8 mars : comprendre la « Journée internationale des droits des femmes »

Jules Chancel
Jules Chancel
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Journée internationale des droits des femmes © Cultea/MidJourney

Soyons clairs, le 8 mars, on ne « fête » pas les femmes. Nous célébrons la « Journée internationale des droits des femmes ». On ne va donc pas leur offrir de cadeaux comme s’il s’agissait d’un anniversaire léger. Le 8 mars, on célèbre l’histoire internationale de militants, mais surtout de militantes, qui se sont battu.e.s pour les droits des femmes. Ainsi, la journée revêt un double caractère : celui de célébration et de commémoration.

Il s’agit de regarder en arrière, pour analyser tout le chemin parcouru grâce aux militant.e.s, tout en rendant hommage à leur courage et leur détermination. Mais il s’agit aussi de regarder le présent et l’avenir, en se disant que l’être humain est capable de mieux.

Ne nous y trompons pas, malgré le caractère « festif » de cette journée, c’est le militantisme qui domine. Chaque année de par le monde, des dizaines de millions de femmes se réunissent pour crier à l’unisson leur désir d’émancipation. La journée du 8 mars est ainsi un point de ralliement, un métronome, pour coordonner toutes les voix des femmes. Cette balise a une longue histoire forte derrière elle, presque aussi forte que les combats et les idées portés par ses actrices. Revenons ensemble sur cette histoire. A l’occasion de cette Journée internationale des droits des femmes 2023, revenons sur les nombreux combats menés et ceux qu’il reste à accomplir…

L’égalité homme/femme : un combat politique ancien

Le combat pour une meilleure reconnaissance des femmes et un traitement plus juste vis-à-vis de leurs homologues masculins ne date pas d’hier. Il est difficile, dans l’état actuel de la recherche, de définir clairement quelle civilisation, dans quelle partie du monde, a pour la première fois accepté de remettre en question la position de la femme dans sa société. Pour ce qui nous intéresse ici aujourd’hui, nous nous concentrerons sur une histoire occidentale des combats « féministes ». Plus précisément, nous reviendrons sur les personnes et les moments phares qui ont amené à cette célébration du 8 mars.

1848 : Seneca Falls

L’histoire de cette date symbolique commence quelque part entre les salons des Lumières en Europe et les mouvements abolitionnistes américains. Le premier événement « marquant » a lieu en 1848 à Seneca Falls. Il s’agit d’une petite ville de l’État de New York, située à proximité du lac Ontario. C’est dans cette commune qu’est organisée, les 19 et 20 juillet 1848, la première convention pour les droits des femmes. Cela se produit à l’initiative de trois dames : Elizabeth Cady Stanton, Lucretia Mott et Abby Kelley. Ces dernières, militantes farouches, sont alors révoltées de l’interdiction faite aux femmes de prendre la parole lors d’une convention contre l’esclavage. Elles décident donc de monter leur propre convention, où affluent des centaines de personnes.

Le résultat de cet événement est la célèbre Déclaration de sentiments. Dans ce texte, véritable acte fondateur du mouvement féministe américain, les militantes s’inspirent de la Déclaration d’indépendance pour affirmer de nouveaux droits aux femmes. Elles revendiquent notamment le plein statut de citoyen américain avec tous les droits que cela implique. La mèche est allumée…

Statue commémorative à Seneca Falls - 8 mars : comprendre la "Journée internationale des droits des femmes" - Cultea
Statue commémorative à Seneca Falls aujourd’hui.

1909 : « Journée nationale de la femme »

La première Journée nationale de la femme a lieu le 28 février 1909 aux États-Unis. C’est le Parti socialiste américain qui en est à l’initiative. La célébration a lieu sur tout le territoire américain et est reconduite annuellement les années suivantes. Cependant, la première édition est suivie de mouvements de grèves ouvrières féministes. En effet, le 8 mars 1909, 15 000 travailleuses manifestent à New York pour demander de meilleures conditions de travail, le droit de vote et un salaire plus équitable vis-à-vis des hommes. La manifestation est réprimée assez violemment par la police. Il est important de noter qu’il ne s’agissait pas de la première manifestation d’ouvrières.

1911 : Copenhague et l’Europe

En 1910, l’Internationale socialiste se réunit à Copenhague et vote à l’unanimité pour donner un caractère mondial à l’événement. Le but est de rendre hommage aux combats passés et présents, ainsi que de promouvoir le suffrage universel féminin. Aucune date précise n’est encore retenue.

À la suite de cette décision, la Journée internationale des femmes est célébrée pour la première fois le 19 mars 1911. On la retrouve en Allemagne, en Autriche, au Danemark et en Suisse, où plus d’un million de femmes et d’hommes sont présents. Au-delà du droit de vote, les femmes réclament le droit au travail ainsi qu’à la formation professionnelle.

8 mars : Journée internationale des droits des femmes - Cultea

1917 : la révolution russe

Sans doute l’un des événements les plus décisifs, les femmes furent l’allumette, le bois et l’oxygène de la révolution russe. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, la Journée des femmes fut mise entre parenthèses. La guerre est très mal perçue en Russie. Non seulement le pays enchaîne les défaites, mais ses enfants meurent au front, dans l’indifférence du pouvoir. Ce dernier est d’ailleurs coupé de tout, enfermé dans un train militaire. Ainsi, dès 1915-1916, le Tsar ne s’occupe déjà plus vraiment de la gestion du pays. Cette tâche est reprise par des comités, des associations ou des syndicats. Ceux-ci s’occupent de tout ce que l’État ne fait plus : ravitaillements et soins en tête.

Février 1917

Alors que près de deux millions d’hommes sont morts au front, les femmes assurent le bon fonctionnement du pays. Au mois de février 1917, c’est la goutte d’eau. L’hiver est rude, la pénurie alimentaire guette et tout le monde est lassé par la guerre. Les grèves commencent dans la capitale, Pétrograd (Saint-Pétersbourg). Le 23 février (dernier dimanche du mois), c’est la Journée internationale des femmes. Pour l’occasion, elles défilent dans les rues pour demander du pain. Souhaitant gagner en poids et en puissance, elles font le tour des usines pour gagner le soutien des hommes. Ces derniers y voient le moyen de prolonger le mouvement de grève. Le nouveau cortège est donc immense : on parle d’environ 90 000 âmes.

8 mars : comprendre la "Journée internationale des droits des femmes" - Les femmes ont eu un rôle important dans le déclenchement de la révolution russe - Cultea

La suite ? Les grèves s’intensifient, comme les manifestations. Le Tsar envoie l’armée, mais cette dernière rejoint doucement le camp des insurgés. Le Tsar est donc contraint d’abdiquer le 2 mars 1917. L’une des premières décisions du comité soviétique mis en place est de reconnaître le droit de vote aux femmes.

La journée du 8 mars restera un rassemblement symbolique fort dans tous les pays du bloc. (Il convient d’ailleurs d’expliquer que, la Russie utilisant à l’époque un autre calendrier que le nôtre, leur 23 février correspond au 8 mars.)

1977 : Une reconnaissance mondiale

En 1975, l’ONU commande une année internationale des femmes. Le but est d’organiser plusieurs conventions dans le monde afin de discuter de la manière de supprimer les discriminations liées au genre dans les sociétés. Ainsi, on cherche à rédiger un texte fort, que les États membres signeraient comme un engagement à long terme. Pour pousser plus loin, l’ONU rend officielle la Journée internationale des femmes en 1977.

En France, c’est en 1982 que la journée revêt un caractère plus officiel. En effet, à l’initiative conjointe du Mouvement de libération des femmes et de la ministre Yvette Roudy, le gouvernement reconnaît officiellement la Journée. Cependant, aucun texte ne le mentionne et, contrairement à d’autres pays, la journée n’est pas fériée.

1995 : Beijing

La première dizaine de septembre 1995 marque un tournant final majeur. Durant cette convention de l’ONU en Chine, un texte phare est adopté à l’unanimité par 189 pays : la Déclaration et le programme d’action de Beijing. Ce programme est une feuille de route qui vise à améliorer douze points en lien avec la condition des femmes dans le monde :

  • Femmes et pauvreté
  • Éducation et formation des femmes
  • Femmes et santé
  • Violence à l’égard des femmes
  • Femmes et conflits armés
  • Mécanismes institutionnels œuvrant à la promotion de la femme
  • Femmes et économie
  • Femmes et prise de décision
  • Droits fondamentaux de la femme
  • Femmes et médias
  • Femmes et environnement
  • Jeunes filles

Et le combat continue

Aujourd’hui, les combats continuent tout autour du globe. De nombreuses manifestations ont lieu toute l’année pour acquérir de nouveaux droits, ou parfois même conserver les acquis…

Un bilan français mitigé…

Malgré tout ce long chemin, les résultats sont lents. Dans notre douce France, il se fait parfois difficile d’être une femme. Il est aujourd’hui inadmissible que, dans la sixième puissance mondiale, la moitié de la population ne se sente pas en sécurité. Plus qu’un léger ressenti, il s’agit malheureusement d’un constat statistique majeur. Ainsi, l’intégralité des femmes déclare avoir déjà subi une forme de harcèlement dans les transports en commun. 80 % d’entre elles affirment avoir été confrontées à une forme de sexisme sur leur lieu de travail. Selon l’Insee, une femme sur dix est victime d’une forme de violence au sein de son couple en France.

Enfin, chiffre le plus terrible, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Sont mis en cause un manque d’éducation flagrant chez beaucoup de concitoyens, un système judiciaire archaïque et des forces de l’ordre sous-formées à ces questions.

Au-delà des chiffres, les nombreux témoignages récents sont assez bouleversants. Libérées par le puissant et délicat à manipuler #Metoo, ces paroles témoignent d’une société malade.

Les collages sont des vecteurs simples, utilisés par les militantes féministes - Cultea
Les collages sont des vecteurs simples, utilisés par les militantes féministes. Par leur support (un mur dans la rue) et la violente simplicité des phrases, ils se révèlent un outil de communication efficace.

… mais des bonnes nouvelles en provenance du monde !

N’oublions tout de même pas le caractère festif, et réjouissons-nous de quelques avancées majeures ! Les faits suivants sont des constats établis dans un rapport de l’UNICEF datant de l’an passé. Le premier fait marquant est que l’espérance de vie des femmes a augmenté de 8 ans depuis 1995. Ainsi, une jeune fille née aujourd’hui vivra plus longtemps que par le passé. Cette donnée est légèrement inférieure chez les hommes et s’explique par de nombreux facteurs. La prise en charge médicale s’est largement améliorée dans le monde. Le droit d’avorter dans des conditions saines s’est aussi légèrement démocratisé. De plus, les progrès médicaux, mais également sociaux, permettent aux femmes d’avoir globalement accès à un meilleur niveau de vie.

L’éducation, un axe prioritaire

La grande nouvelle est principalement que l’accès à l’éducation pour les jeunes filles a très largement augmenté. Ainsi, selon l’UNESCO, le nombre de filles non scolarisées a baissé de 79 millions entre 1998 et 2019, passant donc de 208 à 129 millions. Offrir une éducation de qualité est l’un des axes principaux du programme de développement durable de l’ONU.

On a d’ailleurs vu de nombreuses figures médiatiques du monde de la culture s’investir auprès de ce dernier. Ainsi, l’actrice Emma Watson est par exemple devenue ambassadrice de bonne volonté en 2014. Elle s’est notamment engagée plus spécifiquement pour le développement et l’accès à l’éducation pour les filles des milieux ruraux d’Afrique subsaharienne. En 2017, la chanteuse Rihanna rencontrait le président Emmanuel Macron à l’Élysée pour discuter de la même thématique.

L’autodétermination comme objectif

Enfin, le nombre de grossesses chez les adolescentes (15-19 ans) diminue. Il passe de 60 ‰ avant les années 2000 à 44 ‰ après 2015. Un chiffre qui peut s’expliquer par une éducation et un accès favorisé à la contraception. Le droit à l’avortement est également un facteur qui a pu largement aider. Ainsi, on ne peut que se réjouir de voir que moins de femmes deviennent mère très jeunes. Il s’agit pour certaine d’une véritable émancipation du rôle de « génitrice », leur laissant le choix et le temps de se trouver et se déterminer.

Ainsi, voilà quelles sont les histoires qui se cachent sous cette date symbolique. Il s’agit donc d’un anniversaire historique, véritable hommage aux combats passés. Mais la lutte n’est pas terminée, la Journée internationale des droits des femmes est aussi signe de manifestations. À toutes, nous vous souhaitons, comme tous les jours, une bonne journée. Aussi, vous retrouverez sur Cultea de nombreux articles consacrés à l’histoire exceptionnelle, malheureusement parfois oubliée, de femmes tout aussi exceptionnelles.

Sources : 

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