En 1957, Sidney Lumet entreprenait l’adaptation d’une pièce de théâtre de Reginald Rose. Cette adaptation donnera l’un des films les plus emblématiques de toute l’histoire du cinéma : 12 hommes en colère. Régulièrement cité parmi les meilleurs films de tous les temps, il est aussi une référence du débat sur la peine de mort et sur la justice en général. Mais plus surprenant encore, ce film vieux de presque 70 ans est, encore aujourd’hui, absolument indémodable. Un véritable petit exploit quand on sait à quel point le cinéma évolue vite. Aujourd’hui, retour sur ce chef-d’œuvre intemporel et sur les raisons qui en font toujours une pépite à découvrir.
Une réflexion (toujours d’actualité) sur la justice et la peine de mort
La peine de mort est un des sujets les plus épineux que l’on puisse traiter. Celui-ci a des implications juridiques, mais également sociales, morales et philosophiques. Une complexité que 12 homme en colère va saisir à bras-le-corps, pour nous offrir un incroyable plaidoyer sur la justice.
Au cœur de tous les questionnements, la question du « doute raisonnable » est mise très en avant. Une notion censée être fondamentale dans ce système judiciaire, particulièrement dans le cas où la vie de l’accusé est en jeu. Ce doute est incarné par le personnage principal, brillamment interprété par Henry Fonda. Le doute raisonnable est cœur de tous les débats, car il est le point de pivot de la décision finale qui sera prise. Ainsi, le film remet au cœur du débat une notion qui devrait être fondamentale dans tout système de justice.
En mettant en scène de la sorte la dynamique de groupe et les conflits (parfois très vifs) entre différentes perspectives et personnalités, le film a pour vocation d’ouvrir le dialogue. Car après tout, les débats contradictoires sont la base de toute justice qui se veut équitable.
La réflexion sur la peine de mort est évidemment un thème crucial du film. Bien que le film ne l’aborde pas comme thème principal, les débats ouvrent à la réflexion sur le sujet. À travers le prisme du débat juridique et moral entourant la potentielle mise à mort d’un jeune homme, le film interpelle subtilement sur les implications profondes de la peine capitale. Et là est également le génie de ce film. Car celui-ci ne se contente pas d’être un plaidoyer contre la peine de mort… Au lieu de cela, il en démontre toutes les implications morales et la gravité que celles-ci peuvent avoir.
Un film toujours aussi efficace, plusieurs décennies après
Beaucoup de films qui prennent de l’âge, même excellents, peuvent souffrir de nouveaux standards narratifs. Ainsi, nombreuses sont les œuvres plus difficilement regardables aujourd’hui (aussi brillantes soient-elles), du fait d’un rythme ayant très mal vieilli. Cependant, 12 hommes en colère échappe miraculeusement aux affres du temps.
Le film est ainsi une véritable masterclass pour quiconque souhaiterait un jour réaliser un huis clos. Le long-métrage ne connaît pas un seul temps mort, jonglant habilement entre les moments graves et les saillies verbales plus légères. Un petit miracle dû à la réalisation, au montage, mais également aux acteurs, tous plus époustouflants les uns que les autres. Outre le charme rétro du vieil Hollywood (qui aurait tendance à faire perdre l’objectivité à bon nombre de cinéphiles), la performance des comédiens offre au message toute la puissance dont il avait besoin.
Les magnifiques dialogues de ces 12 hommes en colère
Je n’envisage pas de vous faire changer d’avis. Mais la vie d’un homme est en jeu. On ne peut pas expédier ça en cinq minutes ! Et si on se trompait ?
Quelle extraordinaire façon d’attraper le spectateur pour ne plus le lâcher ! En seulement quelques mots, Henry Fonda donne le ton de tout le film… Un film qui sera placé sous le signe du doute, de la discussion et de la discorde. Les personnages virevoltent ainsi dans un ballet rhétorique absolument délectable, nous faisant passer d’une scène à l’autre avec une fluidité déconcertante.
Tout le monde a droit à un procès équitable. C’est la loi, c’est comme ça. J’ai rien contre, moi, loin de là ! Mais je vais vous dire un truc : c’est avant qu’ils fassent du grabuge qu’il faut leur baffer la gueule à ces petits salopards ! Ça économiserait du temps et de l’argent !
Ce ne sont pas seulement différentes conceptions de la justice qui s’affrontent, mais bel et bien des visions du monde, des visions de l’Homme. L’humanisme et la pondération affrontent ainsi les stéréotypes qui gangrènent aussi bien la justice que ceux qui la rendent. Par ses dialogues crus, 12 hommes en colère confronte les spectateurs à leur vision préconçue du monde. Car ne faut-il pas comprendre la personne qu’on juge, avant de rendre un verdict ?
Voyez-vous, il est difficile de faire abstraction des préjugés dans une affaire comme celle-là…
12 hommes en colère fait partie de ces rares films qui, malgré l’âge et les évolutions du cinéma, préservent leur force et leur beauté. Avec son premier long-métrage, Sidney Lumet signe une fable humaniste intemporelle, à découvrir et redécouvrir sans modération. Quelques années plus tard, le réalisateur signera d’ailleurs la remarquable adaptation du Crime de l’Orient-Express.