Qui se souvient de Dinosaure ? Un des films les plus audacieux de la firme aux grandes oreilles, sorti à l’aube des années 2000 et fait de centaines d’images entièrement numériques. Un monstre du cinéma, aujourd’hui bien caché derrière les fourrures dorées de remakes tels que le Le Roi Lion…
Les dinosaures : le dada de Disney
Les dinosaures ont toujours eu la cote chez Disney, comme en témoigne une magnifique séquence issue de Fantasia (1940) sobrement nommée le : Sacre du Printemps. Un merveilleux court-métrage qui, sous l’œuvre d’Igor Stravinsky, raconte les vies et peines de la planète Terre, de sa naissance à l’extinction massive des dinosaures. Un véritable chef-d’œuvre au sommet d’une pratique exemplaire des techniques d’animations et des reconstitutions scientifiquement (presque) justes !
S’ensuivront une multitude de petits projets du genre assez insignifiants, mais néanmoins témoins de l’intérêt de Walt Disney pour ces majestueuses créatures disparues. On peut penser ainsi à la comédie Objectif Lotus (1975) ou le film d’aventure Baby… Le Secret de la Légende Oubliée (1985). Les plus aguerris se souviendront même des squelettes que nous pouvons apercevoir à bord du Thunder Mesa Riverboat Landing en plein cœur du Frontierland de Disneyland Paris !
Dinosaure, ou la naissance d’un électron libre !
Les premières traces de Dinosaure remontent à l’année 1988. Période durant laquelle les réalisateurs Paul Verhoeven et Phil Tippett commencent à caresser le rêve de réaliser un monumental film préhistorique ultra-sombre, violent et perdu dans un paysage fait de désolation. L’histoire d’un Styracosaurus nommé Woot et de son antagoniste : un Tyrannosaurus rex nommé Grozni.
Le film aurait eu alors pour sujet la fin l’extinction des dinosaures et la mort de nos héros. On est bien loin de Cendrillon… Un projet pharaonique budgété à pas moins de 45 millions de dollars. Un gouffre financier et d’une horreur absolue, bien loin de la philosophie de la fabrique des rêves. On relègue ainsi le projet au placard avant de le laisser pourrir, tandis que Jurassic Park de Steven Spielberg enchante le public au cinéma. Paul Verhoeven et Phil Tippett quittent quant à eux le navire.
On saute en 1994, année où le projet est ressorti des abysses. Michael Eisner le clame ! Il veut son Jurassic Park à lui ! Très vite la question de la réalisation se pose. Certains militent pour une animation 2D qui a déjà fait ses preuves sur Fantasia, tandis que d’autres imposent une vision en CGI. La deuxième option est finalement choisie. On confie alors le film à une équipe d’animateurs dédiée à cette technique. Le but, créer via Dinosaure une toute nouvelle industrie numérique made in Disney ! On laisse alors la production se distiller entre de multiples galères et autres. Le poste de réalisateur passe ainsi de George Scribner à Ralph Zondag. On y ajoute ensuite Eric Leighton.
Le projet prend enfin forme. Dinosaure racontera l’histoire d’Aladar, un jeune iguanodon orphelin qui, en 65 millions avant notre ère, est témoin d’une pluie de météores qui ravage l’île sur laquelle il a toujours vécu. Celui-ci se lance ainsi aux côtés de sa famille de lémuriens adoptive dans une quête acharnée pour la survie. Une aventure qui mettra sur sa route ses propres semblables, dont il n’a jamais connu l’existence.
Le film sort au cinéma en 2000. Une vraie révolution en sa qualité d’un des pionniers de l’animation en images de synthèse ! Un film anormalement sombre et violent qui saisit le public par le réalisme de ses animaux faits de petits pixels informatiques. Une admirable technicité, saluée par la critique au profit d’un scénario jugé de son côté comme simpliste et bancal.
Un mastodonte de 127 millions de dollars (du jamais-vu à l’époque) qui, malgré ses bonnes audiences, peine à rentrer dans ses frais. Un échec qui pousse Disney à clôturer ses propres studios CGI au profit d’un système de sous-traitance. L’entrée dans l’ère des années 2000, la période de tous les échecs et expérimentations pour Disney.
Dinosaure : beau à en crever les yeux, mais aussi savoureux qu’un plat de pâtes au beurre…
À quoi ressemblerait un film qui miserait tout sur sa plasticité et son innovation technique jusqu’à en oublier son scénario ? Probablement à Dinosaure.
Dinosaure est la représentation même de ce que l’on appelle une occasion manquée. Derrière ce film se cache un monstre l’animation numérique. Un exquis tableau fait de couleurs chaudes, d’une végétation luxuriante et de pelages si réalistes qu’on rêverait d’y glisser nos mains ! Un véritable chef-d’œuvre d’une animation qui n’a rien à envier à la prise de vue réelle, mais qui se casse la figure à partir du moment où le récit tente de se lancer, via les dialogues sortis de la bouche anthropomorphique de ces créatures.
Jusqu’où le réalisme peut-il être salvateur ? Dinosaure brille en sa séquence d’ouverture. Une merveilleuse et angoissante course pour la vie dans laquelle le spectateur se plonge en priant littéralement pour la survie du petit Aladar, encore dans son œuf. Des décors magistraux, une musique épique, une plasticité documentaire… Tout ce qu’il faut à un film (malgré les affres du temps) pour nous laisser bouche bée devant tant de beauté.
Seulement, il fallait que ces animaux, à la demande d’Eisner, parlent… Que leurs traits soient le plus « humains » possible. Un indigeste mélange qui ne passe pas et sort le spectateur de l’intensité dramatique de la séquence d’ouverture. Dinosaure est un mix scénaristiquement parlant de Tarzan ou et du mythe de Moise. Rien de très nouveau. Tout ça porté par des dialogues peu inspirés et un humour plus que douteux (oui, on parle de la référence à Zinedine Zidane) qui plombe un doublage qui reste de son côté de qualité. Soyons francs, Dinosaure sans sa portée historique en raison de ses innovations technologiques n’aurait pas dépassé le stade du téléfilm oubliable.
Comme un bon plat de pâtes, c’est rapide simple et efficace. Ni plus ni moins. Un récit sacrifié au profit de son animation qui gagne néanmoins en intensité à partir du moment où celui-ci posera le dilemme ultime de tous les films dystopiques. Qui sauver et comment sauver quand le monde autour de nous s’écroule ? Un énorme potentiel qui semble se perdre entre des thématiques trop matures et une volonté de faire un film pour les tous petits.