« Moi président », « Ils sont dans les campagnes » : les débats de l’entre-deux-tours de 1974 à aujourd’hui

Romain Lesourd
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Il s’agit de l’un des moments les plus attendus par ceux qui suivent la politique, ou même ceux qui souhaitent en découvrir davantage : le débat de l’entre-deux-tours. Cette année, comme il y a 5 ans, ce débat opposera Emmanuel Macron (LREM) à Marine Le Pen (RN). C’est l’occasion pour nous de revenir sur l’intégralité des débats présidentiels qui ont eu lieu depuis 1974.

Le débat de l’entre-deux-tours : une idée à l’américaine

Avant 1974, les débats de l’entre-deux-tours n’existaient pas. Il faut dire que les élections présidentielles étaient quelque peu différentes de celles d’aujourd’hui.

Avant 1962, le président de la République est élu par un collège électoral. Ce dernier se composait de députés et de sénateurs, de conseillers généraux… Ledit collège était composé d’environ 80 000 électeurs.

Après l’adoption de la révision constitutionnelle de 1962 par référendum (62 % pour), le président est élu au suffrage universel. Toute personne majeure peut désormais choisir le candidat de son choix. Mais lorsque deux candidats se retrouvaient face à face au second tour, ils ne débattaient pas entre eux.

Ce sont deux journalistes qui ont mis le débat de l’entre-deux-tours en place : Michel Bassi et Alain Duhamel. Tous deux se sont inspirés des élections présidentielles américaines, qui opposent deux candidats appartenant à deux camps distincts (Républicains et Démocrates). Le gagnant devient le nouveau président.

Pour la première fois dans l’histoire des élections présidentielles françaises, le débat de l’entre-deux-tours est mis en place le 10 mai 1974. Il oppose alors François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing.

10 mai 1974 : un candidat qui « n’a pas le monopole du cœur »

Ce premier débat de l’entre-deux-tours, comme nous l’avons dit, oppose François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing.

Les sujets du débat se concentrent essentiellement sur la politique étrangère, les institutions, mais aussi sur les libertés, ainsi que sur la politique économique et sociale. Et on peut dire que Valéry Giscard d’Estaing, qui occupait alors la fonction de ministre de l’Économie et des Finances, n’est pas tendre avec son adversaire.

Il pose plusieurs questions à François Mitterrand, lui demande comment il souhaite gouverner avec les communistes. Il fait même référence à la ville de Clermont-Ferrand, en la qualifiant ainsi :

 « Une ville qui vous connaît bien et qui me connaît bien. »

On apprendra plus tard que Clermont-Ferrand est en réalité la ville d’origine d’Anne Pingeot, la maîtresse du candidat socialiste.

Pour finir, Valéry Giscard d’Estaing qualifiera François Mitterrand d’un « homme qui n’a pas le monopole du cœur ».

Valéry Giscard d’Estaing remportera l’élection présidentielle avec 50,81 % des suffrages.

5 mai 1981 : « Le retour du socialiste »

Les Français ont comme une impression de déjà-vu. Le débat de l’entre-deux-tours suivant oppose François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing. Une nouvelle fois. On jurerait qu’il s’agit de la suite d’un film à succès. Deux rivaux qui se retrouvent à nouveau pour en découdre davantage.

Cette fois, les thèmes abordés ne sont pas les mêmes qu’en 1974. Sur la table, les candidats répondent aux questions des journalistes qui portent sur les problèmes de politique intérieure, sur la vie quotidienne des Français et sur la vie économique. Puis, viennent les questions de politique extérieure.

François Mitterrand ne souhaitait d’abord pas se retrouver une nouvelle fois face à celui qui l’avait complètement humilié publiquement. Il avait même demandé à ne pas débattre. Mais finalement, il a eu raison de le faire, car cette fois-ci, les rôles s’étaient inversés. Valéry Giscard d’Estaing n’était plus le juge, il était l’accusé. François Mitterrand n’était plus sur la défense, il avait opté pour l’offensive. Il n’a pas hésité à user des mêmes armes que Valéry Giscard d’Estaing avait utilisées contre lui, sept ans auparavant.

Deux moments ont été majoritairement retenus au cours de ce débat. François Mitterrand voyant Valéry Giscard d’Estaing comme un homme qui vit dans le passé :

« Vous avez tendance à reprendre le refrain d’il y a sept ans : l’homme du passé. C’est quand même ennuyeux que, dans l’intervalle, vous soyez devenu, vous, l’homme du passif. »

Et le second moment symbolise bien l’inversement des rôles :

« D’abord, je n’aime pas beaucoup ces manières, je ne suis pas votre élève et vous n’êtes pas le président de la République ici, vous êtes simplement mon contradicteur. »

L’homme, qui avait été humilié, a finalement pris sa revanche. François Mitterrand remportera l’élection présidentielle à 51,76 %. Valéry Giscard d’Estaing se retirera en faisant ses adieux. De ces derniers naîtra une phrase, désormais connue de tous.

28 avril 1988 : l’élève souhaite dépasser le maître

Lors de ce débat, on retrouve François Mitterrand, alors président de la République et Jacques Chirac, son Premier ministre.

Quatre thèmes sont mis en avant pour ce débat : la politique intérieure et les institutions, l’Europe, les problèmes de société et la politique étrangère, ainsi que la défense.

Si l’ambiance du débat pouvait se résumer en un seul mot, ce serait celui-ci : palpable. Dès le début du débat, le Premier ministre Jacques Chirac souhaite mettre les choses au clair. Il n’y a pas de président ou de ministre au sein de ce débat. Il n’y a que deux candidats à la fonction présidentielle. Ses propos rappellent d’ailleurs ceux tenus par François Mitterrand contre Valéry Giscard d’Estaing en 1981.

Le débat se poursuit et les tensions entre les deux hommes ne disparaissent pas. Finalement, François Mitterrand remportera l’élection présidentielle pour la seconde fois, avec un score de 54,02 %.

2 mai 1995 : la cordialité au rendez-vous

Jacques Chirac se retrouve opposé à Lionel Jospin, candidat socialiste. Ce dernier avait créé la surprise au premier tour. En effet, il était arrivé premier avec 23,3 % des suffrages, devançant alors Jacques Chirac à 20,8 %.

Les sujets abordés au cours de ce débat sont : les questions politiques, sociales, internationales et européennes et les problèmes de société.

Toutefois, le débat n’est pas électrique. Au contraire, il s’inscrit dans le registre de la courtoisie. Même hors débat, les candidats parviennent à s’entendre.

Jacques Chirac et Lionel Jospin ne se lancent aucune pique. Les deux candidats se respectent. Le ton est posé, et parfois même timide, selon les politologues et journalistes de l’époque. On retiendra cependant la petite phrase de Lionel Jospin, au sujet de la réforme constitutionnelle quant à la durée du mandat présidentiel :

« Il vaut mieux cinq ans avec Jospin que sept ans avec Jacques Chirac. Ce serait bien long. »

Une phrase qui fera rire Jacques Chirac, qui ne la juge pas outrageante. Jacques Chirac deviendra le président de la République après ce débat, après avoir récolté 52,64 % des suffrages.

2002 : Jacques Chirac refuse le débat face à Jean-Marie Le Pen

À la surprise générale, Jean-Marie Le Pen, candidat du Front National, accède au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002. Les Français attendent alors un débat des plus violents entre le président sortant, Jacques Chirac, et Jean-Marie Le Pen. Mais le débat n’aura pas lieu.

Jugeant que le débat serait contre-productif sur le plan politique et ne souhaitant pas participer à un spectacle médiatique, Jacques Chirac refuse de participer au débat de l’entre-deux-tours. Certains pensent qu’il refuse le débat par peur de la prestance et de l’éloquence du candidat et président du Front National.

Jean-Marie Le Pen, de son côté, traite le président de la République de « lâche ». Il juge la situation scandaleuse, du fait qu’il ne peut pas débattre avec le président de la République. Une première depuis 1974.

2 mai 2007 : « Here come new challengers ! »

Pour ce débat, aucun président sortant n’est présent du fait que le mandat présidentiel ne peut être renouvelé plus de deux fois. Ce sont donc deux nouveaux visages que l’on voit pour ce débat de l’entre-deux-tours.

D’un côté, Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP. Il a récolté 31,18 % des suffrages lors du premier tour. De l’autre, Ségolène Royal, candidate du PS. Elle a récolté 25,87 % des suffrages lors du premier tour.

Le débat a pour sujets les points suivants : la conception du pouvoir et les institutions, les problèmes économiques et sociaux, les problèmes de société, ainsi que les relations à l’échelle internationale.

Le ton entre les deux candidats se trouve être particulièrement vif. Si Nicolas Sarkozy s’exprime avec calme, Ségolène Royal montre par moments son agacement. Un agacement qui n’a pas échappé à l’œil attentif du spectateur.

Nicolas Sarkozy, par ailleurs, n’a pas hésité à utiliser l’agacement de la candidate socialiste pour en faire une arme, afin de la décrédibiliser lors du débat :

« Pour être président de la République, il faut être calme. Il ne faut pas perdre ses nerfs. »

Le candidat de l’UMP deviendra le nouveau président de la République, après avoir récolté 53,06 % des suffrages.

2 mai 2012 : « Moi, président de la République… »

Pour ce débat, l’UMP et le PS se retrouve pour une nouvelle confrontation. Cette fois-ci, Nicolas Sarkozy ne se retrouve pas face à Ségolène Royal, mais face à François Hollande.

Point intéressant, les deux candidats se connaissent très bien. Ils ont déjà débattu ensemble auparavant, à quatre reprises. La dernière fois qu’ils s’étaient retrouvés face à face, c’était en 2005, au sujet du référendum de la Constitution européenne.

Pour ce débat, le nombre de sujets est nettement plus élevé que lors des précédents débats d’entre-deux-tours. Sur la table sont proposés : l’économie, le pouvoir d’achat, la crise de la dette, l’immigration, le nucléaire, la fonction présidentielle et, enfin, la politique étrangère.

Le fait le plus marquant de ce débat est la déclaration de François Hollande. Cette dernière s’apparente à la présentation personnelle que l’on fait lors d’un entretien. À quinze reprises, le candidat du PS commencera sa phrase avec les fameux mots : « Moi, président de la République ».

Finalement, celui qui présentait, de manière intense, ses objectifs en tant que candidat à la fonction présidentielle, remporte l’élection. François Hollande récolte 51,64 % après avoir débattu pendant près de 3 heures, faisant de ce débat de l’entre-deux-tours le plus long de la Ve République.

3 mai 2017 : le pire débat de l’entre-deux-tours sous la Ve République ?

Le dernier débat de l’entre-deux-tours auquel les Français et Françaises ont pu assister opposait Emmanuel Macron à Marine Le Pen.

Le débat commence par une vive attaque de la candidate du Front National à l’égard du candidat de la République en Marche.

Si ce débat présentait des thématiques importantes, comme la retraite, la sécurité ou encore les relations internationales, on ne retient majoritairement de ce débat que les erreurs de Marine Le Pen quant à ses informations.

Le débat se caractérise également par des phrases choc, reprises ensuite par les internautes pour en faire des mêmes sur Internet.

Pour les électeurs, le débat n’a pas servi à grand-chose, puisqu’il ressemblait davantage à un règlement de comptes qu’à un véritable débat d’entre-deux-tours. Un avis partagé par le média allemand Die Welt, qui qualifie le débat Macron – Le Pen de pire débat télévisé de l’histoire de la Ve République.

Emmanuel Macron devient le président avec une victoire nette de 66,10 % contre 33,90 % pour Marine Le Pen. Un véritable plébiscite.

Les deux candidats de 2017 se retrouveront à nouveau face à face ce soir. Ce débat sera-t-il différent du précédent ? Ou le schéma sera-t-il le même ? La réponse dans quelques heures.

 

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