Arc de Triomphe : des réactions vives (et exagérées) face à son emballage

Robin Uzan
Robin Uzan
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L’Arc de Triomphe connaît actuellement une rénovation artistique des plus singulières. En effet, durant quelques semaines, à compter du 18 septembre 2021, celui-ci sera empaqueté dans 25 000 m² de tissus. Nous devons cette œuvre à l’artiste Christo, malheureusement décédé le 31 mai 2020.

Toutefois, cette œuvre d’art éphémère ne semble pas être du goût de tout le monde, notamment pas des Parisiens (et le Parisien n’aime pas se plaindre exagérément, c’est bien connu…). Ainsi, alors que l’emballage du monument a commencé, nous assistons à un déluge de critiques, souvent teintées de mauvaise foi, voire d’une méconnaissance totale du projet ou même de l’art. Faisons donc un petit récap’ des critiques absurdes adressées à ce projet, pourtant ambitieux et offrant un petit coup de jeune à la Place de l’Etoile.

« Ce n’est pas de l’art »

Voilà bien une critique répandue quand il s’agit de dénigrer une œuvre originale. Sauf que… Si ! C’est de l’art ! 

Peut-être que ça ne correspond pas à vos standards, peut-être que ça ne vous touche pas… mais c’est bel et bien de l’art. Pour emballer une structure aussi massive, il faut des connaissances poussées en géométrie, en architecture, en utilisation des matériaux, en gestion de la lumière et de ses reflets, ainsi qu’une connaissance poussée de la gestion des couleurs… Des compétences éminemment artistiques. Le tout, mis au service d’une forme géométrique complexe et immense. Toute une panoplie de talents permettant de créer quelque chose de nouveau et d’esthétique… Bref : Une œuvre d’art ! 

Arc de Triomphe empaqueté - Cultea
André Grossmann © 2019 Christo

Les personnes tenant de tels propos font preuve du même intégrisme créatif qu’ont eu les réactionnaires de tous bords au fil des siècles. Ceux-là même qui expliquaient que :

  • L’origine du monde de Gustave Courbet ? Ce n’est pas de l’art… C’est juste un sexe féminin, c’est vulgaire et sans portée créative.
  • Le rock’n’roll ? Ce n’est pas de la musique voyons… C’est juste du bruit joué par des voyous.
  • Spielberg ? Ce n’est pas du vrai cinéma… Ce sont juste des films de divertissement.

Bref, les siècles passent mais les réflexions dénigrant les initiatives audacieuses ne changent pas. Fort heureusement, cela n’a jamais empêché les artistes de créer, faisant fi des critiques stériles. Ne pas aimer une œuvre c’est une chose ; dénigrer le travail d’un artiste en est une autre !

« C’est moche » 

Jugement péremptoire et totalement subjectif.

Est-il nécessaire de rappeler que l’art est subjectif et que sa beauté ne touchera les individus qu’en fonction de leur sensibilité ? Nul besoin de développer trois heures tout le travail que ça a représenté et les connaissances que cela demande (nous l’avons déjà fait ci-dessus). Mais dire « c’est beau » ou « c’est moche » n’a au final pas grand intérêt.

« À quoi ça sert ? » 

À faire râler les râleurs…

Plus sérieusement : à quoi sert l’art ? Parce-qu’à ce compte-là, on peut dire que La Joconde et la Vénus de Milo ne servent pas à grand chose non plus, cloitrées dans leur Louvre superflu (qui ne sert plus à grand-chose non plus d’ailleurs). D’ailleurs à quoi servent les artistes qui ont créé toutes ces œuvres entassées au Louvre et qui prennent inutilement de la place ?

Bref, autant dire que si l’on commence à poser ce genre de questions, autant remettre en question TOUT l’art et TOUTES les œuvres… Est-ce que c’est constructif ? Non… Est-ce que ça fait avancer le débat culturel ? Non plus…

La Joconde - Cultea
À quoi sert La Joconde ? (Oui, on peut poser cette question insensée pour toutes les œuvres d’art…)

« Ça coûte trop cher au contribuable »

On a une bonne et une mauvaise nouvelle :

  • La mauvaise, c’est que ça coûte effectivement une blinde ! (14 millions d’Euros).
  • La bonne, c’est que ça ne coûte pas un sou au contribuable ! 

Eh oui, il s’agit d’une œuvre posthume complètement auto-financée par l’artiste et par la vente de ses œuvres. Donc ne vous inquiétez pas pour vos impôts, ils ne serviront pas à financer cette œuvre (des impôts qui financent la culture ? Quelle idée…).

Bien évidemment, nous aurons toujours des personnes promptes à nous expliquer que cet argent aurait dû être utilisé pour d’autres causes, comme nos SDF. Si vous en faites partie, nous vous suggérons de contacter directement la fondation Christo et Jeanne-Claude pour leur expliquer quoi faire de leur argent. On vous souhaite bien du plaisir.

« Christo dénature l’Arc de Triomphe » 

Nope… Absolument pas.

Cette œuvre ne fait que donner une nouvelle dimension à ce monument qui date de presque 200 ans et qui méritait bien un petit coup de jeune temporaire. Ça serait le cas si l’on touchait directement à la structure, aux fondations ou encore aux sculptures du monument… Fort heureusement, sa structure n’a pas été altérée et le 3 octobre, il retrouvera sa forme classique. Ça ira ? Ce ne sera pas trop dur de supporter l’Arc de Triomphe empaqueté quelques semaines ?

« Ce n’est pas original, Christo l’a déjà fait sur d’autres monuments… » 

Et alors ?

  • Martin Scorsese a fait plein de films sur la mafia et on ne vient pas lui reprocher de manquer de talent.
  • Jean-Luc Godard a bâti toute sa réputation sur la Nouvelle Vague (et sur son sale caractère).
  • Tim Burton utilise les mêmes codes visuels depuis trente ans et le public en redemande.

Alors pourquoi un artiste ne pourrait-il pas faire de l’emballage de monuments sa marque de fabrique ? Surtout dans la mesure où chaque monument demande un travail architectural et géométrique extrêmement poussé (et différent) pour parvenir à l’emballer…

Pont Neuf - Christo - Cultea
L’empaquetage du Pont Neuf par Christo avait déjà suscité de vives réactions…

« Ça n’est pas écologique »

C’est presque correct…

Il est vrai qu’utiliser 25 000 m² de tissus n’est pas de très bon goût en cette période où le recyclage devrait être notre obsession. Mais puisqu’on parle de recyclage, on notera que ces 25 000 m² de tissus ont justement été sélectionnés pour être recyclés après leur utilisation. Donc bien que la préoccupation écologique n’ait pas été au cœur des premières œuvres de l’artiste (ce n’était malheureusement pas dans l’air du temps…), force est de constater que son baroud d’honneur aura été marqué d’une prise de conscience.

En bonus, on notera que la première pose de cette bâche avait justement été retardée pour des raisons écologiques. En effet, l’Arc de Triomphe est un lieu d’accueil pour le faucon crécerelle lors de sa période de nidification. Or, ce petit rapace est protégé depuis 1972. Il a donc été décidé de retarder l’installation de l’œuvre d’art, le temps que la saison des amours soit terminée.

Que vous aimiez ou non cette œuvre éphémère, un fait demeure indéniable : elle fait parler… Elle fait réagir… Et surtout : elle fait débattre ! Et n’est-ce pas là la consécration ultime pour une œuvre d’art ? Quoi qu’il en soit, vous pourrez admirer (ou conspuer) l’Arc de Triomphe fraîchement emballé, du 18 septembre au 3 octobre 2021. 

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Journaliste, photographe et réalisateur indépendant, écrire et gérer Cultea est un immense plaisir et une de mes plus grandes fiertés.
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