Durant la première moitié 2020, l’album Map of The Soul: 7 du groupe sud-coréen BTS s’était vendu à plus de 5 millions d’exemplaires. S’il ne semble pas y avoir de rapport évident avec Netflix, il s’agit d’un pas de géant pour l’industrie du divertissement de Corée. Ce succès musical n’est que la face visible d’un iceberg qui s’apprête à tout bousculer sur son passage.
Nous ne présentons plus Netflix. La plateforme de SVOD aux 204 millions d’abonnés de par le monde est un bulldozer connu même par nos plus âgés ! Si l’année 2020 fut un calvaire pour les salles obscures, elle fut un carton plein pour le streaming. Fin janvier, la plateforme annonçait avoir récolté plus de 37 millions d’abonnements supplémentaires en 2020. Sans doute un effet secondaire des confinements. En ce début d’année, la Netflix a donc donné quelques informations sur sa future stratégie. Ainsi, on apprend que le géant souhaite confirmer son positionnement sur l’audiovisuel made in Corée. Mais pourquoi un tel choix ?
Le soft power coréen
Cela fait maintenant plus d’une dizaine d’années que le soft power coréen se diffuse dans le monde. Il y a pour cela des vecteurs très connus, comme la musique et le cinéma, mais pas seulement ! Revenons rapidement ensemble sur la lente ascension de la production culturelle coréenne.
La Kpop : entre inspiration US et identité propre
La percée internationale de la pop coréenne doit beaucoup à l’avènement de YouTube. La plateforme, bien que lancée en 2005, prend vraiment son envol vers 2009-2010. En réunissant au même endroit toute la production musicale mondiale, YouTube est devenu un véritable bouillon culturel. C’est dans la première moitié de l’année 2011 que démarre l’exportation de la musique coréenne. Les clips Tonight de Bigbang et I am the Best de 2NE1 explosent tous les records. En juillet 2012, c’est le raz-de-marée Gangnam Style de Psy et sa danse du cheval qui forcent les portes à la fois des charts et de YouTube. La même année Bigbang remet le couvert avec le clip de Fantastic Baby qui totalise aujourd’hui plus de 470 millions de vues. Des artistes qui ont donc ouvert la voie pour que des groupes actuels comme BTS ou Blackpink s’épanouissent plus facilement à l’international.
Ainsi, BTS est le groupe le plus écouté de tout Spotify en 2020. Aujourd’hui, les fans de Kpop sont tellement organisés qu’ils arrivent même à gêner une campagne présidentielle. La Kpop jouit donc d’un ancrage fort à l’international, notamment aux USA, mais aussi ici en France.
Le cinéma coréen : un retour au genre
La montée en puissance du cinéma coréen remonte quant à elle à un peu plus longtemps. C’est dans la fin des années 90 que la Corée du Sud a commencé à vouloir exporter son cinéma. D’abord vers les marchés asiatiques voisins (Japon, Chine, Taïwan, Hong-Kong), puis vers l’Europe et le continent américain. Le premier grand succès critique arrive en 2003 avec Old Boy de Park Chan-Wook. Le film est une adaptation d’un manga, lui-même inspiré du roman Le Comte de Monte-Cristo.
Le thriller est violent, percutant, dérangeant. Le thème de la vengeance (omniprésent dans le cinéma de genre coréen) est très bien retransmis, tant par la violence psychologique et morale que physique. La direction photographique est historique et convoque des références au cinéma d’action hongkongais autant qu’aux jeux vidéo japonais. Ce sont toutes ces qualités qui lui permettent de remporter le Grand Prix du Jury lors du festival de Cannes 2004.
Force est de constater que le film a su ouvrir la voie. Avec un parti pris tranché et aucune limite vis-à-vis du propos et de la violence, le film s’impose comme une référence de genre (ici thriller). Par la suite, le cinéma coréen ne cessera d’oser voir plus grand avec notamment d’autres essais de genre. Dernier train pour Busan (2016) est par exemple un très bon film d’horreur. Parasite (2019) est à la fois un bon thriller et une bonne comédie noire. Ce dernier film marque la consécration du cinéma coréen. En effet, son réalisateur Bong Joon-ho a réussi l’impensable en 2020 : il est reparti des Oscars avec pas moins de quatre statuettes ! (Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original et Meilleur film international)
Bien que d’abord considéré comme un genre de niche (Renaud en parlait comme d’un cinéma de bobo en 2006), le cinéma coréen s’est démocratisé. Et on ne peut pas nier la puissance d’Internet et des réseaux sociaux dans cette histoire. Beaucoup de vidéastes cinéphiles ayant notamment largement conseillé des films coréens.
Les séries et la littérature, vecteurs oubliés
Vecteurs souvent oubliés, la littérature et les séries produites en Corée ne sont pas en reste. Les séries sont bien souvent une conséquence de l’écoute de la Kpop. La raison en est simple : beaucoup de séries coréennes emploient des chanteurs comme acteurs. C’est l’une des raisons qui explique le succès des dramas.
Pour ce qui est de la littérature, elle sait se faire plus discrète. Cependant, il est de plus en plus courant qu’on trouve sur les salons littéraires des romans coréens. Le succès des mangas japonais ayant attiré l’œil occidental sur l’Asie, certaines maisons d’édition essaient de forcer la brèche. C’est pourquoi, au salon d’Angoulême, on retrouve des stands avec des bandes dessinées chinoises et des romans coréens.
Netflix ne plaisante pas
Ainsi, début janvier 2021, le Netflix annonce qu’il va renforcer sa présence en Corée du Sud :
Nos utilisateurs dans le monde entier sont impatients de regarder davantage de séries et de films coréens originaux, et nous avons hâte de répondre à cette demande grâce aux deux nouveaux centres de production que nous installons à Paju-si et Yeoncheon-gun, en périphérie de Séoul, dans la province coréenne du Gyeonggi.
Une stratégie de contre-offensive
Cette augmentation de contenu made in Corée n’est pas anodine et répond à deux choses. La première, c’est tout simplement le grand succès des premières acquisitions et productions originales pour la plateforme. Il y a déjà de très bons contenus produits par Netflix et réalisés par des Coréens. À vrai dire, même Bong Joon-oh avait réalisé sa fable écologique Okja grâce à la plateforme. Et Netflix le reconnaît :
Les grandes histoires peuvent vraiment naître partout et être appréciées dans le monde entier. Les abonnés des États-Unis, du Canada, de France, d’Allemagne, du Qatar, des Émirats arabes unis et d’Inde, entre autres, se sont passionnés pour la série originale coréenne Sweet Home, sortie récemment sur Netflix, tandis que des programmes coréens comme la saison 2 de Kingdom, The King: Eternal Monarch, Start-Up, et It’s Okay to Not Be Okay figurent notamment parmi les séries télévisées les plus populaires à Hong Kong, en Thaïlande, en Inde, en Malaisie, aux Philippines, à Singapour, à Taïwan et au Japon.
Pour ce qui est de la seconde raison, il faut regarder l’état du marché. Disney+ est arrivé en grande pompe et le catalogue d’Amazon Prime Video ne cesse de se consolider. Netflix se doit alors se sécuriser ses positions sur des marchés qu’eux n’occupent pas encore. Et tout ce qui vient de Corée a le vent en poupe… Ainsi, miser sur ce pays semble être un choix particulièrement judicieux. Afin de réaliser ses ambitions, Netflix sait mettre les moyens. On apprend ainsi qu’ils vont louer sur place pas moins de neuf plateaux de tournage pour une superficie totale de 16 000 m². À cela sera adjointe une enveloppe d‘un demi-milliard de dollars pour la production.
Une petite suggestion…
En attendant, nous vous conseillons l’excellente série Mr. Sunshine sur Netflix. La production est exceptionnelle, la photographie parfaite et le casting brillant. Le rôle principal est tenu par Lee Byung-hun, principalement connu chez nous pour sa prestation dans J’ai rencontré le Diable (2010).
L’industrie du divertissement coréen est actuellement à son apogée. Que ce soit dans la musique, le cinéma ou les séries, mais pas seulement ! Le soft power coréen a déjà conquis le marché. Netflix ne fait ici que prendre la vague dans le creux. Ces investissements sont tout à fait logiques, puisqu’ils représentent une diversification de l’offre. Cette dernière a été rendue nécessaire par l’arrivée massive de concurrents, Amazon Prime et Disney+ en tête. Dans les faits, ce n’est pas un mal, puisque les consommateurs auront une proposition encore plus large. Enfin, il convient de souligner que le cinéma coréen est, depuis de nombreuses années, de très bonne qualité.
Sources :
- Kim, Youna. « Soft Power et nationalisme culturel : la vague coréenne », Outre-Terre, vol. 39 n°2, 2014
- Renforcement de notre présence en Corée : Netflix fête le passage à la nouvelle année avec deux nouveaux centres de production – About Netflix
- Netflix s’apprête à investir 500 millions de dollars dans la production coréenne – Konbini
4 Replies to “Netflix : pourquoi la plateforme mise sur la production made in Corée ?”