Elles sont nombreuses les répliques provenant de la plume de Michel Audiard devenues cultes. Retour sur un prodige du verbe, qui aura pondu bon nombre de scénarios dont les Français se souviennent encore.
Amour du mot, mais pas de projets dans le cinéma
Jean Gabin, Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Annie Girardot, Philippe Serrault. Ils sont nombreux les acteurs à avoir joué les phrases mises sur papier par Michel Audiard. Un homme qui maîtrise l’argot comme personne, fait preuve d’un humour moqueur et jongle avec les métaphores poétiques. Il maîtrise l’écriture, tout simplement.
Michel Audiard naît le 15 mai 1920 dans le 14ème arrondissement de la capitale. Il ne connaît pas son père et connaîtra très peu sa mère, qui l’abandonne très tôt. Il est alors récupéré par son parrain, employé aux PTT.
D’un caractère rebelle, il ne fait pas grand-chose à l’école, à l’exception d’un cours : celui de français ! Durant les cours, il se forge une culture littéraire. Il lit Proust ou bien Rimbaud ; Céline est une révélation pour lui, très grand fan de Voyage au bout de la nuit.
Cependant, le jeune Michel ne décide pas de faire de la maîtrise de la langue son métier. Il passe un CAP de soudeur. À défaut de manier les mots, il manie le chalumeau. Grâce à un ami, il obtient un boulot d’apprenti-opticien. Il caresse même l’espoir un jour de devenir cycliste professionnel. Compte-tenu de ses difficultés à monter les côtes, il abandonne.
La Seconde Guerre mondiale passe et, à la fin de cette dernière, Audiard est vendeur de journaux. Il bifurque vers le journalisme, mais fait très vite scandale. Au chaud, dans son bar parisien, ce dernier invente de toutes pièces une série d’articles sur la Chine. Il prétend avoir recueilli des confidences, que personne n’a, du président chinois Tchang Kai-chek. Ça ne manque pas, Michel Audiard se fait tirer les oreilles et est exfiltré vers la rubrique cinéma.
Rencontre avec André Hunebelle
Journaliste, il couvre un tournage. Et c’est sur un tournage qu’il rencontre quelqu’un qui fera basculer sa vie. Il se lie d’amitié avec André Hunebelle, un cinéaste débutant. Hunebelle est séduit par l’aisance et le vocabulaire de Michel Audiard. Le jeune réalisateur lui commande le scénario d’un film noir. Cette décision va changer la vie du titi parisien.
Le film s’intitule Mission à Tanger, et le tout nouveau scénariste en herbe rend son scénario. Les producteurs trouvent le tout un peu trop relevé. Audiard est obligé de revoir son scénario, et il le fait sans rechigner. Grâce à ce scénario, Audiard est adopté dans la famille du cinéma. Il retrouvera André Hunebelle sur 5 autres films, dont l’adaptation des Trois Mousquetaires (1953).
Son ami Jean Gabin
Dans la foulée, il travaille pour Jouvet ou Bourvil. Il se teste dans le comique avec Poisson d’avril. Sombre ou marrant, le dialoguiste démontre qu’il peut écrire sur tout. Cependant, on dit très vite de lui qu’il préfère les mots à l’histoire. Il préfère de loin retaper un script déjà fait. Il peut alors y incorporer son ton, sa gouaille.
« Michel n’était pas très fort pour écrire un scénario, et ça, il le savait. En fait, tout le monde le savait. » – Henri Verneuil, réalisateur, à propos de Michel Audiard
Son beau-frère, Jean-Paul Guibert, est producteur et lui permet de rejoindre un film réalisé par Gilles Grangier. L’acteur vedette du métrage est l’immense Jean Gabin. Pour le film, Michel Audiard écrit une scène. Pour qu’elle soit acceptée, il faut qu’elle soit validée par Gabin. Une grosse pression pour le jeune dialoguiste.
Quand Gabin lit la scène, il dit au réalisateur à propos de Michel Audiard : « C’est un cadeau, ton mec ». Le début d’une grande amitié entre les deux poids lourds du cinéma français.
« Gabin est l’acteur le plus respectueux du texte que j’ai jamais connu. » – Michel Audiard
Dans aucune autre bouche du 7ème art français, les mots d’Audiard paraissaient plus naturels. Le dialoguiste dit se servir de ses conversations de bistrot ou de taxi pour écrire ses scénarios. Il avoue aussi que les mots de Jean Gabin ont une grande influence dessus.
Ce sont ses associations avec Gabin qui permettent au dialoguiste d’avoir son nom sur l’affiche et de recevoir un salaire très convenable. Des dialogues et scénarios qui ne plaisent pas à tous, et surtout pas à François Truffaut. Le réalisateur dira :
« Les dialogues de Michel Audiard dépassent en vulgarité ce qu’on peut écrire de plus bas dans le genre. Ce n’est pas un dialogue naïf ou faussement littéraire, mais cynique et roublard. Il prouve, de la part de Michel Audiard, un triple mépris du cinéma, des personnages du film et du public en général. » – François Truffaut, dans Arts en 1957
La consécration : Les Tontons flingueurs
Le 27 novembre 1963 sort un film qui attirera plus de 3.3 millions de personnes dans les salles obscures. Ce film, c’est Les Tontons flingueurs ! Les dialogues ne sont pas vulgaires, ils sont pour beaucoup poétiques. Poétiques à leur manière, d’une manière populaire.
« Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus : j’dynamite, j’disperse, j’ventile ! » – Les Tontons flingueurs
Les longs-métrages dont Audiard écrit les scénarios ont le don de faire rêver les spectateurs. Il fantasme la France, met en scène des truands qui se mettent des « bourre-pifs », s’embrouillent élégamment, puis se rabibochent autour d’un verre. Les mots fusent et un tempo propre aux films d’Audiard est facilement reconnaissable. Certaines répliques, et en particulier des Tontons flingueurs, sont devenues cultes instantanément.
Le film est porté par des Lino Ventura, Francis Blanche, Bernard Blier et Jean Lefebvre au sommet de leur art. Et il n’est pas rare de les retrouver à la télévision depuis maintenant presque 70 ans. Le film était sa première collaboration avec le réalisateur Georges Lautner. Et pas la dernière ! Les deux travailleront conjointement sur 13 autres films, dont Les Barbouzes ou La Cage aux folles 3. Ce dernier est d’ailleurs l’ultime scénario d’Audiard, qui mourra le 28 juillet 1985.
« Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît. » – Les Tontons flingueurs
Le Parisien s’essayera plus tard à la réalisation. Neuf films qui ne seront pas des réussites. Audiard est bien meilleur en dialoguiste, derrière le réalisateur. Bien meilleur pour le choix des mots justes que pour le choix d’un cadre.
Sources :
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