« L’Atelier des Sorciers » : 5 bonnes raisons de (re)lire cette saga de Kamome Shirahama

"L'Atelier des Sorciers" : 5 bonnes raisons de (re)lire cette saga de Kamome Shirahama

Mise à l’honneur lors de ce 52ème FIBD, Kamome Shirahama a pu revenir sur la création de son œuvre de fantasy toujours en cours, l’Atelier des Sorciers, à travers une magnifique exposition ainsi qu’une longue masterclass au théâtre d’Angoulême. Le succès français de cette mangaka, qui se mesure aux 3 heures de file d’attente pour pouvoir admirer ses planches, nous a donné envie de revenir sur les 5 points clés qui font de L’Atelier des Sorciers une lecture incontournable.

1. L’Atelier des Sorciers : un œuvre d’une grande beauté

Il n’y a pas que les néophytes qui soient enthousiasmés par l’exposition qui s’est installée à l’Hôtel Saint-Simon sous le nom de « L’Atelier des Sorciers : La plume enchantée de Kamome Shirahama ». Même les artistes présents au Festival d’Angoulême ne cachent pas avoir pris une claque face à la délicatesse stupéfiante du travail de la mangaka. C’est ce premier effet qui charme dès la couverture, qui envoûte quand on tourne les pages avant même de connaître l’histoire et qui sublime l’effet de merveilleux qu’incarne la fantasy.

Grâce à son travail acharné, Kamome Shirahama réussit à nous rappeler l’effet ensorcelant de ces livres de contes merveilleusement dessinés dans lesquels on se plongeait étant enfant. Inspiré par l’art européen, les gravures anciennes et les illustrations religieuses, tout son esthétisme est des plus accessibles pour un public français qui, déjà loin d’être récalcitrant au manga, retrouve ici de nombreux repères visuels. Avec ses drapés soignés, ses paysages luxuriants, ses architectures évocatrices et réfléchies, L’Atelier des Sorciers est un portail qui nous entraîne immédiatement vers une évasion salvatrice.

page de L'Atelier des Sorciers

L’artiste qui a étudié le design aux Beaux-Arts et qui est passionnée de mode et d’artisanat, instille tout son manga de son savoir-faire à travers la création de sigles et emblèmes percutants, d’objets ingénieux et de vêtements enchanteurs. Ces détails foisonnants dont on ne peut qu’admirer la qualité et que les fans peuvent s’approprier (à travers notamment la création de nouveaux sorts), en donnant une dimension logique et pratique à la magie de profiter d’une immersion totale dans son univers.

Enfin, impossible d’évoquer l’esthétisme de L’Atelier des Sorciers sans s’attarder sur son extraordinaire mise en page, marque de fabrique de Kamome Shirahama et qui contribue fortement à l’aspect antique, presque hiératique de ses volumes. Les cadres ou les éléments décoratifs qui subliment certaines cases sont de magnifiques trouvailles esthétiques, porteuses de sens, qui ne figent pas la lecture. La mangaka manipule la grammaire visuelle avec brio, dirigeant notre regard en vraie chef d’orchestre et s’amusant toujours de nouvelles idées repoussant les métaphores narratives.

2. La diversité des personnages

La fantasy n’est pas spécialement connue pour son inclusion respectueuse ou variée des différents groupes sociaux. Dans des mondes qui ouvrent pourtant des imaginaires sans limites, on ne peut que déplorer ce carcan souvent inconscient des auteurs, qui offre toujours une pointe d’amertume à la lecture lorsqu’on est une femme, une personne de couleur, qu’on porte un handicap ou qu’on est queer. La représentation manque cruellement et lorsqu’on grandit avec des histoires féériques, c’est un sentiment étrange que de ne jamais retrouver un personnage qui nous ressemble et qui soit traité justement au milieu de centaines d’œuvres différentes.

Concept Art de l'Atelier des Sorciers

Kamome Shirahama dépoussière allégrement le genre en prenant ce questionnement très au sérieux et en y remédiant à chaque chapitre, ce qui donne à la lecture une fraîcheur absolue. Dès le départ, le parti-pris est clair. Dans L’Atelier des Sorciers, les héroïnes sont des jeunes filles qui ne sont jamais sexualisées ni réduites à leur genre et leurs mentors sont deux hommes aux rôles parentaux flous qui défient les codes familiaux. Tout au long des pages, on découvre des schémas relationnels différents : des familles trouvées, des familles recomposées, des relations homosexuelles touchantes, de quoi représenter la complexité du monde et la sublimer en l’incluant dans un monde magique. 

Qu’ils soient ronds, petits, vieux, jeunes, homosexuels, handicapés, plus ou moins mats de peau, ces oubliés de la fantasy sont tous complexes, respectés, ne tombant jamais dans les clichés qui rendent parfois la lecture de nos anciennes œuvres d’enfance douloureuse. Dans les mains de Kamome Shirahama, la fantasy est accessible à toutes et tous et si elle n’est pas la seule à entreprendre cette démarche avec L’Atelier des Sorciers (on pense notamment à Ursula K. Le Guin ou Terry Pratchett), elle a en tout cas réussi à se faire une place respectée dans ce genre.

3. Des thèmes forts 

Les choix abordés ci-dessus ne sont pas évidemment pas anodins et ont une portée bien plus large dans l’intrigue de L’Atelier des Sorciers. La présence de ces représentations variées invoque souvent, dans la logique de l’univers créé, des problématiques terre-à-terre ou éthiques souvent oubliées par la fantasy et que Kamome Shirahama n’hésite pas à aborder.

Ainsi, on retrouve des chapitres sur le harcèlement sexuel ou le sexisme. Une femme noire sensibilise notre héroïne au contrôle de la liberté par le savoir, la présence de mentors permet d’interroger sur les responsabilités et l’autorité de ces figures et sur ce qu’est la pédagogie, les personnages handicapés et les différentes classes sociales font émerger de gros problèmes de privilèges au sein de l’univers. L’omerta même au cœur de la société de L’Atelier des Sorciers, qui restreint l’accès à la magie en mentant à la population sur le fait qu’il s’agisse d’un pouvoir inné alors qu’il ne s’agit que d’un artisanat à la portée de tous, est un dilemme très puissant.

Ce manga a beau être une œuvre jeunesse, il ne se réduit pas à une jolie coquille vide, mais porte au contraire une vraie volonté formatrice sur des sujets de société complexes. Peut-être est-ce dû au long héritage du shōjo que porte Kamome Shirahama, elle qui avoue sans peine admirer Moto Hagio et ses œuvres puissantes. En effet le Shōjo, bien que s’adressant souvent à un public jeune, n’hésite pas à traiter de sujet émotionnels et sociaux durs.

Dans L’Atelier des Sorciers, la mangaka profite de notre recul et notre décalage face à la fantasy et de la curiosité innocente, propre au récit initiatique, pour nous mettre parfois très crûment face à un miroir de notre propre société. Ne prenant jamais son lectorat à la légère, Kamome Shirahama livre une histoire où bien et mal sont nuancés et où la peur vient aussi bien de figures masquées que des dérives du pouvoir, invitant toujours à se questionner.

4. Une intrigue captivante

Avec ses personnages variés et ses thèmes complexes, rien d’étonnant à ce que l’intrigue de L’Atelier des Sorciers soit une vraie réussite. Le lecteur est pris dans un dilemme incessant entre l’envie de tourner les pages le plus vite possible afin de connaître la suite et l’envie de s’attarder longuement sur chaque case pour admirer le trait de la mangaka. Kamome Shirahama manie le mystère et le suspens sans peine, offrant d’ailleurs un design d’antagoniste principal fascinant et mémorable. On veut comprendre, découvrir les secrets de ce monde avec Coco tout en redoutant les révélations qui pourraient bouleverser nos convictions.

Antagoniste de L'Atelier des Sorciers à la fenêtre

La part d’ombre de chaque personnage, qui n’épargne pas même les jeunes héroïnes ou leurs mentors, contribue à instaurer des moments de doute intense sur l’issue du manga. On ne sait jamais ce que L’Atelier des Sorciers nous réserve. Bien que l’on fasse confiance à l’autrice pour nous émerveiller, on sent qu’à tout moment des décisions fatales peuvent être prises et que Kamome Shirahama n’hésitera pas à montrer le prix des conséquences.

Enfin, le large casting que la mangaka honore toujours d’arcs narratifs distincts et passionnants, permet de vivre plusieurs intrigues superposées. Si on suit bien la découverte de ce monde par Coco, le parcours de rébellion d’Agathe, la traque vengeresse de Kieffrey, c’est aussi la grande Histoire de la magie qui se déroule sous nos yeux et une vraie révolution qui s’annonce. On ne peut qu’apprécier ce mélange réussi du destin du monde qui se joue à l’échelle humaine, avec l’espoir toujours, de voir son personnage préféré être mis en avant au prochain chapitre et de saisir un peu mieux sa complexité.

5. Une lecture pleine d’espoir

Dans l’ensemble, L’Atelier des Sorciers réussit à séduire plusieurs générations et à leur offrir une expérience personnelle grâce à ses différents niveaux de lecture. Les enfants y verront une magnifique porte d’entrée vers la fantasy, ses émerveillements et ses codes traditionnels. Les jeunes adolescents pourront y trouver de quoi remettre leur monde en question et se sensibiliser aux grandes questions éthiques, sociales et philosophiques qui traversent notre époque. Les adultes apprécieront sa nouveauté en contraste avec les anciennes œuvres et le pouvoir d’évasion que ce manga offre, grâce à la bienveillance qui instille toute l’œuvre.

En effet, comme le disait Ursula Le Guin dans son discours à la National Book Foundation en 2014, les utopies sont désormais nécessaires à notre monde pessimiste, anxiogène et nourri de visions dystopiques sur le futur. Les artistes sont aux premières loges pour inspirer les nouvelles générations et leur offrir des visions d’espoir, en interrogeant sur ce qui peut être changé dans notre société. Dans L’Atelier des Sorciers, Coco et ses amies, qui n’abandonnent jamais face à des problèmes qui les dépassent, incarnent magnifiquement cette lutte acharnée pleine de courage pour ouvrir la voie à l’espoir.

Kamome Shirahama représente avec sa fantasy féministe et égalitaire un flambeau pour les lecteurs et artistes du monde entier. On se prend à rêver, en lisant ses pages, à des écoles plus justes et accessibles, à des systèmes de mentorat qui bénéficieraient à tous, à une justice plus équitable et à une société où il fait bon vivre. Dans les traces de Hayao Miyazaki, la mangaka offre à la jeunesse quelque chose qui fait du bien : l’envie de vivre et de croire au futur.

S’il vous faut une raison supplémentaire pour vous lancer dans la lecture de L’Atelier des Sorciers, nous n’avons plus qu’à préciser qu’une toute nouvelle édition, magnifique, vient de voir le jour avec une couverture rigide et un format plus grand. Et pour les fans d’animés, l’adaptation arrive courant 2025 ! 

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L’Atelier des Sorciers : trailer de l’anime 

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