L’estampe japonaise : au cœur de l’ukiyo-e

L'estampe japonaise : au cœur de l'ukiyo-e

Elle représente la culture japonaise dans le monde entier, imprimée durablement dans l’histoire de l’art. L’estampe japonaise, image populaire aux scènes galantes, aux paysages à la nature figée et majestueuse, a séduit les esprits et continue de se vendre plus de quatre siècles après sa naissance. Aujourd’hui, on voit les plus célèbres d’entre elles sur les chemises, les tote-bags ou les coques de téléphone partout autour de nous. Au-delà de la fameuse grande vague de Hokusai, replongeons-nous dans cet art délicat qui a rassemblé de nombreux courants et artistes.

L’origine des estampes

Si, en Occident, on continue d’attribuer l’invention de l’imprimerie à Gutenberg (c. 1400-1468), l’Asie avait pris un peu d’avance. En effet, dès le VIIe siècle, la Chine imprime des textes en série, par xylographie. Il s’agit d’une technique de gravure sur bois, qui permet ensuite par l’apposition d’encre sur les reliefs de s’en servir de « tampon encreur ».

Le premier texte édité de cette manière est le Sutra de diamant, un manuscrit bouddhiste dont la diffusion s’étend à tout l’Extrême-Orient. La xylographie reste ensuite populaire à travers le temps, car elle permet d’imprimer des images en série et de raconter des histoires accessibles à tous. Il s’agit, en somme, d’un artisanat à visée éducative, culturelle et religieuse, tout comme les vitraux dans les églises en France.

Copie du Sutra du Diamant, premier livre imprimé par xylographie et daté, 868

Lorsque le Japon entre dans l’époque d’Edo, en 1603, les classes sociales sont légèrement bouleversées. En effet, grâce à l’unification du pays et à la longue période de paix qui va suivre, le niveau de vie s’améliore et la bourgeoisie émerge. Cette classe moyenne, avide de divertissement et de culture, lorgne sur les peintures jusqu’alors réservées à l’aristocratie. Néanmoins, la technique reste coûteuse et les écoles dédiées à cet art sont peu nombreuses.

Alors, pour satisfaire cette demande pressante, quelques artistes se penchent à nouveau sur la xylographie. Le procédé est économique, rapide et donc plus abordable. C’est la naissance de l’estampe en tant qu’œuvre d’art. Les sujets qui y sont abordés sont très populaires, jugés vulgaires par l’aristocratie : belles femmes, personnages du théâtre kabuki, créatures folkloriques, scènes érotiques, paysages emprunts de poésie… Ces estampes, dans lesquelles on contemple des scènes figées d’un nouveau monde foisonnant, prennent le nom du nouveau courant artistique : ukiyo-e (images d’un monde flottant).

La technique de l’estampe japonaise

L’estampe est un art minutieux qui regroupe plusieurs domaines : le dessin, la gravure, la peinture, l’impression. L’artiste en charge de l’estampe se repose donc sur des artisans qui exécutent les différentes étapes sous sa supervision.

  • Tout d’abord, l’artiste doit dessiner sur une feuille, à l’encre de Chine, le sujet de l’estampe. Il s’agit du shita-e. Puis, après validation de son éditeur, il copie son dessin sur une feuille transparente.
  • Cette feuille est ensuite apposée sur la planche de bois (1) qui servira « d’encreur ». Les traits noirs de la feuille s’incrustent dans le bois, servant de modèle.
  • L’artisan grave alors les contours du dessin (2) par dessus la feuille, détruisant toujours le dessin original. Puis, il évide la surface entre les lignes (3).
  • Lorsque la planche est achevée (4), on se retrouve avec une sorte de tampon prêt à l’emploi. L’artiste indique quelle couleur correspond à quel endroit sur la gravure.

  • La couleur est apposée sur la planche (5). Il n’y a qu’une couleur par planche, ce qui signifie qu’une estampe avec 3 couleurs nécessitera trois planches gravées identiques où seul le pigment sera différent.
  • On presse ensuite la feuille de l’estampe finale sur la planche (6) et on la frotte minutieusement (7) afin de faire pénétrer les pigments sur toute la surface en relief.
  • On répète l’opération avec la même feuille sur chaque planche pigmentée différemment, jusqu’à l’obtention de l’estampe finale (8).

Les bois les plus utilisés pour les estampes sont le cerisier ou le catalpa, car ils sont solides et leurs fibres se déforment très peu avec l’humidité de l’encre et le séchage. Pour chaque plaque, on pouvait compter autour de 300 tirages avant que l’estampe ne perde en qualité.

Les grands maîtres de l’estampe japonaise

Hishikawa Moronobu est aujourd’hui considéré comme le premier véritable maître des estampes ukiyo-e. Il met en place les codes qui lanceront le mouvement artistique. Ses estampes en noir et blanc sont composées avec beaucoup de soin et d’harmonie. Il produira une centaine de livres illustrés, dont un quart dépeignant des scènes érotiques hétéro ou homosexuelles.

Moronobu, « Amants près des herbes en fleurs d’automne »

Okumura Masanobu marque ensuite un changement dans l’art de l’estampe. Il introduit la perspective à l’occidentale, les formats de papier utilisés (dont le hashira-e, un format vertical très mince), ainsi que l’application des couleurs directement par impression sur la planche. En effet, jusqu’alors on ajoutait la peinture manuellement sur l’estampe finale.

Okumura Masanobu

Suzuki Harunobu, lui, a une clientèle assez riche et va donc pouvoir se permettre des innovations coûteuses. Ses estampes comportent plus de dix couleurs différentes (donc tout autant de planches nécessaires). Artiste très en vogue à son époque, il popularise les calendriers d’estampes (egoyomi), qui permettront une plus grande diffusion encore de l’ukiyo-e.

Torii  Kiyonaga innove à son tour en ouvrant l’estampe à des formats bien plus grands. Il donne vie à de somptueuses compositions en assemblant plusieurs feuilles entre elles, ce qui lui permet également de remplir ses estampes de plus de détails. Ses sujets démontrent également des loisirs variés : chasse aux lucioles, croisières, excursions…

Le 9ème mois (Douze mois du Sud), par Torii Kiyonaga

Hokusai et Hiroshige marquent la dernière grande période de l’ukiyo-e. Ces deux peintres auxquels on doit les estampes les plus célèbres au monde se concentrent principalement sur les paysages. Ils gravent ainsi dans la mémoire collective l’image d’un Japon rural et majestueux, presque légendaire, qui disparaîtra avec l’occidentalisation quelques décennies plus tard.

Tourbillon de Naruto à Awa, de Hiroshige

Où les voir en France?

Le nombre d’estampes en circulation est immense. Les noms des maîtres cités ci-dessus ne sont qu’une minuscule partie de tous les artistes ayant contribué aux estampes ukiyo-e. Chaque jour, un seul atelier pouvait en produire plusieurs centaines. L’offre étant toujours supérieure à la demande, ces œuvres d’art sont donc encore aujourd’hui assez abordables. Il existe un grand nombre de sites dédiés à la revente d’estampes, surtout en Europe où les clients en sont friands.

Pour ceux qui aimeraient les admirer sans toucher au portefeuille, quelques musées se sont adonnés à la collection d’estampes. Hors de la capitale on retrouve le musée du Dessin et de l’estampe originale, à Gravelines. Puis, on peut citer le musée des Arts Asiatiques de Nice ou le musée Georges-Labit à Toulouse, qui possède de véritables trésors de l’estampe ukiyo-e.

Iwai Hanshirô dans le rôle de Koaki par Utagawa Kunisada II. Collection du Musée Georges-Labit

Quant aux musées parisiens, les voici :

  • La Bibliothèque nationale de France possède une très précieuse collection d’estampes originales (plusieurs millions d’œuvres), dont quelques carnets d’Hokusai, des œuvres d’Hiroshige, etc. La bibliothèque ouvre régulièrement ses fonds pour des expositions.
  • Le musée des Arts Asiatiques Guimet rassemble dans sa collection quelques 3 000 estampes.
  • Le musée Cernuschi, dédié à l’Asie.
  • Le musée du quai Branly, dans sa partie japonaise.

Il existe également dans toute la France de très nombreuses galeries d’art privées dédiées aux estampes. Il est possible d’y déambuler en admirant les œuvres rassemblées par de grands collectionneurs.

Si l’on trouve autant d’estampes en France, c’est parce que ces œuvres ont conquis les Européens et fasciné certains de nos plus grands artistes. Ainsi, dès le XIXe siècle, plusieurs boutiques d’estampes fleurissent à Paris, dont celle de Mme Desoy ou celle du père Tanguy. Van Gogh, Monet, Rodin, Cézanne, Gauguin ou Renoir y sont des clients réguliers. Cette rencontre entre nos peintres et les artistes de l’ukiyo-e donnera naissance à des tableaux célèbres et marquera définitivement l’art occidental.

 

Sources :

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