Playstation : Sony entend « restructurer » Japan Studio !

Jules Chancel
Jules Chancel
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C’est la fin d’une époque. Sony a quasiment supprimé l’intégralité de Japan Studio. Ces studios emblématiques ont vu leur masse salariale fondre durant les premiers mois de cette année 2021. Revenons ensemble sur la production exceptionnelle de ces équipes qui vont nous manquer.

Fondé en novembre 1993, Japan Studio est un ensemble d’équipes de production de jeux vidéo dédiés aux machines de Sony : les Playstation. Dès la naissance du projet Playstation 1, Sony décide de produire des jeux en interne. Sur cette génération, c’est la licence Ape Escape qui fut la représentante de ces studios. Mais il faut savoir que le fonctionnement interne est très particulier. En effet, Japan Studio se scinde en trois groupes distincts travaillant sur des projets séparés, avec des petites équipes autour. 

SIE Japan Studio

Team ICO

Le premier de ces groupes est la Team ICO. Cette dernière s’est fait connaître sur Playstation 2 en développant d’abord ICO. Ce jeu avait alors été acclamé par les critiques qui y voyaient un jeu d’aventure assez atypique. La mécanique était simple, le joueur devait prendre en compte deux personnages dont les facultés de déplacement étaient totalement différentes et devait les emmener au bout de salles. Le jeu est donc basé sur l’exploration et les énigmes, un peu à la manière d’un Zelda. Le style était assez minimaliste, mais l’univers imaginaire était grandiose.

La Team ICO proposera en quelque sorte une suite au jeu avec le classique Shadow of the Colossus. Sorti en 2005 sur PS2, le jeu est onirique et épuré. Peu de PNJ, pas d’ennemis qui traînent, pas de donjons. Le héros progresse sur des terres interdites, abandonnées par les vivants à l’exception de seize immenses colosses qu’il devra vaincre pour rendre la vie à son amie défunte. L’ambiance est paisible, les rares combats sont légendaires. Le jeu est également disponible aujourd’hui sur PS4 et PS5 et nous vous recommandons vivement de l’essayer.

Enfin, la Team ICO nous aura gratifiés en 2016 de The Last Guardian sur Playstation 4. Le jeu emprunte beaucoup aux deux précédents : même univers, même style, même ambiance, et mêmes mécaniques. Il n’en reste que le jeu est plus beau que jamais et que chaque aspect est encore plus poussé. La Team ICO avait déjà disparu peu après la sortie de The Last Guardian.

Shadow of the Colossus - Cultea
Shadow of the Colossus.

Project Siren

Seconde équipe un peu moins connue, Project Siren a d’abord travaillé sur les Forbidden Siren sur PS2. Il s’agissait de jeux d’action tirant sur l’horreur. Ils n’étaient alors pas réalisés par n’importe qui, puisque Keiichiro Toyama était aux commandes. Ce dernier a opéré comme directeur créatif de la saga culte Silent Hill. Il a malheureusement déjà quitté le groupe courant décembre 2020. À noter qu’il a décidé, avec des anciens de la team, mais aussi d’ICO, de former un nouveau studio : Bokeh Game Studio.

Une autre réalisation de choix avait été Gravity Rush (les deux volets). Véritable pépite de la Playstation Vita, le jeu utilisait à merveille les fonctions gyroscopiques de la console. Devant le peu de ventes de la Vita, la suite avait été directement développée sur PS4. Moins riche car moins surprenante, elle n’en restait pas moins un véritable beau jeu d’aventure ouvert à tous. Mention spéciale à la direction artistique, aussi bien visuelle que sonore.

Gravity Rush - Cultea
Gravity Rush.

 

ASOBI Team

Troisième et seule division restante de Japan Studio, la Team ASOBI est plus jeune et se concentre sur le développement de contenus utilisant des nouvelles technologies. Ainsi, elle a notamment développé tous les jeux AstroBot. Il s’agit de petits jeux de plateforme sans prétention, quasi uniquement destinés à faire la démo technique soit du casque VR de Sony, soit de la nouvelle manette DualSense de la Playstation 5. Il en ressort tout de même des projets sympathiques avec de bonnes idées niveau créativité. De plus, la team est dirigée par un Français : Nicolas Dourcet. Étant donné que Japan Studio tout entier se resserre autour de cette team, Dourcet occupe aujourd’hui deux postes : directeur général de Japan Studio et directeur créatif.

Les autres

Il n’y a pas que ces trois équipes, puisque le studio possède des sous-groupes qui planchent sur des projets de moindre envergure ou alors en collaboration avec d’autres studios partenaires. Ainsi, des équipes ont donné naissance à des licences sympathiques comme Ape Escape, LocoRoco, Patapon sur PSP ou encore Knack. Là où c’est intéressant, c’est que les projets collaboratifs se sont parfois faits avec des pointures.

Ainsi, le studio a collaboré à deux reprises avec les fous de From Software. Ces derniers sont les papas de Dark Souls. Une partie de la production de Demon’s Souls et Bloodborne a eu lieu chez Japan Studio. C’est sous la houlette de Masami Yamamoto que s’est fait notamment Bloodborne, avec évidemment Hidetaka Miyazaki comme directeur créatif. Yamamoto a quitté Japan Studio il y a maintenant un mois. Lui qui avait aussi assuré la liaison avec le studio Acquire. Ce dernier studio, moins connu chez nous, est pourtant à l’origine de pépites vidéoludiques. Notamment les sagas Way of the Samourai et Tenchu.

Bloodborne - Cultea
Bloodborne.

Pourquoi fermer boutique ?

Des résultats décevants

Dès le mois d’avril 2021, il ne restera que la Team ASOBI dans les locaux de Japan Studio. Bien que sympathiques, les productions entièrement réalisées par le studio ne sont jamais de gros succès commerciaux. S’adressant souvent à des publics de niche, les jeux sont difficiles à vendre. On ne peut pas nier non plus que les studios ont souffert de l’absence d’intérêt de Sony vis-à-vis de la PS Vita. De plus, lorsqu’on jette un œil aux ventes mondiales de jeux réalisés par Sony pour la PS4, le top 10 est très made in USA :

  • 1er : Uncharted 4 / 16,25 millions / USA
  • 2nd : Marvel’s Spider-Man / 13,20 millions / USA
  • 3e : The Last Of Us Remastered / 12 millions / USA
  • 4e : God Of War / 11 millions / USA
  • 5e : Horizon Zero Dawn / 10 millions / Pays-Bas
  • 6e : Infamous : Second Son / 6 millions / USA
  • 7e : Gran Turismo Sport / 5,10 millions / Japon
  • 8e : Ratchet & Clank / 4,85 millions / USA
  • 9e : Detroit : Become Human / 3,20 millions / France
  • 10e : Bloodborne / 2 millions / Japon

Enfin, Sony n’a plus la même emprise sur le marché japonais… Ce constat peut s’expliquer par un ensemble de faits. La population du Japon se fait vieillissante, les anciens jeunes sont devenus des salariés qui se tuent au travail et ne font pas d’enfants qui deviendraient de jeunes joueurs. Le public n’est donc pas renouvelé. La concurrence avec Nintendo est féroce, la Switch se vend par camions dans l’archipel nippon. En revanche, notons que Microsoft et sa Xbox n’ont globalement jamais été les bienvenus sur le sol japonais.

S’il fallait donner des chiffres, ce seraient ceux des ventes respectives des consoles de Sony au Japon à travers le temps :

  • PS1 : en dix ans, Sony en a vendu 19,36 millions au Japon
  • PS2 : en dix ans, Sony en a vendu 23,18 millions au Japon
  • PS3 : en dix ans, Sony en a vendu 10,40 millions au Japon
  • PS4 : en sept ans, Sony en a vendu 10 millions au Japon

Les Playstation de Sony - Cultea

Sony à l’américaine

De plus, cela fait des années que la marque Sony s’est occidentalisée. Sa direction est composée aujourd’hui d’Anglais et d’Américains. Les plus gros cartons exclusifs aux consoles sont réalisés par trois studios américains : Santa Monica, Naughty Dog et Insomniac.

Santa Monica

Le premier studio est connu depuis belle lurette pour la monumentale saga God Of War entamée sur PS2. La licence s’est en effet vendu à plus de 51 millions de copies à travers le monde, dont au moins 10 millions pour l’épisode PS4.

Naughty Dog

Pour ce qui est de Naughty Dog, ils ont un CV long comme le bras amorcé avec Crash Bandicoot sur Playstation. Le jeu de plateforme avec le renard fou est aujourd’hui un classique du jeu vidéo. La licence en a entraîné une autre : Jak and Daxter, des jeux de plateforme/aventure pour la Playstation 2.

La musique continue à la génération suivante avec la trilogie ultra récompensée Uncharted. Avec cette dernière, Naughty Dog muscle largement son jeu. Il confirme sa maîtrise du genre plateforme et tente de pousser la narration. On ne va pas se mentir, le premier n’a pas très bien vieilli et tend vers la copie nanardesque d’un Indiana Jones. Mais le jeu reste plaisant et surtout dépaysant !

Les second et troisième volets en revanche sont au-delà de tout. L’écriture est brillante, les décors riches et on voyage à un rythme effréné à travers le globe et les sites du patrimoine mondial. La conclusion de la saga sur PS4 ajoute encore plus de maturité, de grandeur aux espaces et de profondeur dans le gameplay. De plus, le jeu peut se targuer d’être parmi les plus beaux du monde, utilisant notamment la technologie de pointe Substance.

Enfin, le studio est à l’origine de la bombe narrative The Last Of Us. Nul besoin de rappeler le bijou qu’est le premier opus. Pour ce qui est du second volet, bien qu’il ait divisé, on ne peut lui retirer des qualités et des prises de risques énormes. Le jeu est profond, brutal, parfois cynique, mais d’une rare beauté et richesse dans son propos.

The last of us Part II - Cultea

Insomniac Games

Ce dernier studio n’en est pas moins brillant. Créée en 1994 en Californie, l’entreprise se trouve derrière un grand nombre de licences. Elle s’est d’abord fait connaître avec le jeune dragon Spyro sur la première Playstation. Puis, pour marquer le coup d’envoi de la PS2, elle créait la licence Ratchet & Clank. Cette dernière aura eu de nombreuses suites sur toutes les générations.

Moins connu, le studio est à l’origine de l’excellente licence Resistance. Cette trilogie est un jeu de tir à la première personne se passant entre 1900 et 1960. Le joueur incarne un soldat faisant face à une invasion de grande envergure d’humains altérés par un virus. L’idée était alors de proposer un jeu se passant dans les mêmes années de conflits mondiaux que Call Of Duty et Battlefield, mais dont l’écriture et la réalisation seraient beaucoup plus libres grâce à l’uchronie.

Enfin, Insomniac a développé les deux jeux Spider-Man sortis sur PS4 et PS5. Il s’agit là d’excellents jeux, à l’écriture fine et nuancée et au gameplay nerveux.

Sony n’abandonne pas le Japon

Que les joueurs se rassurent, il ne s’agit pas d’un divorce pour autant. Sony reste très ancré au Japon en soutenant notamment le développement de bon nombre de projets.

Par exemple, bien que leurs jeux ne soient plus exclusifs sur support Sony, From Software continue de travailler avec le constructeur. Autre acteur historique majeur : le studio japonais Polyphony Digital. Ce dernier jouit d’une renommée mondiale grâce à sa licence Gran Turismo. La licence est particulièrement ancrée dans le milieu automobile, au point même où des constructeurs proposent des modèles uniques pour le jeu qu’ils concrétisent en vrai. Bien que Microsoft ait largement tiré son épingle du jeu avec les excellents Forza, GT reste l’acteur majeur.

Sony a aussi rappelé récemment son étroite collaboration avec Square Enix et sa licence Final Fantasy. On a eu droit à un remaster de l’épisode VII.

Enfin, il y a toujours Kojima Productions ! Bien que le studio soit désormais indépendant (surtout de Konami), il n’en reste pas moins que Sony y a beaucoup investi. On doit notamment au studio la saga Metal Gear Solid, dont une bonne partie des épisodes sont des exclusivités Playstation. Enfin, Kojima a développé une grosse exclusivité pour la Playstation 4 : Death Stranding. Le jeu est exceptionnel, ce qui est malheureusement autant une force qu’un défaut. La relation entre la narration, le game design et le gameplay est très cohérente et propose une immersion dans un monde post-apocalyptique. La direction artistique est ultra léchée, aussi bien au niveau visuel que sonore. Mais le gameplay souffre de nombreux défauts et les mécaniques de jeu ne peuvent pas plaire à tout le monde. En ressort une expérience unique, bouleversante, mais inégale.

Ainsi, Sony marque la fin d’une époque. Bien qu’il ne s’agisse pas là d’une rupture franche entre Sony et le Japon, il s’agit d’un pas en avant dans le sens de l’américanisation de l’entreprise. Un choix créatif difficile, mais économiquement nécessaire. Nul doute que les équipes renvoyées sauront pivoter, comme à l’initiative de Keiichiro Toyama.

 

Sources :

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