Si la forme du livre que nous connaissons aujourd’hui n’apparaît que tardivement, les premiers supports d’écriture viennent de l’Antiquité. On trouve des tablettes de pierre ou d’argile servant à écrire. Le livre suit les évolutions technologiques et commerciales qui ont favorisé la circulation des idées. Mais il est également attaché aux mutations politiques, économiques et religieuses. Mais quelles formes a-t-il pris avant l’imprimerie ? Comment et qui y avait accès ? Pour répondre à ces questions, nous suivrons chronologiquement l’histoire du livre objet, à travers deux articles consacrés.
Nota Bene : Les points de repère du Moyen Âge se divisent en trois périodes : le Haut-Moyen Âge, le Moyen Âge central et le Moyen Âge tardif. Le Haut Moyen Âge est caractérisé par l’unification des royaumes germaniques sous Charlemagne et la diffusion d’une nouvelle culture sous l’influence du christianisme. On le date de la fin de l’Empire au Ve siècle à la révolution carolingienne du IXe siècle.
Du volumen au codex
Le volumen
Vers 2 600 ans avant notre ère, un prototype de livre apparaît, sous la forme des volumen. Ce sont des papyrus collés entre eux et enroulés sur eux-mêmes. Ces derniers sont trop fragiles pour être pliés. Bien que des exceptions existent, un rouleau mesure en moyenne de six à huit mètres de long, mais peut atteindre trente, voire quarante mètres. Sa largeur/hauteur, quant à elle, est de 30 à 40 centimètres. Le texte est écrit en colonnes d’environ huit centimètres de large, se suivant à l’horizontale.
Pour pouvoir consulter un volumen, on doit le tenir horizontalement pour le dérouler avec ses deux mains. C’est peu pratique, mais cela permet tout de même de conserver des traces d’oralité de l’Antiquité. D’après des écrits de Pline l’Ancien, les Egyptiens décident au IIe siècle avant notre ère d’interdire l’exportation de papyrus, de peur que la bibliothèque de Pergame supplante celle d’Alexandrie. Par conséquence, on développe de nouveaux supports d’écriture…
Le codex
Le volumen antique s’oublie progressivement… Si le parchemin existe déjà, les habitants de Pergame le perfectionnent afin d’en faire un véritable support d’écriture au IIe siècle avant notre ère. Suit alors l’invention du codex à Rome. Il désigne des planchettes de bois (caudex) entre lesquelles on lie des parchemins coupés en rectangles. C’est la première forme de livre ressemblant à celle que nous observons d’aujourd’hui.
Les parcheminiers préparent les peaux
La préparation de la peau se fait pendant plusieurs mois dans un atelier spécialisé avec un traitement à la chaux vive, un lavage, un grattage. Il y a une distinction entre côté poil et coté chair (plus lisse et plus clair). Le parcheminier découpe la peau en feuilles avec une mine de plomb ou une pointe sèche. Le but est de perdre le moins de matière possible.
Ensuite, on donne les feuilles au scriptorium…
Une révolution vers le livre
C’est une révolution pour l’accès à la culture. L’écrit n’est donc plus un rouleau continu, mais un ensemble de feuillets de parchemins reliés au dos. La page est maintenant rectangulaire, on a des lignes à deux colonnes avec des marges et parfois des illustrations. Cela permet un accès plus direct à un endroit précis du texte. De plus, la comparaison de différents points d’un même ouvrage est désormais aussi possible, ce qui est très utile pour l’étude des textes saints. Le codex est également plus facile à poser sur une table. Ainsi, le lecteur prend des notes en même temps qu’il lit.
Le codex se généralise au Haut Moyen Âge en suivant l’expansion du christianisme en Occident. Effectivement, les manuscrits produits à cette époque sont essentiellement destinés à la pratique du culte au sein des monastères. L’époque mérovingienne voit apparaître au VIe siècle l’art des manuscrits décorés : l’enluminure. Il y a différents ateliers qui décorent les manuscrits religieux, notamment à Laon, siège épiscopal au début du XIe siècle.
Dans les manuscrits mérovingiens, la lettrine s’intègre au texte. Il y a des arcades autour, des décors végétaux ou animaliers. Pour les tracer, les artistes utilisent un compas. On représente beaucoup le motif chrétien de la croix dans les manuscrits. À la fin de la période, on se met à illustrer les textes avec des scènes de la Bible. Ces procédés permettent de rendre l’ouvrage plus attrayant. Ce sont les prémices de l’art retrouvé dans les manuscrits carolingiens.
Qui possède le savoir ?
Après les invasions germaniques du Ve siècle, les abbayes, et notamment les abbayes bénédictines (car la règle de saint Benoit encourage la lecture communautaire dans les abbayes), recueillent le savoir et protègent l’industrie du livre sous la dynastie mérovingienne. Pour la grande majorité du Moyen Âge, la population est analphabète et n’a pas accès à la culture. La noblesse et l’Église s’accaparent donc cette dernière. Le livre précieux et fragile est source de sacralisation chez les religieux. Cela leur permet aussi de se différencier des Juifs qui inscrivent la Torah sur le volumen, tandis qu’eux inscrivent la Bible sur le codex.
La fabrication du livre : une pratique religieuse
Avant l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, c’est le scribe qui se charge de la copie des manuscrits. C’est un moine copiste qui travaille dans un scriptorium, dans une abbaye. Dans les monastères, certains moines se chargent pendant une partie de la journée de copier les manuscrits.
L’instrument idéal d’un copiste est la plume d’oie, mais il y a pénurie à la fin du Moyen Âge. On utilise donc la plume de canard, de corbeau, de pélican… Il a sur son bureau un encrier rouge fait à partir de cinabre (minéral) qui sert aux titres, et un noir en noix de galle. On commence par régler la page en délimitant des marges, puis des colonnes, puis des lignes et on conserve des blancs pour les illustrations et lettrines. Un copiste ne peut écrire que deux ou trois feuillets par jour. Une fois fini, on range le livre dans la bibliothèque, l’armarius, de l’abbaye. Un bibliothécaire nommé par l’abbé se charge alors de veiller sur les livres. Les principaux ouvrages copiés sont des livres liturgiques comme les bréviaires, les missels…
Le monastère de Vivarium, fondé entre 535 et 555 en Italie du Sud, est le prototype en Occident du scriptorium, car c’est le premier monastère construit pour être un lieu de culture savante. Cassiodore, grand érudit chrétien du Ve siècle, est l’auteur de ce projet. Le monastère va inspirer tout l’Occident, jusqu’à ce que toutes les abbayes possèdent un scriptorium. Dans un monde essentiellement oral, les abbayes et monastères incarnent alors la culture écrite.
Les bibliothèques du savoir
Isidore de Séville (570-636) est une figure emblématique du savoir au VIe siècle. À cette époque, l’Espagne devient le conservatoire principale de la culture antique. Originaire de la province de la Bétique (actuelle Andalousie), Isidore de Séville grandit dans un environnement qui le dote d’une ouverture sur l’Orient et l’Afrique. Il devient évêque de Séville à la suite de son frère en 601, alors qu’à cette époque la ville est un centre culturel qui jouit d’une bibliothèque riche de textes transportés par les Chrétiens réfugiés d’Afrique. Il écrit les Étymologies sur l’origine des choses, sélectionne et explique l’héritage hellénistique et romain pourtant rejeté dans le Haut Moyen Âge occidental. On comprend que les bibliothèques jouent un rôle important dans la nouvelle ouverture des esprits cultivés par les livres.
On observe alors des bibliothèques chrétiennes précoces dans les églises orientales à Corinthe au IIe siècle. Origène, théologien antique, fonde à Césarée de Palestine une bibliothèque avec 30 000 livres qui devient un grand centre intellectuel de la chrétienté ! Elle a une volonté de collecte de l’universalité du savoir, et se veut être un outil scientifique.
Les bibliothèques à l’Antiquité sont des lieux souvent construits par des monarques pour des savants. Mais pour la période médiévale en Occident, l’essentiel de la conservation de livres se fait chez ceux qui les copient, c’est-à-dire dans les scriptorium monastiques. La plus importante bibliothèque d’Occident est celle du monastère du Mont Cassin fondé en 529 en Italie, qui compte deux à trois mille volumes. Il faut citer aussi celles de Saint-Galle en Suisse et celle de Cîteaux en Bourgogne.
Pour l’instant, les religieux du début du Moyen Âge occidental détiennent les livres et leur savoir, mais les protègent également. Comment cela va-t-il évoluer ? Ne loupez pas la deuxième partie !
4 Replies to “Le livre et le savoir en Occident avant l’imprimerie (partie 1)”