Le média, medium, est bien connu de tous aujourd’hui. C’est un moyen de communiquer un message (textuel, audio, visuel) à distance, de façon récurrente et impersonnelle (un mail est personnel, ce n’est pas un média ; Twitter en est un). Un livre peut répondre partiellement à la définition. Le message via le livre est délivré de manière impersonnelle. Mais le livre n’est pas récurrent, il est à part. La presse écrite, la radio, la télévision ou encore Internet sont des supports transmettant des messages à longue distance, de façon récurrente. Si aujourd’hui la confiance de la population envers les médias s’est amoindrie, ils ont lutté et luttent toujours pour la liberté de leurs droits…
La presse écrite
Derrière cette lutte pour la liberté des médias actuels, il existe une chronologie sous-jacente qui commença avec la presse. En France, les premiers exemples de presse datent de mai 1631, avec La Gazette par Théophraste Renaudot, et 17 juillet 1631, avec les Nouvelles ordinaires de divers endroits par Jean Epstein.
Le problème de l’alphabétisation
Mais la presse écrite reste à diffusion limitée, consommée majoritairement par les élites alphabètes. Les tirages des quotidiens parisiens comptent 35 000 exemplaires par jour au début du XIXe siècle. En 1862, on passe à 200 000 exemplaires. Ce n’est pas encore une presse de masse, elle reste toujours élitiste.
Ce qui limite la progression de la presse, c’est l’alphabétisation, qui est en progression également à cette époque. De plus, l’école est directement liée au journal. Après Guizot en 1833, beaucoup de garçons vont à l’école, puis les filles. Si le journal est accessible, en sortant de l’école, on ne perd pas l’apprentissage de la lecture. Mais si l’alphabétisation progresse, le journal reste trop cher pour que la masse alphabétisée puisse l’acquérir.
Le prix de la presse écrite
Au début du XIXe siècle, la presse se diffusait principalement par abonnement. C’était essentiel (et ça l’est encore aujourd’hui) pour sa survie. Les abonnés sont un matelas de sécurité. Au début du siècle, l’abonnement coûtait 60F/an, soit 600 heures de travail d’un ouvrier manœuvre. En 1816 : 72F. En 1828 : 80F…
On crée alors des chaînes d’abonnements, pour avoir accès aux journaux. Le premier paye le plus cher, rend le journal, le deuxième paye moins cher, etc. Les cercles littéraires peuvent aussi payer une cotisation afin de prendre d’en prendre plusieurs. Ainsi, on met en commun les abonnements pour pouvoir les diversifier. Les prix augmentent, jusqu’à l’initiative d’Émile de Girardin en 1836 avec la création de La Presse. Il finance le journal avec des espaces dédiés aux annonceurs, se rémunère via la publicité et peut alors baisser le prix des abonnements.
Les contraintes techniques de fabrication
Avec la presse, on ne peut pas tout faire, il y a d’importantes contraintes techniques. Au départ, on se sert de presses à plat qui imposent un procédé long et complexe, avec beaucoup de manipulations. Plus tard, la presse à rouleaux permet une impression continue, mais on a l’obligation d’avoir du papier fait à partir de bois qui se met en rouleaux. En 1852, la création des matrices stéréotypées permet une production industrialisable.
Le prix peut être aussi rehaussé par les images, car elles font vendre. La lithographie est un moyen d’illustrer rapidement, par rapport à la gravure.
Le temps de l’information
À l’époque, cela prend du temps d’envoyer une information. À partir de 1793, le télégraphe Chappe se développe. Le pigeon voyageur est aussi essentiel pour transmettre les informations (notamment le cours de la Bourse).
Ce sont des agences de presse privées qui développent ces réseaux (comme Havas). La situation s’améliore à partir des années 1840, grâce au télégraphe électrique, d’abord à l’échelle du pays, de l’Europe. Puis, en 1866, on établit une liaison télégraphique entre l’Europe et les États-Unis. La diffusion des journaux, jusqu’en 1856, s’effectue uniquement par la poste, qui a le droit d’acheminer les journaux. L’État peut ainsi fixer le prix à son bon vouloir, via la poste. Mais il n’y a pas de facteurs partout et la diffusion est très lente (par exemple, Marseille était à 4 jours de Paris). Cette lenteur est un obstacle à l’essor de la presse, puisque l’intérêt des informations est de les avoir rapidement. Le grand changement vient du chemin de fer, mais il s’opère très tard, après les années 30.
Les rapports avec le pouvoir politique
Cette époque est caractérisée par un pouvoir autoritaire. Mais il y a un double courant : un pouvoir qui cherche à contrôler la pensée et de l’autre, la montée de la bourgeoisie et de catégories de la population qui veulent s’exprimer. Le pouvoir essaye alors de contrôler la presse. Il dispose pour cela de cinq moyens de pression :
1- L’autorisation préalable du préfet pour créer un journal.
2- Le cautionnement. C’est un dépôt d’une somme d’argent au moment où l’on demande l’autorisation. Il faut être riche pour créer un journal.
3- Le droit de timbre. Chaque exemplaire de journal doit être tamponné, et il faut fixer le prix du tampon.
4- La censure. C’est ce dont on parle le plus, pourtant elle est abolie dès 1822. En 1828 cependant, on la rétablit de manière temporaire, en cas d’exceptions. Durant le Second Empire, on fonctionne avec avertissement au journal, qui entraîne sa fermeture pendant quinze jours. Donc, la presse s’auto-censure.
5- Le jugement des délits de presse en correctionnel. Là-bas, ce ne sont que des juges professionnels, plus durs avec la presse. Le régime plus libéral permet un jugement aux assises avec un jury populaire plus clément à l’égard des journalistes.
Au XIXe siècle, on observe des successions de phases autoritaires ou libérales selon le pouvoir politique en place. Dans les années 1860, on rentre dans la phase de l’empire libéral, favorable aux parutions sans contrôle. C’est important de voir ce libéralisme se mettre en place. Les années 60 sont celles où apparaît une presse populaire, profitant de cette période libérale.
Mais le contenu de la presse change…
Ce développement du lectorat et du tirage ne doit pas être uniquement lu à travers un contrôle plus marqué ou plus lâche vis-à-vis des journaux. Le contenu rentre en compte, et il change pendant cette période.
Au XIXe siècle, les journaux sont plus ternes qu’aujourd’hui avec un système de colonnes, pas de gros titres à part le nom du journal. La taille de la page ne cesse d’augmenter : journal à deux colonnes 23×25. Puis en 1831, 33×45 avec 4 colonnes. En 1850, 47×65 (grand format jusqu’aux années 2000). Cette mutation est due à la technique (la presse rotative favorise les grands formats), à des raisons politiques et financières. Le tarif du timbre augmente aussi, alors on décide d’augmenter la taille pour que les acheteurs comprennent pourquoi le prix grimpe.
L’autre évolution, c’est le passage de 2 à 4 pages : on réserve la 4e aux annonces. Contrairement au reste du journal, on la hiérarchise et on a recours à l’usage graphique de la typographie pour attirer l’œil.
Dans les journaux, les colonnes sont répétitives, comme un rituel. Le premier article du journal traite de Paris, puis on s’intéresse à l’extérieur du pays jusqu’à l’intérieur (départements). On a une hiérarchisation des articles de manière géographique. Mais surtout, des rubriques plus incitatives commencent à apparaître. En 1830, celle des faits divers voit le jour. Même les journaux « sérieux » s’y mettent. Ils veulent être attractifs, intégrer du divertissement. On essaye toujours de conclure sur une morale, montrer l’exemple à ne pas suivre tout en jouant sur l’aspect sordide.
Dès le début du XIXe siècle, les feuilletons apparaissent dans les journaux pour attirer les lecteurs. Le feuilleton, au départ, n’est pas forcément une histoire qu’on raconte de journal en journal. Au début, les informations y sont diverses : activité culturelle, sciences, littérature (variété). Dans les années 1830, on découpe des histoires en tranches et en 1836 Girardin fait appel à Balzac pour créer un suspense de fin. L’idée à travers les épisodes de feuilletons est de fidéliser le lectorat.
Apparition des revues
Les revues se développent dans les premières années de la Restauration. Il y a quatre catégories :
Les revues de références intellectuelles (la plus ancienne, La Revue des Deux Mondes, date de 1829).
Les revues pratiques (de vulgarisation). Ce sont des revues aux informations sur divers sujets (Le Journal des Connaissances Utiles, lancé par Girardin).
Les revues d’actualités illustrées, où l’on montre des pays à travers des gravures, l’actualité, etc. (L’Illustration, 1840).
Les revues hebdomadaires distractives, c’est-à-dire les périodiques de feuilletons populaires (le Journal Pour Tous, 1855 ; La Ruche Parisienne, 1859). On y trouve des romans populaires. Le soir, il y a des veillées dans les milieux alphabétisés, où on lit les histoires. Au lieu de regarder la télévision, on lit les feuilletons.
Les années 1860-1914 : l’âge d’or de la presse française
La France en 1914 compte 9,5 millions d’exemplaires quotidiens, soit 224 exemplaires pour 1 000 habitants. C’est à peine moins que les États-Unis (245) et loin devant la Grande-Bretagne (160). Sachant que chaque numéro est lu par plus d’une personne, cela donne une idée de la pénétration de la presse à l’époque.
Grâce à un desserrement progressif du contrôle, dès l’empire libéral avec la loi du 11 mai 1868, on met fin au régime d’autorisation (on passe à une simple déclaration), au système des avertissements, et on baisse le prix du timbre. À partir du 4 septembre 1870, avec la déclaration de la République, on bascule vers un jury de cour d’assises, plus clément avec les journalistes. On n’est plus obligé de passer par la poste, donc il n’y a plus de monopole qui tire les prix d’expédition vers le haut. Cela permet de retrouver plus de journaux en province.
Après une période où l’Ordre Moral initie un retour en arrière, le pouvoir est repris par les Républicains. C’est alors que la célèbre loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est adoptée. Elle définit les libertés et responsabilités de la presse française. Elle impose un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. C’est la commission parlementaire, dont Girardin est le président, qui l’élabore de 1879 à 1881. À la première lecture, on a 444 voix POUR et 4 CONTRE. Les Bonapartistes et Royalistes sont pour également, car ils veulent créer des journaux d’opposition.
Une lutte jusqu’à nos jours
Le libéralisme se renforce grâce aux magistrats qui appliquent bien la loi. Il n’y a pas de poursuite zélée de la justice. C’est la première fois depuis 1789 qu’on légifère sur la presse sans le faire pour limiter la liberté d’expression. Mais il demeure des lacunes…
À trop penser les choses à travers un prisme de libéralisme politique, la loi laisse des failles du côté économique de la presse. Il n’y a pas de loi pour savoir qui possède le journal, pas d’obligation d’exposition publique des propriétaires, qui peuvent se cacher derrière un bouc émissaire en cas de soucis… D’autant plus que le gérant est seul responsable…
En 1893, les lois scélérates contre la propagande anarchiste sont votées suite aux attentats anarchistes de 1892 et 1893. On muselle les anarchistes, et cela remet en cause le principe de liberté totale de la presse.
On poursuit les journaux qui font l’apologie des crimes de guerre en 1951, car on essaye de se sortir de la collaboration et de lutter contre les révisionnistes. En 1972, on engage des poursuites contre la provocation à la haine, la discrimination, la violence à l’égard d’une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Elisabeth Guigou renforce la présomption d’innocence en 2000, avec l’interdiction de publier la photographie de quelqu’un qui est menotté. C’est toujours en rapport avec le contexte de l’époque qu’on complète cette loi. Il y a également un desserrement concernant l’offense au président de la République, qui était avant punie de la peine de mort. En 2004, le délit d’offense à un chef d’État étranger est aboli, puis en 2013, le délit d’offense au président.
La presse écrite prend son essor au XIXe siècle, avec l’alphabétisation. La radio quant à elle se développe durant l’entre-deux-guerres et la télévision après la Seconde Guerre mondiale. Durant les années 60 et 80, la quasi-totalité des foyers français sont équipés de téléviseurs. Puis, 2000 voit apparaître l’ère d’Internet, où vont se succéder tous les types de médias. Jusque-là, quand il y avait émergence d’un nouveau média, on pensait que le nouveau allait remplacer l’ancien. Mais à chaque fois, chaque type de média ne supplantait pas l’ancien. Il y a cependant une spécificité avec Internet : c’est un hyper-média, où l’on peut cumuler toutes les autres fonctions des autres médias. Il a réussi à amener autre chose, mais a aussi parfaitement intégré les autres. Alors, va-t-il les tuer, ou leur permettre de survivre ?
Le journalisme, histoire d’un combat – vidéo de Nota Bene
Sources :
- Séminaire de M. Vincent Flauraud (enseignant-chercheur du CHEC), Histoire des Médias, Université Clermont-Auvergne, 2020.
- Exposition virtuelle de la BnF – La presse à la une.
- Chupin, Ivan, Nicolas Hubé, et Nicolas Kaciaf, « I. Le développement contrarié de la presse écrite (1631-1870) », Ivan Chupin éd., Histoire politique et économique des médias en France. La Découverte, 2012, pp. 11-34.
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