Après des années de galère, des années à se battre contre les producteurs et contre lui-même, Francis Ford Coppola vient enfin de sortir son film testamentaire : Megalopolis. Marqué par des décennies de développement et de difficultés, Megalopolis est sans doute le film le plus attendu et le plus mystérieux de la carrière de Coppola. Porté par un casting totalement dingue, notamment emmené par Adam Driver, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf ou encore Nathalie Emmanuel, le long-métrage sort ce mercredi 25 septembre dans les salles françaises.
Megalopolis : une genèse difficile
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est bon ton de revenir sur la genèse chaotique du projet. Une façon d’aborder, avec une vision d’ensemble, un projet fleuve, de longue date, pratiquement testamentaire, pour l’un des cinéastes les plus influents de la deuxième partie du XXème siècle. L’idée de Megalopolis remonte aux années 1980. À cette époque, Coppola est au sommet de sa carrière, auréolé des succès de films comme Le Parrain (1972) et Apocalypse Now (1979). Il est alors désireux de mettre en scène un film épique sur notre société contemporaine. Une odyssée moderne sur l’urbanisme, la science, la technologie et l’utopie.
Mais le thème majeur de son œuvre, c’est la renaissance d’une nation. La reconstruction d’un monde détruit par les catastrophes, influencé par les penseurs utopistes, l’architecture et la démocratie. Une société idéale en somme. Le tournage de Megalopolis devait initialement débuter au début des années 2000.
À ce moment, Coppola veut dépeindre une société étique, moderne, en plein bouleversement. Il avait même commencé à tourner des plans de New York. Mais les attentats du 11 septembre 2001 viennent profondément changer la donne. Un événement qui pousse Coppola à se remettre en question et à repenser ses propres fondements d’une société utopique. Surtout, la sortie d’un tel film, avec ces thématiques, risquait d’être mal perçue étant donné le contexte de l’époque.
Pendant les vingt années qui ont suivi, Coppola a tenté de relancer le projet Megalopolis. Mais les obstacles financiers se sont accumulés. Les studios ne faisaient plus confiance à Francis Ford Coppola, qui auto-finance de plus en plus ses projets du XXIème siècle. Malheureusement pour lui, Tetro (2009) et Twixt (2011) sont des échecs critiques et financiers.
Au début des années 2020, Coppola décide alors de financer lui-même Megalopolis avec sa propre fortune. A ce stade, il vend une grande partie de ses actions, de ses biens, de ses propriétés, et réunit un budget estimé à 100 millions de dollars… Mais alors, que vaut ce projet d’une vie ?
Une esthétique hors du temps
Difficile de décomposer Megalopolis en quelques paragraphes. Avec Megalopolis, Francis Ford Coppola veut changer le monde, en tout cas son monde, et dans une moindre mesure, notre vision de la société. Ses thématiques, ses personnages, s’efforcent de dire que notre civilisation est enfermée dans les mêmes systèmes malades, que les nations s’entêtent à répéter les mêmes schémas, à cause desquels nous ne sortirons jamais des inégalités qui nous surplombent. Modèle sociétal figé, Megalopolis est censé nous apporter LA réponse, presque le sens de la vie, en tout cas celui d’une société. Un pari osé. Un défi que seul Coppola pouvait relever ?
Coppola plonge alors ses spectateurs dans une relecture audacieuse de New York. Une ville presque devenue fictive, qui emprunte autant au passé, qu’au futur. Les sociétés romaines, grecques, la révolution industrielle, le néo-futurisme… Tous ces styles sont convoqués dans cette fresque qui ne craint jamais de partir dans tous les sens. C’est sans doute pour cette raison que l’esthétique de Megalopolis est si unique, si hors du temps.
À la fois porté par un lissage digne d’une publicité Dior, et par des éléments visuels totalement kitch qui rappellent presque Sin City, Coppola veut mélanger présent, futur et passé. Le cinéaste est en roue libre totale et ne fait aucun compromis sur son parti-pris esthétique. C’est beau, désuet, excessif, ostentatoire, créatif, souvent artificiel mais toujours extrêmement généreux. Et on ne va pas s’en plaindre. On se retrouve ainsi dans une immense pièce de théâtre à ciel ouvert, dont les éléments techniques vont parfois lorgner du côté du cinéma de Christopher Nolan.
Le film d’un mégalomane ?
Film testamentaire ? Megalopolis l’est sans aucun doute. Et ce, pour le meilleur et pour le pire. Avec Megalopolis, Francis Ford Coppola met toute son âme, tout son cœur, toutes ses idées avortées, tous ses désirs inassouvis. Il propose une œuvre fleuve, un film monde, dans lequel il semble recycler tous les pans de sa carrière qu’il n’a pas pu développer par le passé. Quitte à parfois offrir un fourre-tout boulimique difficile à décortiquer, et surtout à digérer.
À force de vouloir parler de tout, Coppola se perd dans les propres méandres de sa thèse, et ne raconte finalement plus grand-chose. À vouloir être trop poétique, lyrique et romantique, Megalopolis est souvent naïf, crédule et simplet. En fait, Coppola en fait des caisses. Ses dialogues kitch, sa mise en scène complaisante, son symbolisme à l’orgueil, son onirisme de carte postale, font de Megalopolis un film qui se prend en permanence les pieds dans le tapis. Et à l’image de ses personnages qui courent dans tous les sens, qui brassent de l’air, on perd parfois l’objectif de tout ceci…
Le cinéaste américain cherche à proposer une approche décousue, où le mystère enchanteur doit rester mettre de l’intrigue. Mais le spectateur aurait gagné à avoir quelques clés supplémentaires. À commencer par ce nouveau matériau secret que détient le personnage d’Adam Driver. Sorte d’objet magique, il n’est jamais correctement introduit, jamais expliqué, jamais défini, ce qui devient rapidement un vecteur de flemme scénaristique. Un justificatif à tout. Une poussière de fée géniale qui comble tous les trous scénaristiques de l’intrigue. Et pourtant, c’est censé être le cœur du propos.
Surtout, Megalopolis est souvent un égo-trip assumé. Megalopolis est une ode à Francis Ford Coppola, à tel point que le nouveau-né de ce nouveau monde utopique se prénomme Francis. Adam Driver est évidemment son double, son pantin, la représentation qu’il a de lui-même. À savoir celle d’un génie incompris, souvent rabaissé par ses pairs, par le Maire incarné par Giancarlo Esposito (représentation sans doute des producteurs), qui détient un pouvoir sacré (sans doute celui de conteur). Son matériau secret étant évidemment sa caméra. Les parallèles sont légions, rarement subtils, et donnent une image totalement égomaniaque du cinéaste.
Œuvre narcissique, Megalopolis est aussi paradoxalement une proposition froide, souvent désincarnée, presque comme si elle était réservée à une forme d’élite, d’intellectuels vaniteux. Coppola prône une société plus équitable, plus juste, plus ouverte, mais semble nous avouer que le seul moyen d’y parvenir est de passer par la mégalomanie, par la suffisance et l’orgueil. Comme si cette utopie n’était réservée qu’à une classe sociale hautaine, totalement déconnectée de la réalité. Peut-être un peu comme son auteur de 90 ans…
Bien souvent, la théorie prend donc le pas sur l’émotion, sur l’humain. A tel point que les 2h20 de métrage sont parfois laborieuses. Et que la somnolence est à deux doigts de remplacer cette belle utopie. Il n’empêche que cela faisait plus de dix ans que nous n’avions pas retrouvé Francis Ford Coppola. Et même si Megalopolis est loin d’être parfait et est largement autocentré, ça fait plaisir de retrouver ce grand nom du cinéma américain.
On sent que Coppola a mis toute son énergie dans ce projet. Jamais opportuniste, le film se livre tel quel, sans masque, sans carapace, de la manière la plus pure possible. Et c’est en toute logique que la thématique du temps est également au centre du projet. À la manière de Tenet, Coppola joue avec le temps qui passe, avec ses traumas, ses affres, ses regrets, mais aussi l’espoir qu’il partage. Coppola étudie alors le temps comme matière, comme élément concret. Comme, peut-être, une allégorie de son cinéma lui-même. Comme si Coppola, par le bras d’Adam Driver, avait une prise sur le temps, sur l’éternité, sur le septième art. Aujourd’hui, et à jamais.
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