Certains se souviendront d’un vieux film Disney vu sur cassette. D’une armée de squelettes démoniaques, d’un Seigneur des Ténèbres effroyable et d’un adorable petit cochon rieur capable de lire l’avenir. Des éléments n’appartenant qu’à un seul film : Taram et le Chaudron Magique. Si La Petite Sirène dessina le renouveau des studios Disney en 1989, Taram et le Chaudron Magique, sorti en 1985, marqua d’une pierre blanche la presque mort de ceux-ci. Retour sur le film symptomatique de ce que les fans appellent le Dark Age de Disney.
Il était une fois : le Dark Age des studios Disney
Tous les spécialistes du studio aux grandes oreilles l’assureront. Disney, le mastodonte du divertissement des temps modernes, a connu plusieurs grandes périodes.
Un Âge d’Or de 1937 à 1942, avec des films comme le grand Blanche-Neige et les sept nains. Une période d’incertitude de 1943 à 1949, marquée par une grève monumentale des employés du studio et de la sortie de « package movies » : des longs-métrages faits de courts-métrages. Et un Âge d’argent, de 1950 à 1967, une période de renaissance à travers la production de grands classiques tels qu’Alice au Pays des Merveilles ou Cendrillon…
Des périodes nous menant alors directement vers l’âge que nous attendions, le Dark Age ou les années sombres de la maison de Mickey. Une période de presque 20 ans s’étalant de 1970 à 1988, marquée par la production d’œuvres controversées, dont celle qui nous intéresse aujourd’hui : Taram et le Chaudron Magique.
Taram et le Chaudron Magique : le point noir de toute l’histoire de Disney
Tout commence plus de 15 ans avant la sortie au cinéma d’un des films les plus polémiques du studio. L’année 1966 sonne la première chute de Disney. Le père fondateur, Walt Disney, décède en effet le 15 décembre de cette année. Une tragique perte pour le studio qui, sans le grand maitre, ne saura plus réellement où se diriger.
Taram et le Chaudron Magique est de son côté mis en chantier dans les années 70. Le long-métrage d’animation sera alors une adaptation de la série fantasy en cinq volumes : Les Chroniques de Prydain de Lloyd Alexander. L’enjeu est alors simple, créer une nouvelle œuvre mature et sombre qui ramènerait dans les salles obscures un public familial et adolescent, qui depuis quelques années boude les studios Disney. Disney dans les années 80, c’est démodé, trop enfantin.
« Disney est à l’époque au bord de la banqueroute. (…) Les films qu’il produit ne correspondent plus au marché de l’époque. L’entreprise passe à deux doigts d’être rachetée par des financiers de Wall Street pour être revendue à la découpe ensuite. »
Didier Ghez, historien du studio Disney
Le studio rentre alors dans une période de mutation sans précédent. En 1984, c’est la direction des studios Disney qui se transforme. Roy Disney, neveu de Walt, supplante Ron Miller, gendre du père fondateur. Le fringant neveu n’a alors qu’une seule idée en tête : remettre sur les rails du capitalisme pur et rentable le vieillissant studio de son oncle. Il s’entoure alors de deux hommes : Jeffrey Katzenberg et Michael Eisner, débauchés de la Paramount. Le langage économique prend ainsi rapidement le dessus sur le regard artistique. Eisner, qui n’a vu dans sa vie qu’un seul film d’animation, Pinocchio, parle uniquement en matière de chiffres et rendements. La production d’œuvres animées est vue comme non rentable. L’heure est venue à la création de live action.
Taram et le chaudron magique, de son côté, continue son petit bout de chemin. Comment adapter une œuvre fantasy de cinq volumes en un long-métrage animé d’1h30 ? C’est la question à laquelle une flopée de la nouvelle génération d’animateurs, remplaçant l’iconique armée des neuf vieux sages de l’animation de Walt Disney, tentera de répondre. Un casse-tête impossible. Le film se transforme ainsi en symptôme de la collision entre la vision de ceux qui essayent de relever le studio économiquement et ceux qui tentent de le rénover artistiquement parlant.
Roy Disney, qui tient à sauver l’animation made in Disney, laisse ainsi Katzenberg couper plus de 10 minutes du film lors du final cut. « Sauver le studio, je pouvais y arriver, mais pas Taram. Son sort était déjà scellé », dira le neveu du fondateur à propos du film. On coupe alors les scènes jugées trop effrayantes, on ajoute de l’humour, on décale la sortie. On transforme ce que les jeunes animateurs voyaient comme le nouveau Blanche-Neige en une œuvre hybride, mal rythmée et édulcorée. On découpe le film comme un live action, une mort pour les animateurs.
« La nouvelle direction n’y a jamais cru. C’est terrible. Le film aurait pu être aussi bon que Blanche-Neige. »
Ollie Johnston, cadre de Disney à l’époque pour Norskanimasjon
À sa sortie, le film est un bide. Les familles enragent devant cette chose qui fait hurler de peur les enfants qui souriaient avant devant Winnie L’Ourson. Les adolescents, eux, ne comprennent pas cette œuvre hybride qui ne sait pas choisir entre horrifique et humour disneyen. Le film avait coûté 44 millions de dollars, il en rapportera 21 millions. Les animateurs de Taram sont relégués dans la banlieue du studio Disney. On produit le peu cher Basil Détective privé qui sauve les meubles. Puis, on songe à passer sur une nouvelle formule, celle du Disney made in Broadway.
On embauche, une décennie plus tard, le metteur en scène Howard Ashman qui se retrouve aux commandes de La Petite Sirène ou Aladdin dans les années 90. Disney, à présent, ça sera comme Broadway ! Une chanson qui présente les enjeux du personnage et l’univers, un morceau qui détaille la quête et les 30 dernières minutes du film consacrées à l’action. Une formule qui marche et qui enterre pour toujours Taram et le Chaudron Magique.
Taram et le Chaudron Magique : le graal de la version longue
Qu’avons-nous pensé, avec nos yeux modernes, de Taram et le Chadron Magique ?
Une œuvre incomplète, mais très entreprenante. L’histoire raconte le voyage d’un jeune garçon, Taram, qui au royaume Prydain rêve de destin héroïque plutôt que de sa vie de garçon de ferme. Seulement, le Seigneur des Ténèbres rôde dans les parages. On dit qu’il est à la recherche du petit cochon que Taram garde : Tirelire. Un animal magique capable de dévoiler, à qui le lui demande, l’emplacement du maléfique Chaudron Magique. Un artefact capable de réveiller la redoutable armée des morts du Seigneur des Ténèbres. Taram devra donc tout faire pour empêcher le Seigneur de réaliser ses sombres desseins. Il apprendra ainsi, tout un long de sa quête, qu’être un héros c’est savoir faire des choix, être humble et se laisser aider par les personnes rencontrées sur la route.
Un récit initiatique assez simple, mais efficace. Taram est, au début du film, un jeune fanfaron assez insupportable qui apprendra l’humilité auprès de la courageuse et pragmatique princesse Eilonwy et le repenti Gurki. Un film à l’esthétique sombre, mais à la morale simple et lumineuse. La chevalerie est dans le cœur de celui qui saura se sacrifier par humilité et non par hubris.
Une œuvre néanmoins mal rythmée qui souffre de son final cut. Le film manque d’ancrage dans son univers et d’une bonne trentaine de minutes consacrées à la présentation du monde Prydain, à l’origine et au développement de l’antagoniste trop peu présent à l’image malgré son design époustouflant. Une œuvre à la pointe du frustrant. Le potentiel est là. On le distingue à travers le soin précieux apporté à la réalisation ou l’audace de l’animation. Les personnages parviennent à être touchants, mais manquent tous de fond, d’une back story servant à leur humanisation. C’est dommage.
Certains à une époque ont fait courir la rumeur d’un possible remake live action de Taram et le Chaudron Magique. Probablement une des seules propositions de remake qui pourrait être pertinente. Des live action créés pour faire redécouvrir et rendre justice à des œuvres sacrifiées de la firme.