Notre belle capitale aura été le témoin privilégié de toute la grande histoire de notre pays. Tantôt sublimée, tantôt meurtrie, Paris aura su résister aux tourments d’une histoire faite de progrès, de guerres et de grands événements culturels ! Cependant, il arrive parfois que le danger survienne de là où on ne s’y serait pas attendu. Ainsi, un beau jour de 1922, un jeune architecte s’est rêvé à raser la moitié de la ville… Retour sur le « Plan Voisin ».
Il y a maintenant près de cent ans, le Corbusier présenta un projet pour transformer la ville de Paris. Ce projet fou avait pour volonté de plus ou moins « modifier » toute la rive droite de la Seine. Son auteur n’était pas un Néron ou un fou, mais entendait tout de même présenter une solution concrète aux nouveaux enjeux du XXe siècle.
Le Corbusier
Charles-Edouard Jeanneret-Gris est né en 1887, dans une grande commune suisse. Ce dernier jouit d’un grand héritage technique familial. En effet, de par son père, il descend d’une longue lignée de fins artisans cordonniers suisses. De l’autre côté, par sa mère, il hérite d’une lignée d’industriels horlogers belges. L’activité principale de son père est d’ailleurs la décoration de montres. Sa mère et son frère sont quant à eux dans des parcours musicaux, comme compositeur et professeure de piano.
Ainsi, Charles-Edouard baigne très jeune à la fois dans la technique et dans la culture. Suivant les pas de son père, il réalise ses premières gravures sur montres à l’âge de treize ans. Il renonce cependant très vite à cette idée, la conjoncture économique du milieu de la montre s’annonçant mauvaise. De plus, il est en train de perdre peu à peu l’usage d’un œil.
Il se tourne alors vers la peinture mais son pédagogue, ne décelant aucun talent chez lui, le réoriente rapidement vers les arts décoratifs et l’architecture en 1904. A l’âge de dix sept ans, son professeur René Chapallaz lui fait réaliser sa première décoration de villa. Avec l’argent de ce premier job, il claque la porte de l’école et part en voyage autour du monde.
Il visite alors de nombreux pays, Grèce, Turquie, Serbie, Italie… Charles-Edouard en profite pour réaliser de nombreux croquis. Il finit par atterrir à Paris en 1909 où il découvre son grand amour : le béton. De retour chez lui en 1912, il s’installe à son compte comme architecte et professeur.
La Grande Guerre
Le passage de la Première Guerre mondiale ne semble pas révulser l’architecte, au contraire. Constatant toutes ces destructions matérielles, il y voit en quelque sorte une opportunité. Ces dernières stimulent sa créativité comme jamais et il s’imagine des solutions pour reconstruire rapidement, efficacement et à moindre frais.
Vers la fin de la guerre, il s’installe à Paris et fonde en 1920 avec le peintre Amédée Ozenfant la revue l’Esprit Nouveau. Il s’agit d’une revue d’art et d’architecture dans laquelle ils théorisent leurs pensées, concernant notamment l’art moderne. Charles-Edouard commence à y signer sous le pseudonyme « le Corbusier ». (il s’agit du terme Wallon pour dire cordonnier)
Le Plan Voisin
Dans les années 20, le Corbusier ne compte pas encore beaucoup de réalisations concrètes à son actif. C’est au Salon d’Automne de 1922 qu’il présente pourtant un plan un peu particulier. Le plan vise à améliorer et optimiser l’espace dans une ville de 3 millions d’habitants. Il part d’un terrain plat et vierge de toute construction antérieure, sur lequel s’amorcent trois zones.
La première est un centre d’affaires, la seconde un quartier résidentiel de 24 grattes-ciels massifs pouvant loger plus de 500000 personnes. Enfin, une troisième zone plus périphérique avec des usines et des banlieues jardins (pavillons avec jardin). Le tout relié par des axes routiers démesurés. On parle d’artères autoroutières qui iraient jusqu’à 120 mètres de large.
Le projet séduit alors Gabriel Voisin, riche ingénieur et homme d’affaires des secteurs aéronautiques et automobiles. Ce dernier finance une étude où le Corbusier doit établir sa faisabilité sur la ville de Paris. L’architecte apporte alors quelques corrections en prenant plus en compte l’essor de l’automobile.
Il rencontre d’ailleurs les groupes Peugeot et Citroën pour en discuter. En 1925, le projet est présenté dans l’Esprit Nouveau. Celui-ci précise qu’une cité d’affaires de 240 hectares sera établie et qu’elle comprendra 18 gigantesques gratte-ciels pouvant loger entre 500000 et 700000 personnes. En revanche, pour construire tous ces mastodontes architecturaux, il faut un grand terrain… Pour l’obtenir, le Corbusier propose de raser la rive droite de la Seine !
Outre les arcs de triomphes, les anciens palais royaux et la place Vendôme, tout doit disparaitre ! Exit le boulevard Sébastopol, exit le Marais, exit aussi le quartier des Halles… En bref, exit l’ancien et Haussmann. Évidemment, le Corbusier oblige, le tout sera construit en béton, acier et verre.
Réactions et réticences face au Plan Voisin
Nul besoin de préciser que le projet n’aboutit jamais. Celui-ci rencontra une levée de boucliers évidente, de la part d’acteurs soucieux de préserver le patrimoine architectural parisien. Journalistes, politiques mais pas que… Tous se sont opposés à cette idée. Proche du Corbusier, le ministre de la culture André Malraux lui-même refusa le projet lorsqu’il lui fut proposé des années plus tard, en 1958.
Il lui préféra d’ailleurs des grandes politiques de restauration du bâti parisien dans les années 60. Cependant, les idées du Corbusier n’étaient pas foncièrement mauvaises et étaient, au vu de leur contexte, plutôt légitimes.
En effet, il n’aurait pas pu prévoir qu’un second conflit violent viendrait ajouter de nombreuses destructions dans le pays. Les centres urbains furent notamment des cibles importantes. Ainsi, bien que la période 1945-1975 soit plus souvent connue comme les Trente Glorieuses, elle fût aussi sombre pour beaucoup.
En effet, les destructions de la Seconde Guerre ont créé une crise du logement qui dura au moins quinze ans. Sur les 40 millions d’habitants que comptait la France en 1945, au moins plusieurs millions vivaient dans la rue ou dans des bidonvilles… Un souvenir marquant de cette époque est le célèbre appel de l’Abbé Pierre en 1954.
Le gouvernement s’intéresse alors à mener une politique de constructions de grands ensembles. Et les idées du Corbusier ne sont pas totalement folles. En proposant des bâtiments faciles à construire et peu couteux, il propose une solution miracle au problème. Au final, plusieurs projets de grands ensembles lui seront confiés, à Marseille et Nantes notamment.
Le Corbusier ne cessa jamais de lire et écrire des articles tout au long de sa vie. Bien qu’il ait divisé par le passé et encore aujourd’hui, on ne peut nier que sa vision était novatrice. C’est pourquoi dix-sept des bâtiments qu’il a imaginés sont désormais classés à l’UNESCO. Et vous ? Pensez-vous que Paris aurait été plus belle aujourd’hui si son Plan Voisin avait abouti ?
Sources :
https://immobilier.lefigaro.fr/article/il-y-a-84-ans-le-figaro-denoncait-le-corbusier-et-sa-dictature-du-beton_a79449c0-a530-11e7-ab8c-64d6818da779/
https://www.persee.fr/doc/vilpa_0242-2794_2009_num_42_1_1452
https://immobilier.lefigaro.fr/article/quand-le-corbusier-voulait-detruire-paris_2ebe1af0-215f-11e5-ab3a-648d85cc7f54/
Ce n’est pas Le Corbusier qui voulait détruire le centre de Paris mais les plans d’urbanisme édictés par la Ville de Paris. Il s’est contenté de montrer ce que pouvait donner un projet moderne à partir de ces plans. Par rapport à eux, le plan Voisin permettait du moins de sauvegarder la rive gauche et le Marais que la Ville prévoyait de détruire en grande partie. Il a d’ailleurs aussi permis une prise de conscience qui a amené la Ville à abandonner ses projets après la seconde guerre mondiale.
Je ne vois pas quel est le projet refusé par Malraux en 1958 : il n’était en tout cas plus question du plan voisin, déjà très modifié en 1937.
La crise du logement a commencé dès le lendemain de la guerre de 14. Elle a seulement été aggravée par les destructions de la guerre suivante.