Thomas Midgley, le génie tué par ses propres inventions

Thomas Midgley, le génie tué par ses propres inventions - Cultea

Devant un parterre de journalistes, le provocateur Thomas Midgley se verse sur les mains le produit pour lequel on l’incrimine. Quelques années plus tard, il regrettera ce geste.

Genèse et formation de Thomas Midgley

Midgley étudie la chimie à la Betts Academy de Stamford, avant de rejoindre l’université de Cornell dans l’état de New York pour des études de mécanique. Passionné, il se balade toujours avec un tableau périodique des éléments sur lui. Il a 25 ans lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Le laboratoire dans lequel il travaille va alors être réquisitionné pour mettre au point des carburants pour avion. Thomas Midgley planche donc sur l’amélioration du kérosène afin de perfectionner les performances des avions de combat. Au bout de divers tests, il parvient à améliorer le taux de compression des moteurs grâce à du cyclohexane. Le carburant créé est cependant éminemment toxique et fumant. Le mélange ne sera finalement pas utilisé, la guerre s’achevant peu après.

Une invention bien utile…

Au début du XXe siècle, il fallait tourner une manivelle à l’avant des voitures pour les démarrer. En plus d’être pénible, ce système était potentiellement dangereux. Certaines personnes se sont blessées gravement ou mortellement à cause de celui-ci. Le fondateur de Cadillac, dont un proche ami est décédé de cette manière, décide alors de créer une voiture sans manivelle. Plus puissante et dotée d’un démarreur électrique, la Cadillac 1912 sort peu après. L’inventeur du démarreur, Charles Kettering, remarque cependant que la voiture est très bruyante et que la combustion trop puissante du moteur l’endommage. Il fait recruter une flopée d’ingénieurs pour s’atteler à ce problème, et notamment une équipe travaillant sur le carburant. C’est ainsi que Midgley intègre General Motors, qui a depuis peu racheté Cadillac.

L’ancien élève de Stamford commence les recherches. Son but est de trouver un additif à l’essence pour pallier le problème des nouveaux moteurs. En testant différents produits, il trouve plusieurs antidétonants intéressants : l’iode, l’azote, le phosphore ou l’arsenic, mais aucun ne rivalise avec le plomb. Le plomb est en effet très efficace et peu cher. Il présente cependant la particularité d’être hautement toxique, à l’instar du carburant pour avions développé quelques années auparavant. Mais Midgley s’en accommode très bien, sachant pertinemment que sa trouvaille le rendra millionnaire.

… mais très dangereuse

Thomas Midgley le sait : il vient de créer un carburant performant, mais dangereux. Il pose un brevet sur son invention, le plomb tétraéthyle, et publie des papiers pour lui donner du crédit. Les écuries des coureurs des 500 Miles d’Indianapolis, course automobile légendaire, commencent à utiliser ce produit. En 1923, les trois pilotes sur le podium utilisent le carburant de Midgley. Kettering et lui créent leur propre entreprise, la Ethyl Gasoline Corporation, dont General Motors et Exxon (distributeur de pétrole américain) deviennent actionnaires principaux. À l’automne 1924, cinq personnes travaillant dans l’usine décèdent au lancement de la production de masse de l’additif ; sept autres seront diagnostiquées avec un empoisonnement au plomb. C’est après cet événement tragique que Midgley se lave les mains avec son produit devant la presse. Lors de cette entrevue, il déclare même :

« Je ne cours aucun risque. Et je ne courrais aucun risque même si je faisais ça tous les jours. »

L’année suivante, il écrit même un article pour dédouaner son produit, expliquant par ailleurs que les avantages qu’il présentait étaient largement supérieurs aux risques encourus. Selon son article, le plomb est effectivement un poison lent. Cependant, il explique qu’un bon médecin peut déceler un empoisonnement avant même qu’il représente un réel danger. Malgré les inquiétudes de dizaines de chercheurs à propos des conséquences du plomb pour la santé publique, la production ne s’arrête pas. Alors que Benjamin Franklin avertissait déjà au XVIIIe siècle sur la toxicité du plomb, que des scientifiques de Yale, Harvard et du « American Health Service » envoient des courriers à Midgley, celui-ci ne réagit pas.

Logo de l'Ethyl Gasoline Corporation - Cultea
Logo de l’Ethyl Gasoline Corporation

Conséquences

En 1950, le monde entier ajoute du plomb à son essence. Tous les conducteurs participent à la pollution de l’air mondial en conduisant leur véhicule personnel.

Les conséquences du plomb sur la santé sont très graves. Il cause des problèmes osseux et des lésions cérébrales, durcit les artères et intoxique le sang. Les lésions au cerveau causent la perte de QI et seraient même à l’origine d’une augmentation de la violence mondiale. Une corrélation entre le niveau de plomb dans le sang et le taux de criminalité a été mesurée aux États-Unis mais aussi au Canada, en Grande-Bretagne et en Australie. Une étude sur des personnes arrêtées par la police montre que leur taux de plomb est quatre fois supérieur à la moyenne dans une même zone géographique. Les scientifiques attribuent par ailleurs trois quarts des malformations à la naissance au niveau de plomb dans le sang des parents. 50% des Américains en ont un taux trop élevé dans leur corps.

Cette intoxication serait responsable de 250 000 décès par an liés à une maladie cardio-vasculaire aux États-Unis. Sur la période des 100 ans d’existence du produit et en élargissant à la population mondiale, le tétraéthyle de plomb serait responsable de 100 millions de morts depuis sa création.

Thomas Midgley, victime de ses inventions

Midgley tombe gravement malade en 1940. Il contracte la polio et montre des symptômes d’intoxication au plomb. Pour pouvoir se redresser dans son lit, il invente un système de câbles et de poulies. À 55 ans, il décède des suites d’un étranglement à cause de l’un de ces câbles. Tout au long de sa vie, il aura amassé les médailles et les prix d’honneur, en ayant participé plus que n’importe qui au monde à la pollution atmosphérique.

L’additif plombé sera présent dans toutes les stations-services de la terre jusqu’en 1986. Cette année-là, le Japon l’interdit. Suivent le Brésil, le Canada, la Suède au cours des années 90. En France, le produit ne sera interdit totalement qu’en l’an 2000. Sa production et son utilisation ne seront définitivement arrêtés qu’en 2021 après l’interdiction en Algérie, après avoir assurément empoisonné et tué des millions de personnes dans le monde.

 

Sources :

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