Si aujourd’hui le tutoiement fait partie intégrante de notre société, c’était une autre paire de manches sous l’Ancien Régime. En effet, bien qu’il ait existé depuis fort longtemps, ce mode de langage était à l’époque considéré comme grossier. Mais en 1789, la Révolution Française a lieu, apportant des changements profonds à tous les niveaux de notre société.
Ce n’est un secret pour personne, la période révolutionnaire a tout changé en France. Première Constitution écrite du pays, création du Code Civil en 1804… Mais parfois, ces changements furent amorcés sur des points de détails insoupçonnés.
Le tutoiement : vestige de la Révolution… Ou de la Terreur !
La Terreur
Après la Révolution vint la Terreur ! Cette période « merveilleuse » où vous pouviez être exécutés sur un simple soupçon de royalisme ou même de modérantisme. Nous ne reviendrons pas en détails sur cette période complexe. Toutefois, il faut comprendre qu’étaient considérés comme suspects :
« Ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté […]. Ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme. Les fonctionnaires suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou ses représentants. Les nobles, les maris, les femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs, qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution. Ceux qui ont émigré du 1er juillet 1789 au 8 avril 1792, bien qu’ils soient rentrés en France. »
Loi des suspects du 17 septembre 1793 – Article 2
En bref, il valait mieux faire attention à vos propos durant cette période, si vous ne vouliez pas subir le courroux du Comité de Salut Public. Mais malgré cette « ambiance festive », un Décret particulier fut adopté concernant notre mode de langage. Et ce pour une raison bien précise.
Le tutoiement : un idéal d’égalité
Après l’abolition des privilèges, on imagine sans peine le désir des révolutionnaires de garantir l’égalité sociale entre tous les citoyens. Ainsi fut adopté le Décret sur le tutoiement obligatoire le 8 novembre 1793. Cela avait évidemment pour but de faire tomber les barrières hiérarchiques entre les citoyens.
Cependant, malgré ce décret, aucune obligation légale ne fut jamais mise en place de façon concrète pour imposer cette pratique. Ce qui n’empêcha pas le Comité de Salut Public de rendre le tutoiement plus courant qu’il ne l’était auparavant.
Le 27 juillet 1794, la Convention Thermidorienne entre en vigueur, mettant fin à la Terreur. Cela fit également disparaître le tutoiement « obligatoire ». Toutefois, la pratique a commencé à entrer dans les mœurs et sera de moins en moins considérée comme une vulgarité sociale.
Aujourd’hui, le tutoiement fait partie de notre vie de tous les jours, bien qu’il ne soit pas automatique, surtout dans un contexte professionnel. On constate d’ailleurs que le tutoiement au travail n’est pas pratiqué à la même échelle selon l’âge, le sexe, ou le statut dans l’entreprise. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, cette pratique est loin d’être considérée comme vulgaire et c’est tant mieux. Peut-être cela nous rapproche-t-il un tant soit peu d’une certaine égalité, comme cela fut pensé en 1793…
A lire également : Les disparus de la Mary Celeste, un mystère vieux de presque 150 ans
Sources :
- La Terreur
- Décret sur le tutoiement obligatoire
- Journals. OpenEdition : « A présent, tout le monde se tutoye »
- La Chronique de Paris (3 octobre 1792), citée in P. Wolff, Le “tu” révolutionnaire, in «Annales historiques de la Révolution française», 279, 1990, p. 89.
- F. Brunot, Histoire de la langue française, Paris, Armand Colin, 1937, IX, 2, p. 691.
Je suis enseignant de français en Afrique plus précisément au Cameroun. Figurez-vous que je croyais jusqu’aujourdhui que le tutoiement allait de soi. Merci beaucoup pour cet excellent article.
Je doute un peu.
Le tutoiement est la règle au Quebec et ce n’est pas la Révolution Française qui l’a instauré !
Que le tutoiement ne soit pas de mise à Versaille, je peux le croire.
Mais je pense que dans la vie de tous les jours le peuple se tutoyait déjà comme se sont tutoyés les émigrants canadiens. Non?
Bien évidemment, le tutoiement existait déjà 🙂
Il est même précisé dans l’introduction qu’il était considéré comme grossier sous l’ancien régime (ce qui sous-entend une existence plus ancienne).
Cependant, La Terreur a contribué à son essor et à sa démocratisation, même s’il est évidemment un facteurs parmi d’autres.