Germaine Krull : pionnière du reportage moderne

Sophie Volatier
Sophie Volatier
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Photographe, reporter de talent, figure de l’avant-garde, Germaine Krull n’en demeure pas moins largement méconnue du grand public. Ce « chien fou » de la photographie, comme la surnommait l’une de ses amies, est une pionnière du reportage moderne. 

Germaine Krull, Autoportrait, tirage gélatino-argentique (source : Aware) - Cultea
Germaine Krull, Autoportrait, tirage gélatino-argentique (source : Aware)

Germaine Krull naît en 1897 de parents allemands en Pologne. Elle se marie en 1919 avec un anarchiste russe et intègre une école de photographie à Munich. Toujours en 1919, elle s’engage aux côtés du gouvernement insurrectionnel communiste de la république des conseils de Bavière. Après la défaite des insurgés, la jeune artiste se rend à Berlin, où elle ouvre une galerie de portraits. Son travail s’inspire déjà des mouvements expressionnistes et dadaïstes. Elle s’installe à Paris en 1925. Les Années folles battent leur plein ; la capitale française est en pleine effervescence culturelle. Elle fréquente les surréalistes comme l’artiste américain Man Ray.

Les débuts de la carrière photographique de Germaine Krull

La photographe travaille en outre avec des personnalités du monde artistique et intellectuel parisien : André Gide, Jean Cocteau, Sonia et André Delaunay, ou encore Laurent Jouvet. Elle commence sa carrière de reporter-photographe au magazine VU, lancé par Lucien Vogel, l’un des premiers magazines français illustrés.

Germaine Krull innove. La photographe accorde une attention particulière aux infrastructures métalliques des villes. Elle photographie les quais, les ponts, les grues et nomme les photographies « fers ». Germaine Krull cadre différemment ses photographies et propose un regard original sur la ville. Elle veut montrer la poésie qui se dégage de leur trivialité. Elle rassemble l’ensemble de ses « fers » dans un portfolio intitulé Metal, publié en 1925.

Germaine Krull, Planche du portfolio Metal (source : Auction) - Cultea
Germaine Krull, Planche du portfolio Metal (source : Auction)

Les routes, les clochards, les bals, les ouvriers font également partie de ses sujets de prédilection. L’artiste veut représenter ce que Paris a de plus populaire, de plus marginal. Son reportage Les clochards dans les bas-fonds de Paris (1928) connaît d’ailleurs un très grand succès. Féministe, la reporter-photographe consacre en outre une grande partie de sa production à la condition féminine. Elle s’intéresse aussi bien au nu féminin qu’aux corps des ouvrières. Sa carrière de photo-journaliste s’envole à une époque où la pratique de la photographie se professionnalise et se modernise. Les appareils photo deviennent plus faciles à utiliser et à transporter.

Expositions 

Le travail de Germaine Krull est exposé dans plusieurs villes européennes, comme Paris bien sûr, mais aussi Bruxelles ou Stuttgart. En 1929, ses productions figurent parmi les collections exposées lors de l’exposition Fotografie der Gegenwart (Photographie du Présent) qui se tient dans plusieurs villes européennes, dont Berlin et Londres. Cette exposition, l’une des plus importantes de l’entre-deux-guerres, rassemble des artistes des mouvements de l’expressionnisme et du Bauhaus.

En 1931, la reporter-photographe s’associe à l’écrivain Georges Simenon pour produire la première nouvelle policière française illustrée, La Folle d’Itteville.

Seconde Guerre mondiale et départ pour l’Extrême-Orient

En 1940, elle fuit en Amérique avant de se rendre à Brazzaville (Congo), où elle dirige la propagande de la France Libre. Elle rentre en France lors du débarquement des Alliés et couvre alors la fin de la guerre.

Au sortir de la guerre, en 1946, elle part couvrir la guerre d’Indochine. Passionnée par le bouddhisme, elle décide finalement de prendre la direction de l’Hôtel Oriental de Bangkok, le plus vieil hôtel de la capitale thaïlandaise. Elle dirige l’établissement de 1947 à 1966. Elle profite de ses années en Thaïlande  pour visiter d’autres pays asiatiques, comme le Cambodge, le Japon ou encore l’Inde. Germaine Krull n’oublie pas pour autant sa vocation de photographe. Elle compile des milliers de photographies et publie trois livres sur la culture bouddhique. Avec André Malraux, elle se lance dans la conception d’un grand livre sur l’Asie. Le projet reste toutefois inachevé.

Retour en Europe et postérité de Germaine Krull

En 1966, Germaine Krull rentre brièvement en Europe avant de s’installer en Inde, dans un ashram, en 1968. Elle écrit deux livres, l’un sur ses expériences parisiennes, l’autre sur sa vie des réfugiés tibétains en Inde. Son autobiographie, La vie mène la danse, est publiée en 1980. Elle meurt en 1985.

Le travail de cette artiste de grand talent est moins exposé que celui d’autres photographes car ses productions sont dispersées. En 1967 cependant, André Malraux lui consacre une exposition au Palais de Chaillot, à Paris.

Certaines de ses photographies sont exposées au Centre Pompidou, à Paris. En 2015, le musée du Jeu de Paume (Paris) consacre une exposition à la reporter-photographe intitulée Un destin de photographe.

Indépendante, rebelle et engagée, Germaine Krull est une pionnière du photojournalisme. Selon elle, la vocation esthétique ne peut suffire à la photographie. Le ou la photographe doit ancrer son travail dans le quotidien, dans la réalité. 

 

Sources :

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