’issue du combat. Notre préféré serait très certainement l’immobilisation qui s’acquiert très tôt dans le jeu et permet de paralyser un adversaire quelques instants pour reprendre l’avantage.
Si le Souls-Like tente de vous apprendre dans la cruauté et de vous faire mémoriser les patterns douloureux, Black Myth Wukong proclamerait plus la philosophie du « connais toi toi-même ». Car c’est dans nos capacités qu’on puise la force de venir à bout des obstacles, et ce même si nous n’arrivons pas à maîtriser l’esquive parfaite.
Toutes les clés de la réussite s’obtiennent en découvrant ses propres compétences que l’on peut améliorer, modifier et réinitialiser à sa guise. Il en sera également de même pour notre posture, nos gourdes de soin et notre légendaire bâton. Chacun peut donc jouer à son rythme, selon son style. Bien évidemment, le courage est formidablement bien récompensé par un combo dévastateur qui se déclenche lorsqu’on devient un maître du timing.
Par conséquent, la satisfaction de vaincre un Boss n’en est que plus grande, non pas parce que l’humiliation avait trop duré, mais bien parce que notre entraînement porte ses fruits. Preuve en est : la défaite ne pénalise pas l’XP encaissé et nous pousse à retourner nous échauffer vers des mobs pour gagner de l’expérience. Black Myth Wukong a donc parfaitement compris comment apporter sa propre identité aux Souls-Like qui sont de plus en plus nombreux.
Black Myth Wukong donne beaucoup et reçoit !
Pourquoi parlons-nous sans interruption des Boss ? Parce que Black Myth Wukong est constitué essentiellement de ses affrontements improbables. Au total de 100 vilains à dominer, ils pullulent dans toutes les régions et il ne sera pas rare d’en croiser un tous les cent mètres. Certains sont avides de dissimulation et demanderont d’accomplir des objectifs annexes pour les débusquer. Depuis Elden Ring, jamais un jeu vidéo n’avait atteint un tel nombre hallucinant, on comprendrait si la lassitude du schéma s’invitait chez des joueurs.
Plus fort encore, à l’exception d’une minorité, ils sont tous prenants à vaincre et représentent vraiment une épreuve à traverser. Oui, nous avons donc raison de le catégoriser parmi les Boss Rush, mais cette implication dans le lore du titre est constamment justifiée. Cependant, cela ne lui empêche pas d’être un peu répétitif, malgré les 30 heures stupéfiantes qu’il nous a fallues pour le terminer.
Chaque rencontre, chaque secret, chaque défi et chaque victoire apporteront de la compréhension à cette narration digne d’une vraie fable. Dialogue théâtral, texte très littéraire, mise en scène de folie sont les ingrédients d’une expérience très singulière du jeu vidéo et moins cryptique qu’une œuvre de From Software. On en viendrait presque à regretter que notre héros soit muet pendant une partie de l’aventure, même si c’est pour les besoins du scénario.
Brillant, mais avec une technique qui pêche !
Pourtant, si Black Myth Wukong est un enchantement dans son exploration et sa générosité, il se permet bien trop de défauts dans la structure de ses niveaux. Le pèlerinage du Roi Singe est exemplaire en jeu couloir, mais lorsque les environnements deviennent plus ouverts, on se retrouve souvent bloqué par des murs invisibles. C’est particulièrement frustrant de devoir faire demi-tour alors qu’un sentier semble conçu pour le fouler. Seulement voilà, l’itinéraire est très précis et la liberté reste illusoire. Plus énervant encore, la tentative de devenir un monde ouvert se complique par l’absence de carte. Pour être honnête, c’était très difficile de se repérer. Rageant, tout simplement.
Malgré les louanges, on en vient à un constat qui refroidit les ardeurs : le jeu est très mal pensé dans la progression des niveaux. C’est vraiment dommage, d’autant que l’on reste bouche bée devant l’étonnant travail d’immersion apporté à l’œuvre. D’ailleurs, la musique est de très grande qualité et certaines compositions régaleront vos oreilles.
Puisque nous complimentons le remarquable travail des développeurs de Game Science, nous nous devons de mentionner la splendeur de la direction artistique. Le moteur du jeu utilise l’Unreal Engine 5 de manière très professionnelle et apporte un très grand sens du détail. De plus, le titre se permet de surprendre tout le temps en réinventant systématiquement ses cinématiques. Animation traditionnelle, stop motion, conte fantastique, etc… C’est toujours agréable à regarder et on reste très admiratif de cette volonté artistique.
On s’inclinerait devant celui qui deviendrait presque l’un des plus beaux titre de l’année (sur PC, c’est un mastodonte) si la technique et la performance ne faiblissaient pas. Malheureusement, Black Myth Wukong donne beaucoup de mal à notre console.
La perfection graphique est un paradoxe et dissimule des problèmes techniques désastreux qui s’enchaînent à partir du deuxième épisode. Les chutes de framerate et les bugs seront légion. Puisque cela ne suffit pas, l’expérience pourrait être sévèrement ternie par des crashs à répétition. C’est extrêmement désagréable lorsque cela se déclenche après avoir accompli un défi coriace. Nous noterons aussi que la langue passait du chinois à l’anglais sans aucune raison et on pouvait se retrouver privé de sous-titres pendant une longue partie du jeu. Durant le test, un premier patch correctif est survenu, mais les erreurs techniques continuent de fuser. Il faut croire que la recherche de l’excellence avait un lourd tribut…
Non, l’engouement autour de Black Myth Wukong n’est pas insidieux. Véritable lettre artistique du jeu vidéo et hommage épatant à la figure la plus contée de la mythologie chinoise, l’œuvre de Game Science est l’un des meilleurs coups de massue de cette année. S’il n’est pas exempt de défauts problématiques et qu’il reste finalement assez classique, le jeu reste un divertissement solide avec un gameplay riche et un univers éblouissant. En revanche, les allergiques aux combats de boss par centaines et à la difficulté croissante devraient passer leur chemin.
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