Le Mythe Résistancialiste : comment « toute la France » a été résistante

Le Mythe Résistancialiste : comment "toute la France" a été résistante

En 1945, la Seconde Guerre mondiale prenait fin, laissant une trace indélébile sur le monde. Comme beaucoup de pays d’Europe, la France panse ses plaies et cherche à se reconstruire. Et pour faire le deuil de ces années de malheur, un mythe voit le jour : le « Mythe Résistancialiste ». Selon cette version magnifiée de l’histoire, la résistance en France aurait été globale contre l’envahisseur nazi… 

Qu’est-ce que Mythe Résistancialiste ?

Le terme « Résistancialisme » est un néologisme créé par l’historien Henry Rousso en 1987. Cette notion de Mythe Résistancialiste fut cependant utilisée dès 1947, afin de lutter contrer l’activisme communiste à l’oeuvre depuis la fin de la guerre. Rappelons qu’après la Seconde Guerre Mondiale, vint la guerre froide et que la peur des communistes était omniprésente.

Mais en quoi consiste exactement ce Mythe Résistancialiste ? Selon Henry Rousso, cela se définit par trois éléments principaux :

    1. La généralisation de la Résistance en France, qui était pourtant un phénomène minoritaire.
    2. Une minimisation du Régime de Vichy et de son emprise réelle sur la société.
    3. La construction puis la sacralisation d’un objet de mémoire (la Résistance), afin de pouvoir le célébrer au sein de groupes politiques (notamment les gaullistes et les communistes).

Ainsi, en mettant en place cette légende autour de la résistance, la France put se reconstruire, l’esprit serein. Cependant, cette version de l’histoire fut une façon de balayer sous le tapis les actes les plus honteux de la France durant la guerre…

La Collaboration : la grande oubliée 

Le Résistancialisme permit une mise à l’écart de la Collaboration, au profit des héros de la guerre. Ainsi, deux grands phénomènes furent oubliés durant de nombreuses années :

    1. La Collaboration d’Etat, menée par le Général Pétain et Pierre Laval.
    2. La Collaboration privée, menée par certains citoyens ou diverses entreprises.

Cette mémoire fut méthodiquement construite afin d’honorer le combat des résistants et d’en faire une généralité. Ainsi, la collaboration est oubliée pour ne mettre en avant que le courage de ceux ayant combattu.

Jean Moulin : figure de la Résistance
Jean Moulin : figure de la Résistance panthéonisée en 1964

Cela est aidé par certains actes symboliques, comme le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en 1964. En outre, les œuvres culturelles ont tendance à l’époque à mettre en avant les actes de résistance. La plus symbolique étant la sortie du film La Bataille du Rail dès 1946. Cette œuvre retrace le parcours des cheminots ayant saboté les réseaux de chemins de fer, afin de déstabiliser les trains durant l’occupation.

Mais avec cette propagande, ce ne sont pas seulement ceux qui ont collaboré que l’on a oublié… Mais également leurs victimes. Ainsi, la parole des déportés est difficile à entendre jusqu’aux années 1970.

Pourquoi ce mythe fut-il si tenace ?

Revenons à la fin de la guerre. La France est traumatisée par le conflit et le monde tente de se reconstruire. La Guerre Froide se profile déjà à l’horizon et les dissensions politiques sont nombreuses. La libération amène à certaines épurations de ceux ayant collaboré ou étant considérés comme des collaborateurs. Des hommes sont exécutés, des femmes sont tondues et des Cours de Justice sont mises en place afin de réorganiser le système légal…

Au milieu de ce chaos, le désir d’unité est très présent. La création du Mythe Résistancialiste a ainsi permis cette unité pendant un temps. Au nom de l’unité nationale, les exactions commises et les victimes de guerre furent éludées afin de créer une version idéalisée de la France. Cela fonctionna pendant un temps, mais vint un moment où il ne fut plus possible d’ignorer les autres versions de la guerre…

Quand le mythe tombe

Une reconnaissance difficile

Dès la fin du conflit, des voix s’élèvent à propos de la Collaboration ainsi que des crimes d’Etat. En 1956 sort même le documentaire Nuit et Brouillard, offrant de véritables images des Camps d’Extermination nazis. Pour autant, l’image de la Résistance globalisée est trop forte et surplombe la vision que l’on a de la France durant la guerre.

Mais dans les années 70, le mythe commence à s’effriter, et ce, pour plusieurs raisons. La première étant la démission (1969) et la mort (1970) de Charles de Gaulle. Avec la disparition de cette figure de la résistance, des voix recommencent à s’élever à propos de la Collaboration. L’art vient également à la rescousse de l’Histoire, en commençant par le film Le chagrin et la pitié de Marcel Ophüls. Ce film relance le débat sur le rôle de la France lors de la guerre.

Le chagrin et la pitié
Le chagrin et la pitié a aidé à briser le Mythe Résistancialiste

En outre, la sortie d’un livre en 1973 vient tout chambouler. Il s’agit de La France de Vichy écrit par l’historien Robert Paxton. La sortie de ce livre est un coup de tonnerre dans la vision de la France de l’occupation. Au point que l’on parle même de « Révolution Paxtonienne ». Mais les bases sont désormais posées et le travail de mémoire va pouvoir s’effectuer.

Quand l’Etat français reconnait (enfin) ses erreurs

Non seulement la reconnaissance de la collaboration fut difficile, mais elle fut également tardive. En effet, malgré le travail de mémoire mis en place dès les années 70, l’Etat français refusa très longtemps d’admettre sa responsabilité.

« Je ne ferai pas d’excuses au nom de la France. La République n’a rien à voir avec ça. J’estime que la France n’est pas responsable. »

François Mitterrand

Tels furent les mots de François Mitterrand en 1994. Des mots qui contrastent grandement avec ceux de son successeur Jacques Chirac l’année suivante. En effet, c’est en 1995 que Chirac reconnaîtra officiellement la responsabilité de la France durant l’occupation et notamment durant la Rafle du Vel d’Hiv.

« Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français. »

Jacques Chirac

Il ajouta même à propos des victimes de déportation que :

« Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible » […] « Reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. »

Jacques Chirac

C’est donc avec beaucoup de retard que les actes de Collaboration furent reconnus par l’Etat français. Mais on ne peut que saluer le geste de Jacques Chirac pour cette reconnaissance jusque là refusée aux victimes de la déportation.

Bien qu’il soit un paradigme erroné, le Mythe Résistancialiste permit une reconstruction de la France sur une base solide. Cette vision idéalisée de la France fut peu à peu abandonnée, pour lui permettre de reconnaître ses fautes. Et aujourd’hui, nous pouvons étudier sans entrave toutes les facettes de cette période si chaotique.

 

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Journaliste, photographe et réalisateur indépendant, écrire et gérer Cultea est un immense plaisir et une de mes plus grandes fiertés.