S’il est difficile de concevoir le lien entre la marque de soda américaine Pepsi et une flotte de combat militaire, celui-ci existe cependant ! Le récit de cette histoire rocambolesque suit de près le contexte de la guerre froide. Découvrons ensemble comment ce géant de la boisson en est arrivé là.
La culture américaine à la conquête de l’URSS !
La guerre froide
La sortie de la Seconde Guerre mondiale est marquée par la vive tension entre les deux blocs américain et soviétique. C’est dans ce contexte que démarre ce que les historiens appellent aujourd’hui la guerre froide. En effet, ce conflit avait la particularité de ne pas réellement prendre la forme d’un affrontement militaire direct, mais bien d’une course à la puissance. Ainsi, les deux blocs développèrent un grand nombre de projets culturels, militaires et scientifiques afin d’imposer une image de dominant. Le fond était évidemment politique, les États-Unis défendant un libéralisme exacerbé au nom du capitalisme et l’URSS défendant son communisme. Chacun essayait alors d’influencer le monde pour le faire pencher de son côté. Si cette course aura permis de nombreux progrès scientifiques majeurs (programme spatial, médecine, aéronautique, ordinateurs, etc.), elle n’en restait pas moins une période de tensions où la guerre pouvait frapper à tout moment…
La « trêve » de 1959
Cependant, il y eut quelques rares moments de trêve. Ainsi, en 1959, les deux puissances décidèrent d’organiser des salons pour se présenter mutuellement leur mode de vie et leur culture. Il s’agissait encore ni plus ni moins d’une manifestation de ce bras de fer, mais cette fois-ci, sur un terrain plus doux. Exit les avions supersoniques de combat, bonjour les cuisines et biens de consommation. Si les progrès impressionnants de l’URSS en terme de conquête spatiale sont présents, il y a également beaucoup de biens du quotidien de familles russes et américaines. Tout le but de l’exposition était là : comparer les modes de vie des deux nations.
Il faut bien comprendre que, pour l’époque, il ne s’agissait pas seulement de comparer, mais bien de découvrir ! En effet, sous la pression de la propagande d’État, les médias des deux pays n’avaient jamais réellement montré ce qu’était la vie quotidienne des gens. Ainsi, l’image que s’étaient forgée les opinions publiques respectives était totalement biaisée.
Le 30 juin 1959, une exposition démarre au Colisée de New York. Celle-ci présente les avancées de l’URSS et le quotidien de la vie dans ce pays. Les Américains sont choqués, ils réalisent que leur regard sur le pays froid était plutôt déformé. En miroir, le 25 juillet s’ouvre un salon dédié à « l’American Way of Life » en actuelle Russie. C’est au parc des expositions Sokolniki de Moscou que de nombreuses marques américaines sont venues présenter leurs produits. On retrouve l’emblématique Disney pour la culture, IBM pour la technologie et Pepsi pour la consommation alimentaire.
Le président Nixon est alors lui-même du voyage pour aller discuter avec Nikita Khrouchtchev. Leur amusante discussion sera même enregistrée par les caméras. Connu aujourd’hui comme le kitchen debate, cet échange se déroula devant une cuisine de foyer américain typique. Transition intelligente, puisque Nixon attire Khrouchtchev vers le stand Pepsi Cola. Là-bas l’y attend Donald Kendall, responsable international chez le fabricant de boissons…
Du Pepsi pour les soviets !
La photographie ci-dessus est historique. Le dirigeant de l’URSS goûtant au parfum d’un produit symbole du capitalisme. Khrouchtchev n’y résiste pas longtemps et boit quelques verres. Le cliché fait rapidement la une des journaux. Pepsi se voit offrir une campagne commerciale de folie : la fraternité entre URSS et USA grâce à du Pepsi.
De plus, le mouvement est colossal vis-à-vis de son grand rival de toujours : Coca-Cola ! Avec une telle publicité, Pepsi est quasi certain d’avoir l’exclusivité du marché soviétique. Donald Kendall va alors passer près de dix ans pour négocier les termes de la distribution de boissons sur le territoire du bloc est. Kendall devient PDG de Pepsi en 1963, et ce, jusqu’en 1986. Cette place est alors totalement méritée ! Proche de Nixon, Kendall avait arrangé à l’avance la venue des deux dirigeants sur le stand des sodas. Bien que sa hiérarchie considérait l’envoi de produit et d’un stand en URSS comme un gâchis financier, il s’entêta à aller jusqu’au bout. Nixon, réalisant l’énorme impact culturel et économique de la chose, ne refusa évidemment pas de jouer son rôle de guide. Le cliché est dans la boîte, la com’ peut commencer !
C’est finalement en 1972 que Pepsi obtient le prestige d’être la première marque américaine à s’implanter en URSS. Coca tenta bien évidemment de contre-attaquer vainement dans quelques villes du bloc via sa marque Fanta.
Payer sa conso !
Un problème se présente alors : le moyen de paiement. Sous le contrôle du Kremlin, les roubles soviétiques sont intransférables à l’étranger. Les négociations s’arrêtent sur un moyen vieux comme le monde : le troc. Ainsi, Pepsi obtient en échange de ses litres de boisson gazeuse de nombreux litres de Vodka Stolichnaya et l’exclusivité de leur distribution sur le sol américain. La mixture fournie par Pepsi est alors concentrée pour que l’échange soit plus équivalent. On estime qu’entre 1973 et 1981, Pepsi reçut environ 20 millions de litres de vodka. En échange, l’URSS reçut environ 330 millions de concentrés de Pepsi. Pour diluer et mettre en bouteille la boisson, une dizaine d’usines sont construites en URSS. On en trouve notamment à Leningrad, Moscou et Kiev. Leur rôle est également de servir de points d’approvisionnement stratégiques pour l’ensemble du bloc de l’est.
Ainsi, l’échange permit aux Soviétiques de consommer du Pepsi et aux Américains de la vodka. Cependant, certains événements vont changer la donne. En effet, l’URSS intervient de manière impopulaire en Afghanistan dès 1979. Les Américains commencèrent alors à quelque peu boycotter la vodka en signe de protestation. De plus, les finances soviétiques n’étaient pas en très bonne santé. Enfin, la consommation russe de Pepsi ne cessait d’augmenter. Tous ces éléments obligèrent donc Moscou à renégocier les termes du contrat.
Des bateaux de guerre contre du soda…
Dès 1989, l’URSS proposa donc d’échanger la boisson contre d’anciens navires de guerre. Ce que Pepsi accepta… Ainsi, l’entreprise se retrouva à la tête d’une flotte de 17 sous-marins diesel électriques, un croiseur, une frégate et un destroyer ! Tout ce petit équipement militaire a fait de Pepsi, l’espace d’un instant, la sixième puissance militaire maritime mondiale.
En tant que PDG d’une des plus importantes compagnies américaines, les entrées en politique de Kendall étaient nombreuses. Un jour qu’il discutait avec le conseiller à la sécurité nationale du président George H.W. Bush, il lui vint une pique inspirée de la situation cocasse : « Nous désarmons l’URSS plus vite que vous ! »
Pepsi ne décida cependant pas de former une nation dissidente munie de sa propre armée. Le choix fut plus sage et « économique ». Ils revendirent leur flotte à des chantiers navals en Suède et en Norvège. Ces derniers désossèrent les navires pour la ferraille. À noter qu’une seconde livraison était prévue en 1990 ! Ainsi, Pepsi aurait dû recevoir dix cargos et pétroliers de plus. Mais la chute de l’URSS empêcha la livraison. Pire encore, la disparition de cette dernière en 1991 mit brutalement fin au monopole de Pepsi dans la région. Coca-Cola en profita pour arriver en grande pompe sur le marché. Il n’empêche que la Russie demeure aujourd’hui le second plus gros marché au monde pour le géant du soda.
S’il faut retenir un seul élément de cette histoire, c’est que les Russes sont prêts à payer avec n’importe quoi pour avoir ce qu’ils veulent. Pepsi aura eu le privilège de marquer l’histoire en tant qu’unique marque alimentaire disposant d’une flotte de combat.
Sources :
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