Les conditions de vie des enfants ont beaucoup changé au fil de l’histoire et ils ont eux aussi été marqués par de grandes avancées. Après la croisade des enfants au Moyen Âge, découvrez aujourd’hui les bagnes d’enfants en France, connus sous le nom de colonies agricoles pénitentiaires. Dans notre pays, la justice des mineurs a longtemps été synonyme de répression et cela dura jusqu’à la moitié du XXe siècle. Retour sur cette époque où il valait mieux ne pas filer un mauvais coton, comme dit l’expression.
Un traitement différent pour les jeunes
Au début du XIXe siècle, il fallait trouver une autre voie que la prison pour les mineurs coupables de petits délits dont il fallait tout de même corriger le comportement avant qu’ils ne tournent complètement mal. En effet, on considérait à l’époque qu’un jeune de moins de 16 ans pouvait avoir commis un délit sans s’en rendre pleinement compte et n’était donc pas coupable. La justice devait donc traiter différemment un enfant et un adulte.
Le code napoléonien posa les bases d’une justice spécifique pour les mineurs en 1810. Toutefois, la première mise en pratique concrète de ces lois eut lieu en 1836 avec la Petite Roquette, la première prison destinée aux enfants qui ne devaient pas être traités de la même façon que les adultes. En effet, on redoutait à l’époque que les adultes « contaminent » les enfants et les encouragent au vice et au crime. Pourquoi ne pas isoler les différentes populations au sein des prisons et limiter les interactions ? C’était déjà ce que le gouvernement français essayait de faire. Mais à cause de la surpopulation carcérale, il était impossible de garantir la séparation des mineurs et des adultes au sein des établissements pénitentiaires.
La Petite Roquette, les prémisses des bagnes d’enfants et l’isolement comme solution
La Petite Roquette fut le premier établissement pour mineurs. À ses débuts, on y organisa des temps collectifs. Toutefois, les enfants n’arrivaient pas à garder leur calme. Le système se tourna donc vers l’isolement des jeunes. Ces derniers étaient enfermés la plupart du temps et lorsqu’ils étaient autorisés à sortir, on les obligeait à porter une cagoule afin qu’ils ne puissent pas sociabiliser les uns avec les autres. Même lors de la messe, ils étaient isolés. Au fur et à mesure, ceux qui étaient pour la création de ce lieu, comme Victor Hugo, finirent par reconnaître qu’il s’agissait d’un lieu de maltraitance. La Petite Roquette ne fut donc pas la bonne solution.
C’est pourquoi à partir de 1839, on assista en France à l’émergence des maisons de correction nommées « colonies agricoles pénitentiaires ». Elles furent établies à l’initiative de plusieurs individus privés, notamment des hommes politiques et fonctionnaires de la justice, ainsi que par les communautés religieuses. Ces lieux étaient dans la continuité du questionnement sur le traitement spécifique des enfants. De tels établissements furent très communs en France, notamment sur certaines îles françaises, du XIXe à la première moitié du XXe siècle, car beaucoup d’enfants eurent besoin d’être pris en charge. La IIème République promut le 5 août 1850 une loi sur « l’éducation et le patronage des jeunes détenus », qui instaura ces colonies pénitentiaires agricoles dans les textes législatifs.
Les colonies agricoles pénitentiaires, une idée nouvelle
Ces institutions visaient donc les enfants auteurs de petits larcins, vagabondage et autres délits mineurs. Elles étaient réservées aux garçons. On ne considérait alors pas les filles comme délinquantes, mais comme pécheresses. Ainsi, elles étaient le plus souvent envoyées dans des institutions religieuses, bien qu’il existait des maisons pénitentiaires privées pour filles, dirigées par des congrégations religieuses.
Ces établissements comptaient sur la présence de la nature et la séparation avec la famille, jugée comme une mauvaise influence, pour redresser les enfants. C’est pourquoi on les créa dans des endroits reculés à la campagne, loin de la ville et de la famille. Les colonies devaient fournir une formation professionnelle dans un environnement serein. À cette époque, cette idée fut une véritable innovation et une solution originale.
Les enfants travaillaient la terre pour permettre leur redressement et leur rédemption. L’idée du péché et de la prière était omniprésente dans ces institutions, majoritairement dirigées par des prêtres. Ainsi, à côté de Tours, dans le bagne de Mettray, véritable modèle pour le reste des colonies, l’inscription « Dieu vous voit » se trouvait au dessus des portes.
Une bonne intention qui tourna au cauchemar
Ces colonies avaient pour but de remettre les enfants sur le droit chemin. Toutefois, très vite, elles devinrent de véritables prisons très disciplinaires où les conditions de vie étaient très dures. Les tâches imposées, les ordres répétés et la surveillance continuelle rythmaient les journées des enfants. Ils pouvaient travailler jusqu’à 15 heures par jour dans les champs ou les ateliers de menuiserie et de cordonnerie.
Les plus jeunes n’avaient même pas encore 5 ans lorsqu’ils arrivaient dans ces colonies. Les enfants n’étaient formés à aucune activité professionnelle, et ne recevaient aucune instruction élémentaire. Le plus souvent, les surveillants et les plus âgés y enseignaient les bases de l’éducation. Il fallait épuiser le corps pour le discipliner. On traitait donc les jeunes comme de véritables prisonniers. Plus que la protection et la correction de la jeunesse, ces lieux visaient en réalité la répression. En effet, à la fin du XIXe siècle, on pensait que la criminalité était héréditaire.
À cette époque, les enfants ne faisaient plus de travail censé mais cassaient de la roche toute la journée. Les punitions devinrent également de plus en plus sévères et fréquentes. On privait souvent les détenus de nourriture. Les conditions devinrent donc invivables pour les jeunes.
La fin des bagnes d’enfants
Pendant longtemps, l’opinion publique considéra ces traitements comme nécessaires pour canaliser la jeunesse. Ce fut pendant la période de l’entre-deux-guerres que l’opinion publique se mobilisa contre ces bagnes pour enfants, ce qui conduisit à leur fermeture. En effet, le grand nombre de décès pendant la Première Guerre mondiale changea le regard de la société sur les jeunes.
Un événement dans les années 1930 fit basculer l’opinion publique. Dans la colonie de Belle-Île-en-mer, les mineurs s’échappèrent et les voisins organisèrent une véritable chasse à l’homme pour traquer les jeunes. Les médias dénoncèrent donc le traitement des enfants dans ces bagnes. Jacques Prévert décrit cet événement dans son texte Chasse à l’enfant en 1934 :
« Il avait dit ‘‘J’en ai assez de la maison de redressement’’. Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents. Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment. Bandit! Voyou! Voleur! Chenapan! Maintenant il s’est sauvé. Et comme une bête traquée. Il galope dans la nuit. Et tous galopent après lui.«
Le gouvernement prit des premières mesures, mais il fallut réellement attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que le gouvernement interdise dans la loi ces colonies le 2 février 1945. On privilégia dès lors l’éducation à la répression.
Finalement, les mineurs coupables de petit délits ont longtemps reçu des peines bien trop sévères et les bagnes d’enfants ont longtemps accueilli de nombreux mineurs. Fort heureusement, ils n’existent plus aujourd’hui. Il est cependant crucial de se rappeler de leur existence. Après les enfants envoyés dans des colonies de travail, découvrez quand les parents expédiaient leurs enfants par colis postal.
Sources :
- Le Monde – « Ces colonies pénitentiaires pour enfants étaient devenues des machines à discipliner et à punir
- Geneawiki.com – Colonies Agricoles – Pénitentiaires – Les Bagnes pour Enfants
- justice.gouv.fr – « Bagnes d’enfants »
- voyages.ideoz.fr – Les bagnes pour enfants sur les îles françaises ; un monde infernal au milieu de nulle part
- National Geographic – De l’isolement aux « bagnes pour enfants » : l’impitoyable justice des mineurs française
Le premier bagne correctionnel pour enfants totalement ignoré. Celui de saint Antoine en Corse.
Pendant les onze années d’existence de cet établissement (1855-1866), 1136 enfants y seront détenus et 160 y mourront, soit environ 14% de l’effectif, victimes de la malaria et des mauvaises conditions de vie.
https://enfantsenjustice.fr/?saint-antoine-1855-1866&lettre=L