Il y a plus de cinq siècles, le café était une culture localisée dans les territoires d’Afrique de l’Est, en Éthiopie et au Yémen. Les moines arabes soufis utilisaient cette boisson dans un but similaire à celui des gens d’aujourd’hui : obtenir un coup de fouet pour rester éveillé. Leur objectif à l’époque ? Atteindre la conscience divine lors des prières de minuit.
Au cours des siècles qui ont suivi, le café est devenu une denrée mondiale. Il a servi à bâtir des empires et à alimenter une révolution industrielle. Malheureusement, il a aussi servi de moteur à l’exploitation humaine et à l’esclavage.
La mondialisation du café et l’esclavage
Après s’être répandu au Proche-Orient, en Afrique du Nord et en Méditerranée, le commerce du café a atteint l’Europe au XVIIe siècle. La popularité de cette boisson grandissant, les grandes nations disposant d’empires coloniaux réalisent qu’ils peuvent cultiver leur café en utilisant la main-d’œuvre paysanne et esclave de leurs colonies. Au XVIIIe siècle, les Anglais, Espagnols, Français, Portugais et Néerlandais en font l’une de leurs principales cultures. Le café rejoint alors les productions de sucre, de coton et de tabac.
De l’Indonésie à l’Amérique latine, des travailleurs asservis sont contraints de cultiver le café dans les plantations coloniales. La colonie française de Saint-Dominique produisait les deux tiers de la production mondiale de café à la fin du XVIIIe siècle, jusqu’à ce que les plantations de l’île soient brûlées et les propriétaires massacrés pendant la révolution haïtienne de 1791. Utilisant encore plus de main-d’œuvre esclave, les Portugais ont intensifié leurs efforts pour faire du Brésil le plus grand producteur de café du monde. Le Brésil a fait du café le cœur de son économie. De son système bancaire à sa structure politique et sociale, l’histoire du Brésil s’est construite avec celle du café. Face aux lois accordant la liberté aux descendants d’esclaves, un député brésilien opposé à l’abolition déclarait en 1880 :
« Le Brésil est le café, et le café est le nègre. »
Fort heureusement, l’esclavage y fut interdit en 1888. Le Brésil reste aujourd’hui le principal producteur de café mondial, suivi par le Vietnam et la Colombie. La culture du café a ainsi encouragé et alimenté la traite négrière entre le XVe et le XIXe siècles.
Les cafés ont contribué à alimenter le débat public
Les cafés sont apparus dans l’Empire ottoman, où les musulmans pratiquants ne se réunissaient pas dans des tavernes. En effet, ils ne consommaient pas d’alcool. Au fil des siècles et dans le monde entier, les cafés ont joué un rôle essentiel dans l’établissement de ce que certains philosophes appellent une « sphère publique », et dans l’émergence de « l’opinion publique ». Ces points de rencontre permettaient effectivement de partager des idées dans un cadre public, puisqu’accessibles à tout le monde a priori.
Dès le XVIe siècle, les Turcs ottomans, qui ont répandu le café dans le monde musulman puis en Europe, ont tenté de fermer les cafés. Mais les protestations des foules favorables à ces établissements les ont forcés à rouvrir. Les cafés étaient les seuls lieux communautaires où les hommes pouvaient se réunir et discuter de l’actualité, de la religion, de la politique et des ragots à l’abri des regards des autorités religieuses ou étatiques. Cette sphère mi-publique, mi-privée a aussi permis l’émergence des Lumières en Europe.
Sur le Vieux Continent justement, les cafés font évoluer la gestion de l’économie et le façonnement de la politique. La Bourse de Londres, la Lloyd’s of London et la Compagnie des Indes orientales ont vu le jour dans des cafés de Londres. Ceux-ci ont été surnommés les « penny universities », car le prix d’une tasse donnait souvent accès à des débats intellectuels permanents.
Dans l’Amérique coloniale, la taverne et le café Green Dragon de Boston sont devenus célèbres en tant qu’endroits où les dirigeants des Sons of Liberty se sont réunis pour faire éclore la Boston Tea Party de 1773 et fomenter leurs idées révolutionnaires qui ont conduit à la guerre d’indépendance de l’Amérique.
Le coup de fouet du café et l’industrialisation
Dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, alors que la révolution industrielle prenait de l’ampleur, les ouvriers des nouvelles usines travaillaient jour et nuit grâce au café. Ou plus précisément grâce à la caféine qu’il contient.
Des Turcs ottomans aux intellectuels des Lumières du XVIIIe siècle, tous ont compris que le stimulant contenu dans le café donnait de l’énergie et permettait de mieux se concentrer. Pour les industries manufacturières, le café est une aubaine. Ceux qui cherchaient à faire tourner leurs usines à toute heure transformèrent ainsi les heures de sommeil des ouvriers en « heures d’horloge ». Les ouvriers qui avaient l’habitude de faire des pauses pour manger cinq fois par jour pouvaient désormais assurer le bon fonctionnement de l’usine grâce à de fréquentes pauses café.
« La boisson de l’aristocratie était devenue la drogue nécessaire des masses, et le café du matin remplaçait la soupe à la bière au petit-déjeuner », écrit Mark Pendergrast dans Uncommon Grounds: The History of Coffee and How It Transformed Our World.
Le café instantané et les guerres mondiales
C’est lors de la Première Guerre mondiale que se popularise le café soluble. À ce moment-là, l’inventeur américain George C.L. Washington a trouvé le moyen d’en produire à grande échelle et de le vendre à l’armée, afin de compléter les rations de combat des soldats.
« Je suis heureux malgré les rats, la pluie, la boue, le courant d’air, le rugissement du canon et le cri des obus… », écrit un soldat américain depuis les tranchées en 1918. « Il ne faut qu’une minute pour allumer ma petite lampe à huile et faire du café George Washington. »
Lors de cette guerre, pour parler du café, on dit « une tasse de George ».
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les GI l’appellent « cuppa Joe ». Dès l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, l’armée commande 140 000 sacs de grains de café par mois. C’est 10 fois la commande de l’année précédente, pour fabriquer l’infusion instantanée. Les autorités rationnent même le café pour les civils pendant neuf mois, afin que les troupes en aient suffisamment.
Après la guerre, plusieurs entreprises, dont Nescafe et Maxwell House, font la publicité du café instantané auprès des anciens combattants. Ces pubs tentaient de dépeindre l’amour des soldats pour le café de qualité inférieure. Une fois que les consommateurs eurent fait l’expérience de la commodité de cette boisson, sa popularité ne cessa d’augmenter.
Voilà comment une boisson provenant de l’est de l’Afrique a séduit le monde entier. Le café n’a ainsi pas toujours été inoffensif, et a toute sa place dans certains grands événements historiques.
Sources :
- History – 6 Ways Coffee Helped Transform the World
- Statista – Volume de production de café des principaux pays producteurs au niveau mondial en 2020
- Cairn – L’esclavage au Brésil : le travail du mouvement noir, Francine Saillant et Ana Lucia Araujo
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