Moto Hagio, la déesse du shōjo enfin célébrée en France

Tout était exceptionnel dans la venue de Moto Hagio au festival d’Angoulême. Sa présence malgré la distance et l’âge, l’exposition qui lui est consacrée, sa masterclass touchante et sans tabou, sa rencontre avec ses pairs…  Ces événements se sont cristallisés un instant sur scène, lors de la remise des prix. Face aux artistes venus du monde entier pour célébrer la bande dessinée, la mangaka s’est avancée sous un tonnerre d’applaudissements pour recevoir son Fauve d’honneur. Une récompense qui sonne comme une évidence et qu’on accueille avec un « enfin ! » enthousiaste.

Cultes au Japon, méconnus en France

Cette 51ème édition du festival d’Angoulême a été l’occasion de nous rappeler que, malgré la forte implantation du manga en France, beaucoup de titres et d’artistes cultes restent inédits chez nous. Moto Hagio en est l’exemple parfait. Artiste fondatrice et pionnière du shōjo, au talent aussi poétique qu’impactant, à la bibliographie imposante, la voilà reconnue comme une des artistes phares mondiales. Pourtant, en France, il est encore impossible de trouver plusieurs de ses séries majeures. On pense notamment à Sous la domination d’un dieu impitoyable, Star Red ou Nanohana.

Sous la domination d’un dieu impitoyable ou Zankoku na kami ga shihai suru en japonais, un des mangas les plus durs de Moto Hagio.

Drôle de paradoxe dû au retard de l’édition des mangas, qui ne sont arrivés que dans les années 90 chez nous. Une fois le train pris en marche, les œuvres choisies pour être adaptées et éditées étaient souvent contemporaines et il a fallu du temps avant que les maisons d’édition ne s’intéressent aux classiques et aux fondateurs. Mais ce retard n’explique pas tout. Moto Hagio n’a jamais cessé de créer et, alors que les Français découvraient le manga, certains de ses chefs-d’œuvre étaient en pleine publication. Une autre explication de ce désamour ou de cet angle mort est le rapport de l’édition française au shōjo.

Le shōjo français : un retard conséquent

Le shōjo a connu des débuts difficiles en France, complètement étouffé par le shōnen qui constitue l’écrasante majorité de l’édition de mangas. Plusieurs raisons à cela : des titres mal connus ou mal vendus par les éditeurs qui pensaient qu’il suffirait d’importer les plus gros succès japonais. Mais aussi, on peut s’en douter, un manque d’intérêt et de compréhension du lectorat féminin par un monde de l’édition très masculin.

Ainsi, alors que le shōjo a connu de grosses mutations avec Moto Hagio et ses consœurs dans les années 70, permettant de complètement l’ouvrir à la fantasy, à la science-fiction, à l’horreur, au drame psychologique (etc.), en France, le shōjo se cantonne principalement aux romances scolaires. Côté animation, il y avait pourtant un public enthousiaste. Candy Candy, Lady Oscar, Sailor Moon, Lucile, Amour, et Rock’n Roll sont là pour le prouver.

Exposition au musée d’Angoulême

Le musée d’Angoulême accueille l’exposition Moto Hagio, au-delà des genres jusqu’au 17 mars 2024. Le public pourra y découvrir plus de 160 planches originales choisies soigneusement sur l’ensemble de sa carrière. Ainsi, on traverse les premières pages de Bianca, du Pensionnat de Novembre ou du Cœur de Thomas. Mais on peut aussi y admirer les couvertures en couleur de Nous sommes onze ! et de Star Red, qui montrent que Moto Hagio maîtrise aussi cet exercice. Tous les genres traversés par la mangaka sont présents : science-fiction, drame romantique, tranche de vie historique, etc. Les pages de La princesse Iguane, Mon côté ange, La Reine Margot, Sous la domination d’un dieu impitoyable, Nanohana se suivent pour notre émerveillement constant… Une très belle sélection organisée par Léopold Dahan et Xavier Guilbert.

Cette exposition permet de comprendre que le Fauve d’honneur était une récompense plus que méritée pour la mangaka. En effet, chaque composition est inventive, marquante, attire l’œil et fourmille de détails qu’on croirait presque impossibles de rendre à la main. Ses ombres et ses paysages sont encrés avec un pointillisme méticuleux, sa mise en scène et son découpage saisissent l’émotion du personnage dans de superbes métaphores visuelles. C’est aussi l’occasion pour le public français de découvrir des planches encore inédites chez nous. Un retard que comptent bien rattraper Akata et Glénat avec leurs sorties d’anthologies et de premières éditions.

En 2023, le festival d’Angoulême remettait deux Fauves d’honneur à Ryōichi Ikegami et Junji Itō pour leur contribution à la bande dessinée. Cette année la sélection asiatique ainsi que ce prix remis à Moto Hagio continuent d’entériner la tardive mais bienvenue reconnaissance professionnelle des mangakas (notamment des autrices).

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