Le 29 mars 1919, l’assassin de Jean Jaurès, Raoul Villain, est acquitté. À onze voix contre une, le juge libère donc Villain et condamne Madame Jaurès à payer les frais du procès. On vous propose aujourd’hui de revenir sur la raison de cet acquittement surprenant.
L’assassinat de Jean Jaurès
À l’aube de la Première Guerre Mondiale, Jean Jaurès, grand pacifiste, fait tout son possible pour empêcher le déclenchement de la guerre. Le 31 juillet à 21h40, il dîne avec ses collaborateurs au Café du Croissant, au 146 rue Montmartre dans le 2e arrondissement de Paris. D’un coup, une balle le touche à la tête.
Raoul Villain a en effet tiré une balle à travers une fenêtre cachée derrière un rideau. Le meurtrier s’enfuit, mais Tissier, metteur en pages de L’Humanité, le poursuit et lui donne un coup de canne. Grâce à l’aide d’un policier, l’assassin est alors immobilisé au sol.
Si Villain a pris la décision de tuer Jaurès, c’est parce qu’il considérait que ce dernier « trahissait la patrie » en ne voulant pas entrer dans le conflit armé. Le fondateur du SFIO et du journal L’Humanité mort, le conflit franco-allemand se déclenche alors trois jours plus tard. La gauche ainsi que certains socialistes, pourtant hésitants à l’origine, se rallient alors à L’union sacrée.
Le procès de Raoul Villain
L’assassin passe alors toute la période de la Première Guerre mondiale en prison. Son procès commence à la fin du conflit, le 24 mars 1919. Il se déroule à la cour d’assises de la Seine, dans un contexte où le patriotisme est fort. Villain a pour défenseurs Maître Henri Géraud, et Maitre Alexandre Bourson, un ancien député socialiste
Le premier jour, Villain explique qu’il avait d’abord eu l’intention de tuer le Kaiser Guillaume, mais qu’il avait vite changé d’avis. Au deuxième jour du procès, on ne s’intéresse même plus à l’accusé. En effet, la seule chose dont on parle est le patriotisme de Jean Jaurès. On imagine par exemple ce qu’il se serait passé si celui-ci était resté en vie et on en fait ensuite l’éloge.
Le 27 mars, on reparle finalement de l’accusé. On évoque son enfance sans mère ainsi que sa personnalité fragile et mystérieuse. De plus, on le présente comme un homme très patriotique. Le cinquième jour consiste en réquisitoires et en plaidoiries. Joseph Paul-Boncour, pour les parties civiles, raconte que la presse aurait diabolisé Jean Jaurès : le meurtrier serait donc passé à l’acte seulement en raison d’articles de polémiques. Paul-Boncour demande ainsi que Villain soit condamné. L’avocat de Villain, de son côté, plaide la clémence…
Raoul Villain acquitté
Le 29 mars 1919, Raoul Villain est acquitté onze voix contre une. Par la suite, on condamne même Madame Jaurès à payer les frais de justice. En fait, si l’assassin a été libéré, c’est parce que le procès s’est majoritairement focalisé sur le patriotisme, que ce soit celui de Jaurès ou de Villain. Ce dernier aurait simplement eu « un moment d’égarement », mais son choix était avant tout patriotique.
Tout le monde ne fut évidemment pas d’accord avec le verdict. C’est par exemple le cas d’Anatole France, qui fit parvenir une lettre de protestation adressée au journal L’Humanité le 4 avril :
« Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! »
La Fédération socialiste de la Seine et L’Union des syndicats organisent alors une manifestation. Celle-ci dure au total trois heures et part de l’avenue Victor-Hugo jusqu’à Passy, où habitait la victime.
Raoul Villain finira par errer pendant douze ans et changera plusieurs fois d’identité. Il terminera sa vie à Ibiza, où un détachement de soldats républicains l’exécutera, en pleine Guerre civile espagnole.
Lors de mes nombreux séjours à Ibiza, j’ai rencontré la maman de mon loueur qui était très âgée, c’était dans les années 1992. Elle nous racontait souvent sa rencontre avec un français qui lui avait appris des comptines enfantines française et elle nous chantait « frère Jacques » . C’est homme fût retrouvé mort par « lynchage » sur la plage de Calla Saint Vicente » dans le nord de l’île. J’ai toujours pensé qu’elle avait croisé ce Villain.