Paolo Sorrentino, maestro du cinéma italien contemporain

Paolo Sorrentino, maestro du cinéma italien contemporain - Cultea

« Je veux une vie imaginaire comme celle que j’avais avant. J’aime plus la réalité. La réalité est minable. » (La Main de Dieu, 2021). Le réalisateur italien Paolo Sorrentino signe son dernier long-métrage autobiographique, La Main de Dieu, en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger. Retour sur la carrière d’un cinéaste, un homme en proie à la douceur de vivre comme à la mélancolie, aux interrogations ponctuant son œuvre. 

Faire du cinéma une rédemption

Fils d’un banquier et d’une mère au foyer, natif de Naples, Paolo Sorrentino grandit dans une ville exaltée par la passion du football, balayée par le souffle de la Méditerranée. À ses 17 ans, ses parents, alors partis à la montagne, meurent empoisonnés d’une fuite de monoxyde de carbone. Lui était parvenu à convaincre son père de le laisser assister à un match du SSC Napoli. Son idole, la « Main de Dieu », Diego Maradona, officie comme vedette du club. « Maradona m’a sauvé la vie », répète le réalisateur à tout-va. 

Paolo Sorrentino à Naples, dans les années 1990 - Cultea
Paolo Sorrentino à Naples, dans les années 1990.

Le jeune Sorrentino part étudier l’économie, puis s’adonne au cinéma. Il sert de petite main sur les tournages, avant de devenir assistant-réalisateur sur plusieurs courts-métrages tournés à Naples, une ville centrale de la cinématographie italienne. En 1998, il participe à l’écriture de Polvere di Napoli d’Antonio Capuano, dont la figure intimidante de maître réalisateur revient dans La Main de Dieu, interprétée par Ciro Capano. 

La consécration italienne, avant l’internationale

En 2001, Sorrentino écrit et réalise son premier long-métrage, L’Homme en plus. Il se lie d’amitié avec Toni Servillo qui devient son acteur fétiche. Son double napolitain comme Marcello Mastroianni a été l’alter de Federico Fellini de l’autre côté de la caméra. Le film rencontre un franc succès à l’exigeante Mostra de Venise, remportant le Ruban d’argent du meilleur nouveau réalisateur.

Le succès se poursuit en 2004 avec Les Conséquences de l’Amour, puis l’Ami de Famille ou encore Il Divo, relatant des décennies de l’histoire politique italienne marquée par l’assise du président du Conseil Giulio Andreotti des années 1970 aux années 1990. 

Cependant, la consécration internationale de Sorrentino est bien actée par la victoire de l’Oscar du meilleur film étranger pour La Grande Bellezza (2013), fresque philosophique d’un journaliste culturel perdu dans les mondanités de Rome. 

Affiche de La Grande Bellezza avec Toni Servillo - Cultea
Affiche de La Grande Bellezza avec Toni Servillo.

Le long-métrage est introduit par une citation de Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit : 

« Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déception et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. »

La philosophie de l’œuvre de Sorrentino

Jep Gambardella a 65 ans. Il prend conscience du vide qui l’habite, lui et ses amis, ses fréquentations qui s’abandonnent à l’ivresse abrutissante des soirées qu’il lance depuis sa terrasse surplombant le Colisée, comme un Gatsby en quête de la lumière verte. Jep, incarné par Toni Servillo, aspire à retrouver l’écriture qui l’a habité plus jeune, alors amoureux de celle qui avait inspiré son premier et unique roman. 

Jep Gambardella (Toni Servillo), La Grande Bellezza (2013) - Cultea
Jep Gambardella (Toni Servillo), La Grande Bellezza (2013).

« Je voulais devenir le roi des mondains. Je ne voulais pas seulement aller à des fêtes, je voulais avoir le pouvoir de les faire échouer. » 

L’œuvre est une ode à la vie en même temps que la critique acerbe qu’un Napolitain peut adresser à une Rome qui se perd dans son microcosme, ses futilités matérielles multipliées dans la fuite du « néant » comme le formule son protagoniste. C’est un poème, d’une succession de proses, d’un écrivain qui doute et qui n’écrit plus, ou pas encore, et qui observe autour de lui la décadence d’un monde qui se perd dans ses certitudes.  

Paolo Sorrentino et Toni Servillo avec l'Oscar du meilleur film étranger pour La Grande Bellezza, 2013 - Cultea
Paolo Sorrentino et Toni Servillo avec l’Oscar du meilleur film étranger pour La Grande Bellezza, 2013.

Sorrentino poursuit ses interrogations et les sème dans ses œuvres comme la continuité des questionnements de Federico Fellini dans La Dolce Vita (1960), Mastroianni errant dans les rues de Rome et ce qu’elles réservent d’excès en quête d’amour et de sens, ou encore Huit et Demi (1963), récit d’un réalisateur de films rongé par la dépression, alternant ses rêveries entre souvenirs et fantasmes, regrets et amours déchus.

Dans Youth (2015), Sorrentino écrit l’amitié d’un scénariste (Harvey Keitel) et d’un musicien (Michael Caine) au crépuscule de leurs vies, séjournant dans un hôtel de luxe au cœur des Alpes suisses. La mémoire de leurs vies prend le dessus sur leur avenir compromis. Sorrentino signe à nouveau un chef-d’œuvre du genre. 

Michael Caine et Harvey Keitel dans Youth (2015) - Cultea
Michael Caine et Harvey Keitel dans Youth (2015).

Le travail de ses personnages

Mais de quel genre parlons-nous ? D’un genre propre à lui, maturation de défis personnels rencontrés, qui « fermentent » son art plutôt que l’inspirent. Sorrentino taille ses personnages, de son travail de scénariste à celui de réalisateur, comme des hommes et femmes aux tragédies inévitables que la vie sait leur réserver.

À travers chacun d’entre eux s’exprime le génie de son art. L’intrigue est parfois anodine, comme dans Youth. Mais elle laisse place à un attachement viscéral du spectateur pour ces protagonistes, au seuil des mêmes angoisses et mélancolies. 

Avec The Young Pope (2016) et The New Pope (2020), Sorrentino fait le pari d’éclater un long-métrage en plusieurs épisodes. Les deux volets rencontrent un succès populaire comme critique. Lenny Belardo (Jude Law) est élu Pie XIII et très vite, rompt avec toute velléité progressiste de l’Eglise. Il s’impose alors comme un souverain pontife radical des temps modernes, se donne entier à Dieu après être devenu orphelin, abandonné par ses parents dans son enfance. 

Jude Law alias Lenny Belardo ou Pie XIII dans The Young Pope (2016) - Cultea
Jude Law alias Lenny Belardo ou Pie XIII dans The Young Pope (2016).

La première série trace son cheminement spirituel, alors qu’il se trouve parfois en proie au doute de sa foi. The New Pope place au centre de son questionnement l’impact de ceux qui nous entourent sur la construction de soi. John Malkovitch y est magistral de réserve et de sensibilité. Son jeu est appuyé par une réalisation cinématographique remarquable, dans la justesse de l’esthétique comme des mises en scène. 

Le temps de l’introspection

Avec La Main de Dieu, Paolo Sorrentino parvient enfin à parler de lui-même. Il éclaire ainsi sa carrière d’un long-métrage introspectif personnel et déchirant. Fabietto Schisa (Filippo Scotti) est un jeune adolescent insouciant de la classe moyenne napolitaine. Il adule les prodiges de Maradona, la beauté de sa tante, et rit aux traquenards que sa mère (Teresa Saponangelo) ne peut s’empêcher de tendre à son père (Toni Servillo).

Il est le deuxième fils d’une famille heureuse, aux déjeuners avec les oncles et tantes sur la côte amalfitaine, le grand-frère (Marlon Joubert) qui se fait refouler par Fellini pour son prochain film. Un jeune ado insouciant que la vie frappe de la perte soudaine de ses deux parents dans un accident.

Fabietto Schisa (Filippo Scotti) et ses parents, "La Main de Dieu", 2021 - Cultea
Fabietto Schisa (Filippo Scotti) et ses parents, La Main de Dieu, 2021.

Sorrentino signe un film assurément différent de ses précédents, plus démonstratif et plus assumé dans sa tragi-comédie. En lice pour l’Oscar du meilleur film étranger (27/03/2022), La Main de Dieu a déjà remporté le Grand Prix du Jury de la Mostra de Venise en septembre dernier. Durant son discours, il livre son émotion à l’audience.

« Le jour de l’enterrement de mes parents, mon école n’avait envoyé que quatre élèves de la classe. […] Mais aujourd’hui cela n’a plus aucune importance parce que toute la classe est venue. »

L’œuvre de Paolo Sorrentino, assurément introspective tout comme l’expérience qu’en font ses spectateurs, vaut le détour pour la poésie qu’elle dégage et l’urgence de conter les histoires qui font du cinéma, de son écriture à sa réalisation, le formidable vecteur d’un langage universel.

 

Extrait (VO sous-titré anglais) de La Grande Bellezza (2013)

Rédactrice pour Cultea, je m'intéresse un peu à tout, écris un peu sur tout.

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