1908 : l’échec de l’abolition de la peine de mort en France

1908 : l'échec de l'abolition de la peine de mort en France

Au cours de la Troisième République, en 1907, le gouvernement français était sur la bonne voie pour abolir la peine de mort. Le président de l’époque, Armand Fallières, est connu pour avoir été un grand partisan de l’abolition de la peine capitale. De plus, les élections législatives de mai 1906 lui avaient assuré le soutien de l’Assemblée, composée majoritairement de radicaux et socialistes abolitionnistes. Ces derniers avaient remporté plus de 70% des sièges. Mais la mesure fut enterrée après le meurtre sanglant de Marthe Erbelding, une fillette de 11 ans. Cette tragédie déclencha de vives réactions dans le pays… 

Une volonté d’abolition de la peine de mort 

Au début du XXe siècle, la France s’apprêtait à rejoindre ses voisins européens ayant abandonné pour de bon les exécutions. Les Pays-Bas avaient aboli les exécutions en 1870, et l’Italie en 1889. L’arrivée au pouvoir d’Armand Fallières, grand opposant à la peine de mort, donna donc de l’espoir aux abolitionnistes. En effet, dès la première année de son septennat, il gracia de nombreux condamnés à mort. Avec le soutien de la chambre des députés et la suppression des crédits du bourreau Anatole Deibler, rendant impossible toute exécution, le combat semblait gagné. Cependant, cette décision, votée par la Commission du budget, suscitait de nombreuses contestations au sein même du gouvernement.

Edmond Guyot-Dessaigne, ministre de la Justice, s’opposait à cette décision. Il la considérait comme une abolition en catimini, malgré son engagement abolitionniste. Du côté de l’Assemblée, le député Théodore Reinach du Bloc républicain, déclara :

« Je trouve loyal, conforme à la dignité de la Chambre, que la question de la peine de mort soit débattue dans toute son ampleur, je n’admets pas qu’elle soit résolue par des moyens détournés. Je m’associe par conséquent à Monsieur le garde des Sceaux pour demander que le crédit [pour payer le bourreau] soit rétabli. »

Cette déclaration divisa les députés, qui restaurèrent les exécutions à mort par une majorité de 247 voix contre 235. Cependant, le ministre de la Justice proposa le remplacement de ce châtiment par une peine à perpétuité. 

Protestation de la presse et de l’opinion publique

En 1907, Marthe Erbelding, petite fille de 11 ans, est assassinée. En réaction à ce meurtre, l’opinion publique se déchaîne, alimentée par les médias. Du côté de la presse, l’abolition de la peine de mort semble être une mauvaise idée. Pour eux, c’est un encouragement au crime. En effet, le taux de criminalité était à l’époque très haut dans le pays. 

Le Petit Journal (supplément illustré), dimanche 4 août 1907 Soleilland devant ses juges - Cultea
Le Petit Journal (supplément illustré), dimanche 4 août 1907 – Soleilland devant ses juges

Dans le Nord, la bande des frères Abel et Auguste Pollet, les « bandits d’Hazebrouk”, attaquaient les fermes. Dans le Sud, il y avait “les chauffeurs de la Drôme”, qui tuaient les habitants des campagnes reculées afin de voler leurs économies. À Paris, c’étaient les Apaches, des bandes de voyous qui semaient la terreur au cœur de la capitale. Le journal Le Petit Parisien les décrivait comme « une armée encouragée au mal par la faiblesse des lois répressives et l’indulgence inouïe des tribunaux. »

Ce climat déjà très tendu fut donc renforcé par le meurtre sanglant de Marthe Erbelding. La presse a couvert ce fait divers avec attention, dans les moindres détails. Le 14 février, jour des funérailles de la petite Marthe, 50 000 à 100 000 personnes se sont rassemblées au cimetière de Pantin pour lui rendre hommage. Mais certains étaient présents pour manifester leur volonté de maintenir la peine capitale. Les chanteurs de rues se trouvaient parfois interrompus par des badauds qui criaient “Peine de mort !”. Le Petit Parisien titrait à l’époque : “La société veut sa vengeance. »

Pour le Figaro, « il n’y a qu’un voyage qui soit capable d’effrayer [les criminels], c’est le grand voyage, celui dont on ne revient jamais. »

Face à ces vives réactions, des jurys ont signé une pétition contre le président Fallières. Selon eux, ce dernier ne respectait pas les verdicts des jurys populaires. Ainsi, les jurés prononcèrent de plus en plus de peines de mort, passant de 9 en 1902 à 41 en 1907. 

Le procès d’Albert Soleilland

Le 23 juillet 1907 s’ouvre le procès d’Albert Soleilland pour le meurtre de Marthe Erbelding, à la cour d’assises de la Seine. L’accusé, déclaré coupable le jour suivant après vingt minutes de délibération, obtient une condamnation à la peine de mort. Sa femme et son fils, présents lors du procès, avaient réclamé aux jurés “qu’on la laisse le tuer elle-même”.

Cependant, le verdict n’est pas encore sûr. Tout le monde attend la décision du président Fallières, fervent abolitionniste. Ce dernier a alors une décision difficile à prendre : suivre ses principes ou risquer de déclencher la fureur de l’opinion publique et du Parlement ? Le 3 septembre, des mères de famille ont envoyé une lettre ouverte au Petit Parisien, destinée au président :

« Il ne tient qu’à vous de venger l’honneur de la pauvre petite victime, de la petite Marthe, lâchement assassinée par ce misérable. Il faut que justice soit faite ! »

Malgré cette forte pression, le président de la République Armand Fallières gracia le meurtrier Albert Soleilland 10 jours plus tard. Il changea sa peine de mort en travaux forcés. 

Le déchaînement ne tarda pas du côté de la presse et de l’opinion publique. Le journal L’Eclair parle « du plus odieux des recours en grâce » Soleilland est « l’ami de M. Fallières », « son protégé » dénonce le journal La Croix. Le 15 septembre, une manifestation a lieu devant le domicile de la victime, avec des cris prônant la peine de mort : “Vive la guillotine !”

Le Petit Parisien, quant à lui, fut le plus indigné par cette décision. Le journal organisa un sondage autour du sujet de la peine de mort. “Etes-vous partisans de la peine de mort ?” 1 400 000 lecteurs répondent par lettre. Le 5 novembre 1907, les résultats publiés montrent que 74% ont voté en faveur du maintien de la peine de mort. 

Une abolition manquée 

Du côté des députés, les idées divergent. Le 3 juillet 1908, les discussions débutent à la Chambre. Les antiabolitionnistes ont pour chef de file Henri Castillard (“la castillarde” sera le nom donné à la guillotine par la presse, en lien avec les convictions de ce dernier pour le maintien de la peine de mort). Certains abolitionnistes changent de camp, comme Henri Chavoix, député de la Gauche Radicale qui est désormais en faveur de la peine capitale. Les abolitionnistes, eux, ont pour chef de file Aristide Briand, le nouveau garde des Sceaux suite à la mort d’Edmond Guyot-Dessaigne en décembre 1907. Il sera également épaulé par son ami Jean Jaurès

L’argument principal des défenseurs de la guillotine est la hausse des chiffres de la criminalité. Pourtant, les abolitionnistes démontrent, chiffres à l’appui, que l’abolition de la peine de mort en Belgique ou encore aux Pays-Bas n’a en rien fait progresser le taux de criminalité dans leur pays. Outre les chiffres, le débat est surtout moral. Jean Jaurès estimait que :

« Nous n’avons pas le droit de prononcer l’absolu de la peine parce que nous n’avons pas le droit de faire porter sur une seule tête l’absolu de la responsabilité. »

Mais, le 8 décembre 1908, les députés votent à 330 voix contre 201 pour le maintien de la peine capitale. En ce qui concerne Albert Soleilland, il avait été transféré en 1908 sur l’Île Royale, où les évasions étaient connues pour être impossibles. Méprisé des autres détenus, on le dispensa des travaux forcés pour sa sécurité. En effet, en tant qu’assassin d’une enfant, les autres délinquants ne le considéraient guère. Très malade, il meurt en mai 1920 à l’âge de 39 ans.

À cause de son crime, les exécutions perdureront pendant encore 74 ans. Robert Badinter, garde des Sceaux (de 1981 à 1986) mènera la suite de ce combat et réussira finalement à abolir la peine de mort en 1981.

 

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