Il existe une grande histoire d’amour entre l’entreprise auvergnate de pneus Michelin et l’aviation. Si le développement de l’aéronautique fait partie intégrante de l’histoire économico-industrielle de la France, le lien avec Bibendum est moins flagrant. Laissez-nous donc vous conter cette belle histoire d’amour entre un fabricant de pneus et la conquête du ciel.
Petit historique de la société
La firme Michelin & Cie fut fondée en mai 1889 par deux frères : Édouard et André Michelin. Au départ, l’entreprise fabrique des tuyaux et des courroies de frein pour charrettes. Au bord de la faillite, les deux frères proposent un nouveau produit : un patin de frein en caoutchouc. Modèle breveté, il relance alors l’intérêt pour l’industrie du caoutchouc.
Du cyclisme et des pneus
Quelques années plus tard, les frangins viennent en aide à un cycliste anglais dont le pneu est cassé. Ils découvrent à cette occasion cette invention de l’écossais John Dunlop. L’intérêt qu’y porte Édouard est alors immense. Il salue l’ingéniosité de rouler sur de l’air, mais constate le temps beaucoup trop long que nécessite la réparation. Ainsi, il imagine une solution. Le 18 juin 1891, il dépose un brevet pour un pneu de bicyclette démontable en moins d’un quart d’heure ! La même année, un grand cycliste gagne la prestigieuse course Paris-Brest-Paris sur un vélo monté en pneus Michelin. Un petit engouement se crée alors autour de la marque. Ce qui est nouveau ici, c’est que la chambre à air se démonte de « l’ensemble roue ».
Intéressés par la course, autant en tant qu’événement culturel que comme moyen de promotion, les deux frères se lancent dans l’organisation. En effet, en juin 1892, ils organisent une course cycliste Paris-Clermont-Ferrand. De plus, sans prévenir les concurrents, Édouard Michelin fait semer des clous sur le parcours afin de démontrer la rapidité de changement de ses pneus. En conséquence, le chiffre d’affaires explose et les pneus s’exportent à l’étranger.
La suite
La suite, vous la connaissez. L’automobile se développe dans le monde, Michelin est aux premières loges pour développer des pneus sur-mesure à chaque étape, etc. Si la réputation de Michelin dans le pneu fait encore aujourd’hui autorité, Bibendum ne s’est pas limité à ce domaine. En effet, les deux frangins ont eu très tôt une passion pour l’aéronautique…
Michelin a soutenu le développement de l’aviation en France
Le 5 juillet 1896, André Michelin effectue son baptême de l’air à bord d’un ballon sphérique. Il est conquis. En 1898, il rejoint l’Aéro-Club de France, bien que n’étant pas pilote. Dès 1903, il ne cache pas sa vision pour l’avenir de l’aéronautique :
« L’aéronautique est une industrie pleine d’avenir, aussi bien au point de vue de la vie civile qu’au point de vue de la guerre. »
Alors même que, pour beaucoup, il ne s’agit là que de travaux expérimentaux, les deux frères voient déjà le grand avenir industriel et économique de ce nouveau véhicule. Il s’agit d’ailleurs d’un point de vue novateur qui n’est pas partagé par l’armée… Qu’à cela ne tienne, ils mèneront une longue campagne de communication qui durera jusqu’à l’avènement de la guerre.
Une campagne politique
La campagne se traduit dans un premier temps par de nombreux événements pour promouvoir le « sport aérien ». Il s’agit alors de courses d’endurance sur lesquelles nous reviendrons. À noter que Michelin fournit des pièces lors de ces événements, mais que cela ne représente qu’un gain financier très marginal. La véritable campagne va être politique.
En effet, voyant le gouvernement faire la sourde oreille, les frères décident de crier plus fort. En mars 1911, André Michelin demande à l’État une enveloppe de 100 millions de francs pour fabriquer 5 000 avions et former 5 000 pilotes. Quelques jours plus tard, lors du carnaval de Nice, Michelin se fait remarquer. Les spectateurs peuvent admirer un char avec un avion dessus auquel il manque les ailes. Bibendum, le pilote, porte une pancarte stipulant que la fabrication des ailes n’a pu se faire, faute de moyens. Toujours la même année, Michelin fait imprimer et distribuer des cartes postales montrant des avions de combat bombardant des tranchées ou des bateaux.
Le 7 décembre 1911, André publie une lettre ouverte dans laquelle il accuse le gouvernement de ne pas offrir les moyens nécessaires à l’aéronautique. Il fait appel aux Français pour financer l’industrie. Certains donnent alors de leur poche.
En février 1912, Michelin imprime un million d’exemplaires d’un tract où figure « Notre avenir est dans l’air ». Ils demandent alors la même chose qu’en 1911, mais avec en plus des terrains et des hangars. Dans la foulée est organisée une manifestation à la Sorbonne en faveur de l’aéronautique. Les groupes présents ce jour-là fondent le Comité national d’aviation militaire. André Michelin annonce que son entreprise fournira un chèque de 100 000 francs pour créer des bourses d’apprentissage et permettre à des jeunes gens plus démunis de devenir aviateurs.
Conclusion : l’État cède. Le 29 mars 1912, une loi passe, dotant le ministère de la Guerre d’une Direction de l’Aéronautique. Des moyens sont alloués et plusieurs escadrilles sont construites.
Michelin organisa des compétitions sportives d’aviation
En reprenant l’idée développée avec le cyclisme, Michelin décide d’organiser des compétitions aéronautiques. Il s’agit là de faire progresser la technologie, mais aussi de faire de la publicité ! Michelin dirige et sponsorise le spectacle, et ce dernier ravit le public qui veut alors voir plus d’engins volants. Grâce à ce tour, Michelin devient l’égérie du Progrès. Ainsi, le 6 mars 1908, les frères Michelin créent le Prix Spécial Michelin et la Coupe Michelin.
Le Prix Spécial Michelin
Le Prix Spécial récompense le pilote qui, accompagné d’un partenaire, aura réalisé un parcours précis. Il faut en effet partir du département de la Seine, survoler l’arc de Triomphe puis aller jusqu’en Auvergne pour survoler la cathédrale de Clermont avant de se poser sur le Puy-de-Dôme. Le tout, en moins de six heures. Le pilote qui y parvient se voit alors gratifié de 100 000 francs. On pense alors l’exploit impossible. Nombreux sont ceux qui tentent, mais personne n’y parvient. Cependant, un beau jour de mars 1911, Eugène Renaux y parvient.
La Coupe Michelin
La Coupe Michelin récompense de 15 000 francs par an le pilote qui, avant le 31 décembre à minuit, aura couvert la plus grande distance durant l’année. Pour ajouter du piquant, la distance déclarée pour se voir gagnant doit être d’au moins le double du précédent vainqueur.
Prix de l’Aéro-Cible Michelin
Créée en 1911, il s’agit d’une épreuve de lancement de projectiles qui a lieu quatre fois dans l’année. Le défi se déroule en deux temps. Le premier, pour un prix de 50 000 francs, consiste à lancer dans une cible de 20 m de diamètre, en un seul passage à au moins 200 m d’altitude, le maximum de projectiles (obus de 7 kg chacun). Dans le second temps à 25 000 francs de prix, même chose, sauf que l’altitude de vol minimale est à 800 m et que la taille de la cible fait désormais 120×40 m (en forme de hangar à zeppelins).
Ce défi permettra de prouver que l’aviation n’a pas qu’un rôle de reconnaissance, mais bien d’offensive.
Michelin fabriqua des avions
Dans les faits, Michelin ne travaille que les pneus. Ils en font des grands, des petits, et surtout, pour à peu près tout. En revanche, leurs ingénieurs sont redoutables et particulièrement polyvalents. Ainsi, durant une courte période certes, des avions sortirent des usines Michelin. En effet, malgré leur lobbying, les frères Michelin ne réussirent pas à susciter le plein intérêt du gouvernement. Plus particulièrement, les hauts gradés âgés de l’armée firent preuve de scepticisme. Lorsque débute la Grande Guerre, le gouvernement de Raymond Poincaré ne dispose que de 120 appareils. En face, les Allemands en ont près de 200…
Ainsi, dès le mois d’août 1914, une partie des usines Michelin fabrique des avions. Ceux-ci sont réalisés sous licence Breguet. Mais Bibendum ne s’arrête pas en si bon chemin. L’idée de fabriquer des bombardiers est plus concrète que jamais. À ce propos, déjà en 1911, les deux frères exposaient :
« On discute beaucoup la question de savoir si l’aéroplane militaire est un simple organe de reconnaissance, ou s’il peut devenir, à brève échéance, un engin de guerre terrible. Peut-il rendre impraticables les ponts, les nœuds de chemin de fer, couper en deux la mobilisation d’une nation, annihiler une forteresse, faire sauter un cuirassé ? […] Peut-être faire plus encore : détruire les arsenaux, les centres d’approvisionnement, les poudrières de l’ennemi et rendre ainsi inutiles ses canons et ses fusils ? »
Les frères Michelin au président de l’Aéro-Club de France, 22 août 1911
Des bombardiers et leurs pilotes
Des fuselages d’avion Breguet, conçus pour emporter 400 kg d’obus, sont construits dans les usines de Clermont-Ferrand. Ils sont montés avec des moteurs Renault de 200 chevaux et reposent sur des pneus Michelin. Le modèle ne cessera d’évoluer au cours du conflit. En quatre ans de guerre, Michelin aura sorti d’usine près de 300 avions de première génération et 1 584 avions de dernière génération. Plus de 342 000 bombes à larguer auront également été produites dans le bassin clermontois…
Non content d’avoir autant participé à l’effort de guerre, Michelin a créé une école de bombardement dans sa proche banlieue. En plus de former les pilotes, cela permet à l’entreprise de développer un lance-bombe et un système de visée adapté. Ces derniers seront montés en série à partir de 1916. Le 24 octobre, la Commission de l’Armée reconnaît officiellement l’intérêt stratégique majeur des bombardements aériens.
Michelin inventa la piste d’atterrissage
Durant la Première Guerre mondiale, la conversion d’une partie des usines en fabrique d’avions de combat fait de Michelin un fournisseur militaire. Mais avant de livrer ses produits, il fallait les tester. Dès 1915, on décide qu’il faut une piste digne de ce nom autour de Clermont-Ferrand. Celle utilisée au préalable se situait alors trop près des nouvelles usines d’armement. Ainsi, Michelin et l’État réquisitionnent des terrains du côté d’Aulnat (2 km de Clermont) en 1916.
Le problème est que la piste est constituée de terre et d’herbe et que le terrain a tendance à se gorger facilement par temps pluvieux. Alors, Michelin proposa de cimenter une longue piste qui servirait pour le décollage/atterrissage. De plus, de petits canaux viendraient rejoindre cette piste directement depuis les hangars. Il s’agit là d’une première mondiale, la piste d’atterrissage moderne est née ! En 1920 est créé l’Aéro-Club d’Auvergne qui reprend la piste à son compte. Aujourd’hui, il s’agit de l’aéroport d’Auvergne de Clermont-Ferrand.
Ainsi, Michelin a grandement influencé le développement de l’aéronautique en France. Aujourd’hui, Airbus et Dassault sont les fleurons technologiques de la France dans le monde entier. Notre savoir-faire quant à l’aviation est respecté partout jusqu’en Chine. Merci Bibendum d’avoir ouvert les yeux du gouvernement il y a maintenant plus de cent ans quant à l’importance pour l’homme de savoir voler.
Sources :
- Michelin et l’aviation : du sport à l’armement de guerre (2/2) – BCU Clermont
- Et Michelin inventa la piste d’aviation – Ouest-France
- Aulnat, première piste d’aviation en dur au monde en 1916 – La Montagne
- CHAMPEAUX Antoine, « Michelin et l’aviation de bombardement 1911-1916 », Paris, Economica, 1997
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