Henri Cartier-Bresson, de ses débuts à la création de l’agence Magnum

Henri Cartier-Bresson, de ses débuts à la création de l'agence Magnum

Henri Cartier-Bresson, un artiste, un photographe, un militant… Découvrez le parcours de l’homme qui fonda l’agence de presse Magnum !

Henri Cartier-Bresson : du successeur pas si modèle au photographe

Issus d’une grande famille d’industriels français, propriétaire de l’une des plus importantes manufactures de fil et de coton de l’époque, Henri Bresson et ses quatre frères et sœurs reçoivent la meilleure éducation. Une grande place aux loisirs est laissée aux enfants. Dans ce cadre, Henri développe dès le plus jeune âge un intérêt pour le dessin et la photographie. Ses parents lui offrent même un Brownie Kodak, avec lequel il prend des photos pendant les vacances ou les sorties avec les Scouts.

Fabrique de cotons de la famille Bresson - Cultea

Aîné de la fratrie, c’est sur lui que repose le poids de la succession dans l’entreprise familiale. On le scolarise dans les plus prestigieux établissements de Paris, le collège Fénelon et le lycée Condorcet, avant de l’envoyer en séjour d’étude à Cambridge. Il intègre même, pour quelques mois, une classe préparatoire à l’École des hautes études commerciales. En parallèle, il va au théâtre, visite des musées, assiste à des concerts, chasse, fait du sport…

Au milieu des années 1920, après qu’il ait échoué trois fois au baccalauréat, on comprend que Henri Bresson est bien plus attiré par les arts que par le commerce. Ses parents acceptent cette voie et cherchent à l’encadrer. Il suivra donc les cours d’un ami de la famille, Jean Cottenet, avant d’intégrer l’académie d’André Lhote en automne 1926, à 18 ans…

Le premier Leica d'Henri Cartier-Bresson - Cultea
Le premier Leica de Cartier-Bresson.

Une teinte de surréalisme ?

Après une formation de sculpteur, Lhote s’oriente vers la peinture. Il prend les idées du cubisme tout en rejetant ce que ce courant a d’abstrait. Les élèves analysent les toiles des maîtres en superposant des constructions géométriques selon la « divine proportion ». Henri Bresson passe la totalité de l’année 1927 et quelques mois de 1928 dans cette académie, mais trouve son enseignement rébarbatif. La peinture est pour lui un moyen de fuir l’école… Il va de nouveau chercher à échapper à cet enseignement qu’il qualifie d’« ennuyant » et trop « systématique ». Il trouve cette fuite dans le surréalisme.

Paysage de Mirmande, 1938, André Lhote - Cultea
Paysage de Mirmande, 1938, André Lhote.

Pendant son service militaire, Henri Bresson retrouve par hasard Harry Crosby, rencontré autrefois. C’est un homme d’une grande famille de banquiers, éduqué dans la bonne société de Boston. Il fait partie, avec sa femme Caresse, de cette génération d’expatriés américains qui ont choisi de s’installer en France après la guerre. Ils écrivent des poèmes, organisent des fêtes extravagantes, pratiquent l’amour libre et consomment les opiacés.

Chez les Crosby, Bresson rencontre Max Ernst, André Breton et les surréalistes. Il découvre la photo avec le couple Gretchen et Peter Powell. Il entretient d’ailleurs pendant quelques mois une liaison avec Gretchen qui, selon ses termes, « ne pouvait pas aboutir », puis part pour l’Afrique en octobre 1930. C’est à vingt-trois ans, en Côte d’Ivoire, qu’il prend ses premiers clichés avec un Krauss d’occasion. Il publie son reportage l’année suivante.

Grand Lahou, Abidjan, Côte d'Ivoire (1930-31), Henri Cartier-Bresson - Cultea
Grand Lahou, Abidjan, Côte d’Ivoire (1930-31), Henri Cartier-Bresson.

Il achète son premier Leica à Marseille en 1932 et décide alors de se consacrer à la photographie. Pour cela, il part en Italie avec André Pieyre de Mandiargues (écrivain, poète) et Leonor Fini (peintre surréaliste). Puis, il photographie l’Espagne, l’Italie, le Mexique et le Maroc. Ses photos montrent une très grande maîtrise de la composition, fruit de l’enseignement de Lhote, en même temps que des éléments de vie pris sur le vif. Les photographies de Cartier-Bresson se situent toujours avec précision géographiquement et dans le temps, ainsi que dans chaque contexte culturel.

Henri Cartier-Bresson “Seville, Spain” - Cultea
Séville, Andalousie, Espagne, 1933. Cette photographie a été publiée dans le livre Images à la Sauvette (1952). © Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos.

Vers un engagement politique…

Le communisme et la lutte antifasciste

Cartier-Bresson s’oriente entièrement dans l’engagement communiste et la lutte antifasciste. Il lit le Ludwig Feuerbach d’Engels, qui formule le concept de « matérialisme dialectique », et encourage ses proches à le lire. Le photographe fréquente également l’AEAR (Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires) dès 1933 et, en 1934, au Mexique. Il faut se rendre compte que ses amis sont tous des communistes proches du Parti national révolutionnaire au pouvoir. À New York, il milite activement dans Nykino, une coopérative de cinéastes militants très inspirés par les conceptions politiques et esthétiques soviétiques. Il y découvre alors le cinéma soviétique. À Paris, ses amis sont des personnalités communistes comme Robert Capa, Chim, Henri Tracol, Louis Aragon, Georges Sadoul

Robert Capa - Cultea
Robert Capa.

Le militantisme dans les veines

En 1937, Cartier-Bresson épouse Eli, danseuse traditionnelle javanaise, célèbre sous le nom de scène Ratna Mohini. Avec elle, il milite notamment pour l’indépendance de l’Indonésie. Afin de ne plus être assimilé à sa riche famille d’industriels, il prend le nom d’Henri Cartier, sous lequel il sera connu durant toute son activité militante, dans la presse communiste, et dans toute sa production de photos et de films jusqu’à la fin de la guerre.

Finalement, le 2 mars 1937, le nouveau quotidien communiste Ce soir (direction Louis Aragon, photographes attitrés Robert Capa et Chim) publie en première page, chaque jour à partir de son premier numéro, 31 photos d’enfants miséreux prises par Henri Cartier (concours dit de « l’enfant perdu »). En mai, le quotidien envoie notre homme à Londres. Sa mission est de réaliser un reportage sur le couronnement de George VI. Henri Cartier prend une série de clichés des gens regardant le cortège, sans jamais le montrer. Les images obtiennent un grand succès, le reportage est repris dans le magazine communiste Regards (direction Léon Moussinac, photographe attitré Robert Capa).

Henri Cartier-Bresson, Couronnement de Georges VI, Londres 12 mai 1937 - Cultea
Henri Cartier-Bresson, Couronnement de George VI, Londres 12 mai 1937.

Le cinéma

Henri Cartier abandonne le « nombre d’or » et la « beauté convulsive » au profit d’un « réalisme dialectique ». Le cinéma ayant, aux yeux des militants communistes, un impact plus fort que la photo, Henri Cartier se tourne vers ce nouvel art. Il devient l’assistant de Renoir pour La vie est à nous. C’est un film commandé par le Parti communiste pour les élections législatives de mai. Henri Cartier est alors membre de Ciné-Liberté, la section film de l’AEAR, qui produit La vie est à nous. Il sera également dans l’équipe de tournage de Partie de campagne et de La Règle du jeu.

Affiche du film La vie est à nous, réalisé par Jean Renoir - Cultea

À l’initiative de Frontier Films (le nouveau nom de Nykino, fondé et dirigé par Paul Strand), avec une équipe française, Henri Cartier tourne Victoire de la vie en Espagne (conséquences des bombardements italiens et allemands, aide sanitaire internationale, installation d’un hôpital mobile, rééducation des blessés). Il est mobilisé, fait prisonnier, s’évade, rejoint un groupe de résistants à Lyon. Il photographie les combats lors de la Libération de Paris, le village martyr d’Oradour-sur-Glane. Le film Le Retour (découverte en Allemagne des camps par les alliés, rapatriement en France des prisonniers) sort sur les écrans français fin 1945.

Henri Cartier-Bresson, À la libération du camp de déportés, une femme reconnaît une indicatrice de la Gestapo, Dessau, Allemagne, 1945 - Cultea
Henri Cartier-Bresson, À la libération du camp de déportés, une femme reconnaît une indicatrice de la Gestapo, Dessau, Allemagne, 1945.

Occultation de son engagement politique

En août 1939, à la suite du pacte germano-soviétique, on interdit la presse communiste et dissout le Parti communiste français. Robert Capa et Georges Sadoul se voient refuser leurs visas, donc empêchés de travailler. Le maccarthysme (qui désigne la politique anticommuniste mise en place aux États-Unis) et la déstalinisation conduisent Cartier-Bresson à organiser l’occultation de son engagement politique et de ses photos et films, signés Henri Cartier. Cartier-Bresson vote cependant communiste jusqu’à l’écrasement de la révolte hongroise par les Soviétiques en 1956.

L’agence Magnum, qu’est-ce que c’est ?

En février 1947, Cartier-Bresson inaugure sa grande rétrospective au MoMA (Museum of Modern Art). Elle réaffirme l’occultation de son militantisme communiste.

Carte de presse d'Henri Cartier-Bresson, 1948 - Cultea
Carte de presse d’Henri Cartier-Bresson, 1948 © Collection Fondation Henri Cartier-Bresson

La fondation de l’agence de presse Magnum

Avec ses amis Robert Capa et Chim, Henri Cartier-Bresson fonde l’agence de presse Magnum en 1947. C’est une coopérative en autogestion, aux parts exclusivement détenues par les photographes, propriétaires de leurs négatifs. Toutes les décisions sont prises en commun et les profits sont équitablement redistribués. Sur les conseils de Robert Capa, Cartier-Bresson laisse de côté la photographie surréaliste pour se consacrer au photojournalisme et au reportage. On le nomme d’ailleurs expert pour la photographie auprès de l’Organisation des Nations unies. Il part en Inde pour Magnum et parcourt, avec sa femme Eli, l’Inde, le Pakistan, le Cachemire et la Birmanie. Il constate sur le terrain les conséquences de la partition des Indes, avec le déplacement de douze millions de personnes sur les routes.

Des photographies qui marquent l’histoire

Par l’intermédiaire d’une amie de sa femme, il obtient un rendez-vous avec Gandhi, et ceci, quelques heures avant sa mort ! Il photographie l’annonce de son décès, puis les funérailles de Gandhi. Ses images seront alors publiées dans Life et feront le tour du monde. À la demande de Magnum, Cartier-Bresson se rend maintenant à Pékin. Il photographie les dernières heures du Kuomintang. Mais aussi l’ampleur de la déflation et, à Shanghai, la ruée des gens vers une banque pour convertir leur argent en or.

Henri Cartier-Bresson, Shanghai, 1948 - Cultea
Henri Cartier-Bresson, Shanghai, 1948.

Notre homme obtient également, au moment du dégel qui suit la mort de Staline, un visa pour se rendre en Union soviétique. Il arrive à Moscou en juillet 1954. Magnum vend à prix d’or le reportage à Life, puis à Paris Match, Stern, Picture Post et Epoca. Peu de temps après, Robert Capa meurt en Indochine en 1954, lors d’un reportage pour Life. Chim est tué en 1956, lors d’un reportage sur la crise du canal de Suez…

Au début de l’année 1963, tout de suite après la crise des missiles, Cartier-Bresson se rend alors à Cuba. Puis pendant un an, il sillonne la France en voiture avant de publier son ouvrage Vive la France. À la suite d’une demande des éditions Braun, il réalise une série de portraits de peintres (Matisse, Picasso, Bonnard, Braque et Rouault). Pour des magazines ou des éditeurs, il réalise également de nombreux autres portraits : Giacometti, Sartre, Irène et Frédéric Joliot-Curie… Pourtant, il refuse toute idée de photographie de mode, à part une fois pour Bettina, dans les années 1950.

Henri Cartier-Bresson, Pablo Picasso, 1953 - Cultea
Henri Cartier-Bresson, Pablo Picasso, 1953.

De nouvelles études

Parallèlement aux reportages qui imposent un rythme rapide de travail, Cartier-Bresson réalise pour son propre compte des études thématiques sur le long terme. Dès 1930, la danse l’intéresse aussi et, avec Eli, il réalise un travail de fond sur la danse à Bali. Il découvre le langage pictural que la danse constitue. Il s’intéresse par la suite à la façon dont les corps en mouvement s’inscrivent dans l’espace urbain. Contrairement aux périodes antérieures où ses images étaient principalement en aplat, Cartier-Bresson utilise désormais la profondeur de champ apprise de Jean Renoir. Elle constitue même l’élément principal de composition dans plusieurs de ses photographies. D’autres thèmes récurrents reviennent dans ses œuvres : l’homme et la machine, les icônes du pouvoir, la société de consommation, les foules

Cartier-Bresson se retire

Mais Cartier-Bresson ressent la fatigue de cette vie intense. Son désir de faire des photos n’est plus le même. D’autre part, en 1966, il rencontre Martine Franck, photographe, qui devient en 1970 sa seconde épouse. Avec notamment la naissance de leur fille Mélanie, Cartier-Bresson aspire légitimement à plus de calme et de sédentarité.

Martine Franck et Henri Cartier-Bresson photographiés par André Kertesz avec l'appareil de Martine Franck, 1980 - Cultea
Martine Franck et Henri Cartier-Bresson photographiés par André Kertesz avec l’appareil de Martine Franck, 1980.

L’homme ne se reconnaît finalement plus dans l’agence Magnum qu’il a fondée. Ses jeunes collègues adoptent les modes de la consommation et vont jusqu’à se compromettre en faisant de la publicité… Il se retire des affaires de l’agence, cesse de répondre aux commandes de reportages, se consacre à l’organisation de ses archives. Il retourne finalement au dessin. Son Leica cependant toujours à portée de main, il continue de faire des photos au gré de son envie.

Mais son engagement est toujours présent. On nomme le photographe professeur honoraire à l’Académie des Beaux-Arts de Chine en 1996. Il écrit alors une lettre aux autorités chinoise pour dénoncer « les persécutions dont la Chine se rend coupable » concernant le Tibet. En tant que bouddhiste, il assiste régulièrement aux enseignements du 14e dalaï-lama et milite pour la cause tibétaine…

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En 2003, un an avant sa mort, la Bibliothèque nationale de France lui consacre une grande exposition rétrospective. Henri Cartier-Bresson meurt en 2004. Il est inhumé à Montjustin dans le Luberon auprès de son épouse, décédée en 2012…

 

Sources :

Étudiante chercheuse en Histoire Contemporaine - Passionnée de littérature, de musique, de cinéma.

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