« Suprêmes » retrace habilement les origines de NTM [Critique]

Antoine Moroni
Antoine Moroni
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Dans une salle chauffée à blanc par la présence du jaguar JoeyStarr, la grande salle du Grand Rex accueillait, le 17 novembre, l’avant première du film Suprêmes. Après un show du DJ Cut Killer et la présentation de l’équipe du film, nous voilà plongés dans le film. Tourné pendant la période Covid, il retrace la naissance de l’un des groupes fondateurs du rap français, NTM. Immersion au cœur de la Seine-Saint-Denis.

1989. Dans les cités déshéritées du 93, une bande de copains trouve un moyen d’expression grâce au mouvement hip-hop tout juste arrivé en France. Après la danse et le graff, JoeyStarr et Kool Shen se mettent à écrire des textes de rap imprégnés par la colère qui couve dans les banlieues. Leurs rythmes enfiévrés et leurs textes révoltés ne tardent pas à galvaniser les foules et … à se heurter aux autorités. Mais peu importe, le Suprême NTM est né et avec lui le rap français fait des débuts fracassants !

Un road movie, une histoire d’amitié

Le film parcours l’histoire du groupe Suprême NTM. Il part de son origine, presque accidentelle, jusqu’à sa première représentation au Zénith de Paris en 1992. Et entre ces deux événements, un certain nombre d’aventures, de défis, de réussites et d’échecs. La réputation du personnage sulfureux de JoeyStarr et la violence assumée de leurs textes faisait s’attendre à un film sombre, voire noir. Mais il serait réducteur de le caractériser ainsi.

Il y a une part de brutalité et d’excès, inhérents à l’histoire racontée, mais cela ne prend jamais le pas sur ce qui fait la force de ce film : le duo formé par les deux jeunes comédiens Sandor Funtek (Kool Shen) et Théo Christine (JoeyStarr).

Le premier incarne avec nuances l’élément calme et visionnaire du groupe. Une sérénité vitale dans un groupe aussi imprévisible et explosif qu’est Suprême NTM à ses débuts. En effet, on y trouve également le premier compositeur DJ, ainsi qu’une dizaine de danseurs, graffeurs, soutiens…

Sandor Funtek et Théo Christine sur le tournage du film "Suprêmes" d’Audrey Estrougo - Gianni Giardinelli / Sony Pictures Entertainment France
Sandor Funtek et Théo Christine sur le tournage du film Suprêmes d’Audrey Estrougo – Gianni Giardinelli / Sony Pictures Entertainment France

Des rôles inégaux, deux interprètes au sommet

Si la prestation de Sandor Funtek est remarquable, il est nécessaire d’admettre que la prestation la plus attendue était celle de celui qui aurait la lourde charge d’incarner JoeyStarr au cinéma. Le jeune Théo Christine, montre dès les premières minutes du film que le costume n’est pas trop grand pour lui. Il incarne avec charme et insolence ce personnage imprévisible et sombre.

De plus, le film va lui permettre d’étaler une palette complète d’un jeu qui ne tombe jamais dans une caricature facile. Toute la difficulté d’incarner une personnalité bien connue des spectateurs est très bien appréhendée ici. S’il n’a pas la voix du jaguar, il dégage néanmoins une aura bien familière aux amateurs de Suprême NTM.

Forcément, dans un film aux personnages si marquants et marqués, il y a des contreparties. Ici, on dénote un reste du casting qui peine à trouver une identité profonde. Le groupe qui gravite autour des deux protagonistes ne forme qu’un seul personnage, et laisse peu de temps aux jeunes acteurs pour se distinguer. Seule une prestation semble vraiment marquante, celle de « Sourire », interprétée par un rayonnant César Chouraqui. Le reste du casting ne démérite pas, mais semble davantage être en soutien des deux comédiens, plutôt que des personnages à part entière.

Un message quelque peu biaisé

Suprême NTM est réputé pour sa violence crue dans les mots et la vision qu’il propose au monde de la vie des banlieues, notamment de la Seine-Saint-Denis. C’est à travers les chansons que l’on va réussir à observer la violence. Le film prend ce pari au début, en s’ancrant avec les personnages dans un quotidien ponctué de violences policières, mais qui laisse le choix aux rappeurs de transmettre un message aux spectateurs : on ne va pas parler de violences aux infos, on va en parler dans nos textes.

Et la discographie de NTM est suffisamment fournie pour réussir ce tour de force. Sauf que le film semble se perdre lui-même dans cette promesse pourtant intéressante de début de film. Pour appuyer ce message, on se retrouve à sortir de ces trois années de biographie, avec des images d’archives de manifestations contre les violences policières. On y voit les commémorations des décès de Zyed et Bouna en 2005 ou d’Adama Traoré en 2016.

Ce passage semble être sorti du contexte, afin de rajouter du corps au message qui n’avait pas besoin de cela. Le film est un coup de projecteur sur le rap, sur l’amitié, la confiance. Il met en exergue le quotidien émaillé d’un environnement social difficile et violent. À travers cette simplicité et du fait de la construction de ce groupe et de ses chansons, il était suffisamment fort. Ainsi, ses interprètes étaient suffisamment convaincants pour se passer d’images d’archives anachroniques. Tout était déjà dit et suggéré, avec ce parti pris assumé de rendre drôle la violence de la bande, tout en dénonçant la violence plus physique de l’autorité.

Une réalisation sans grand éclat, jusqu’à ce que les feux de la scène ne s’éclairent.

À l’exception d’une shaky-cam au début du film – qui nous fait espérer que ce mal de mer ne dure pas les presque deux heures de film – la réalisation se concentre sur les personnages, sans plus. Les plans sont simples, classiques et filment les acteurs jouer, évoluer dans le monde de la rue, du graff et du hip hop. La scénariste et réalisatrice, Audrey Estrougo, qui signe là son cinquième long métrage, semble avoir pris le parti de ne pas trop marquer son œuvre. En tout cas, jusqu’à ce que la scène appelle le duo à faire le show.

Alors, il ne nous reste plus qu’à apprécier des scènes puissantes ; tantôt léchées (la scène du concert improvisé dans les phares des voitures), tantôt brutes (la première scène du duo). Et encore une fois, l’alchimie des interprètes de Kool Shen et de JoeyStarr crève l’écran.

Suprêmes se pose comme un film d’amitié entre deux personnalités fortes, dont les rôles sont remarquablement interprétés par un duo de jeunes comédiens prometteurs. On espère les voir grandir rapidement dans le paysage cinématographique français. Autour d’eux gravite une histoire intéressante ; mais le reste du casting ne semble être là que pour les mettre en valeur. Le film n’est pas exempt de tout défaut, et compte quelques maladresses. Malgré tout, il offre une plongée de deux heures dans la naissance du rap français. Celui-ci est toujours bien vivant, d’autant plus avec la sortie récente du nouvel album d’Orelsan, Civilisation, dont vous pouvez retrouver notre critique sur Cultea.

Découvrez la bande-annonce officielle du film Suprême, à découvrir en ce moment au cinéma :

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