Aujourd’hui omniprésentes, les loot box sont une gangrène pour le monde du jeu vidéo. Comment est-on passé de simples petits objets pas si utiles dans des jeux de smartphone à une machine à pognon sous-estimée par les consommateurs, mais bien lucrative pour les développeurs ? Revenons ensemble sur l’histoire de ces « coffres mystères ».
Les apports du réseau sur les consoles de jeux
À l’origine, lorsqu’un éditeur commercialisait son jeu en magasin, il n’avait plus l’occasion de le retoucher. Puis, dans les années 70, les développeurs se sont intéressés aux réseaux. L’idée était qu’il serait possible de faire cohabiter dans une partie plusieurs joueurs se trouvant dans des lieux différents. Avec le développement de l’outil Internet, c’est un nouvel horizon qui s’ouvrait alors.
Quake en 1996 devient un classique du multijoueur et nombreux sont les joueurs PC à se shooter en ligne. Côté console, c’est avec la Dreamcast de SEGA en 1998 que le « online » débarque. En 2002, l’argument de vente principal de la Xbox est son interface pour jouer en ligne. De plus, avec le lancement du cultissime Halo, la console fait la promotion de son système de chat vocal.
Ainsi, les premières utilisations d’Internet sur une console de jeux avaient pour but de connecter les gens de par le monde pour qu’ils jouent ensemble. Une première intention plutôt louable.
De bonnes intentions gâchées
Par la suite, avec les progrès sur les lecteurs CD/Blu-ray et les disques durs, les consoles se sont dotées d’une fonction de mise à jour des jeux. Ainsi, les développeurs peuvent désormais corriger des bugs qui auraient échappé à l’œil des testeurs professionnels.
Encore une fois, il s’agit d’un progrès intéressant, permettant de rectifier le tir après la commercialisation. Certains jeux des années 80 auraient ainsi pu être sauvés de l’échec commercial si les mises à jour avaient été possibles.
Les industriels ont quand même trouvé le moyen de gâcher un peu le tableau. En effet, aujourd’hui, la mise à jour (pour un jeu solo) est souvent synonyme de correction de bugs majeurs. Se sachant protégés par ce filet de sécurité, les investisseurs n’hésitent pas à mettre la pression sur les studios de développement pour commercialiser des jeux non finis. Cela aboutit notamment à des événements tragiques comme la sortie de Cyberpunk 2077… À noter que l’éditeur Electronic Arts s’est spécialisé dans la matière avec le pauvre projet Anthem, qui n’aura pas droit à une fin digne.
Une omniprésence des « loot box »
Dernière spécialité en date : les loot box. Conséquence malheureuse du développement de l’utilisation d’Internet sur consoles, les loot box sont partout. Il n’aura donc pas fallu beaucoup de temps aux investisseurs pour découvrir que, si le jeu est connecté en permanence, on peut totalement effectuer des transactions financières dedans. Le principe des loot box est donc simple :
Il s’agit objet virtuel, généralement présenté sous forme de coffre, contenant un ou plusieurs objets virtuels, offrant au joueur des améliorations dans le jeu, pouvant aller de la simple personnalisation d’un personnage, à l’acquisition de nouvelles fonctionnalités. Cette loot box peut être gratuite ou payante. Dans ce dernier cas, elle fait partie de la stratégie commerciale des éditeurs de jeux vidéo, leur permettant, via une somme modique généralement, de faire payer aux joueurs des évolutions qui leur auraient demandé des heures de jeu en temps normal.
Il s’agit donc d’un contenu que l’on achète, souvent via une transaction réelle, et qui ne donne aucune garantie. Si certains y voient un point commun avec un jeu à gratter, ils ont totalement raison. Ces jeux d’argent sont certes légaux dans beaucoup de pays, mais soumis à une limite d’âge. Un individu de moins de 18 ans ne peut par exemple pas s’offrir un jeu de hasard. Mais qu’en est-il dans un jeu vidéo ? Comment contrôler efficacement l’âge du joueur ?
En Europe, le système PEGI appose un âge conseillé sur la boîte du jeu. Mais ce n’est là qu’un âge « conseillé », dans les faits rarement respecté. Qui n’a pas joué à un Call Of Duty lorsqu’il était au collège, alors que la boîte arbore un logo 18+ ? Le problème ici est que l’on rentre dans une spirale d’addiction à la consommation. Une addiction qui pourrait commencer plus tôt qu’auparavant.
Des chiffres inquiétants
Fin 2020, l’organisation Gambling Health Alliance a mené une étude sérieuse sur le rapport des joueurs aux loot box. Les constats dressés sont inquiétants. Déjà, sur l’échantillon interrogé, un joueur sur quatre avait dépensé plus de 110 € en contenu aléatoire. Problème plus important, les jeunes joueurs ont du mal à calculer sur le long terme.
Ainsi, lorsqu’ils dépensent régulièrement dans des loot box, ils ne voient que la dépense en cours ou encore la dernière en date. Là où est le piège, c’est qu’ils sont incapables de réaliser combien ils ont dépensé au total ! 31 % des sondés en sont incapables…
Sur le panel des 600 interrogés, 23 % des 11-16 ans ont reconnu avoir dépensé de l’argent dans des loot box. Cette statistique est cependant à prendre avec des pincettes ! Un 11-16 ans n’a normalement pas accès à une carte bleue. Ainsi, la statistique est manifestement plus basse que la réalité, puisqu’il s’agit d’avouer avoir utilisé l’argent de ses parents… De plus, la statistique ne révèle pas dans combien de cas il s’agissait d’un achat connu et approuvé par les parents.
34 % des répondants avouent qu’ils ont déjà acheté une loot box avant l’âge de 13 ans, puisqu’il n’y a pas de limitation d’âge. De plus, un joueur sur dix déclare avoir dépensé entre 12 et 22 € par semaine dans des loot box. Enfin, 13 % ont déclaré que leurs achats de loot box les avaient endettés.
On touche ici au fond du problème : l’accoutumance créée par ces microtransactions est responsable de faillites personnelles. Par leurs petits prix, ces loot box génèrent l’illusion que le joueur ne dépense pas beaucoup d’argent.
Des pays qui légifèrent
La Belgique et l’Allemagne
Début 2019, la Commission belge sur les jeux de hasard a rendu un jugement national. Ainsi, les éditeurs se sont vu interdire l’usage de loot box dans les jeux vidéo vendus sur le territoire belge. Qui était la cible principale ? Electronic Arts, bien sûr ! Après la grosse polémique lors de la sortie de Battlefront II, EA ne s’est pas découragé et a au contraire persévéré…
De plus, FIFA est dans le collimateur de tout le monde. Dans les prochains jours, le Conseil fédéral d’Allemagne doit statuer sur une nouvelle loi. Celle-ci prévoit que tous les jeux proposant ce type de microtransactions se verraient affublés du PEGI 18. FIFA se vend (trop) bien chez les plus jeunes, mais pourrait bientôt voir ses ventes un peu réduites si EA poursuit dans cette voie. Le mode Ultimate Team, où les joueurs doivent payer pour acheter des paquets où ils ont au hasard des joueurs pour composer leur équipe, est particulièrement décrié. Littéralement, tous les joueurs ont le sentiment de devoir payer pour jouer « au même niveau » que les autres.
Sachant que le jeu de base, vendu 70 € chez nous, n’est à chaque fois qu’une mise à jour des années précédentes, il s’agit de frais énormes. De plus, parce que cela n’était pas encore assez malsain, le contenu Ultimate Team n’est valable que sur la version annuelle en cours. Ce qui signifie qu’au bout d’un an, le joueur doit payer à nouveau pour se mettre au niveau sur le nouveau jeu… Electronic Arts a donc créé un cercle vicieux de la consommation.
Et en France ?
Là où le cas FIFA est malsain, c’est lorsqu’on se concentre sur ses publics cibles. En effet, le jeu, PEGI 3, s’adresse à tout le monde. Mais l’immense majorité de ses joueurs a entre 15 et 30 ans.
FIFA est un jeu particulièrement cité et représenté dans le hip-hop contemporain. C’est également un jeu très joué dans les quartiers. Ces dernières données sont importantes à prendre en compte lorsqu’on réalise le potentiel addictif de ces loot box.
Mediapart publiait il y a peu un article qui révélait que les jeunes des quartiers étaient la cible N°1 des applis de paris sportifs. Le problème, c’est que les comportements addictifs n’ont pas attendu pour pointer le bout de leur nez. Ainsi, l’addiction aux paris a conduit certains à l’endettement. Si les « victimes » sont pour la plupart majeures, il s’agirait de légiférer pour protéger les plus jeunes.
En France, la question a déjà été portée devant l’Assemblée. Ainsi, fin 2018, le député LREM de l’Ain, Stéphane Trompille, interpellait le ministre de l’Action et des Comptes publics.
Discours du 27/11/2018 :
« Ces contenus aléatoires payants sont le sujet de plusieurs polémiques. À titre d’exemple, la communauté de joueurs du jeu Star Wars Battefront 2 s’est vivement opposée à l’intégration à ce type d’achats supplémentaires dans la mesure où, selon eux, ils seraient nécessaires pour arriver au terme du jeu. Un autre exemple, la société coréenne de développement et d’édition, Nexon, a été sanctionnée par une amende de 850 000 dollars pour avoir vendu des loot box sans informer les joueurs-acheteurs que certains butins avaient un taux de drop très réduit. […]
Ainsi, ces diverses polémiques ont suscité l’intérêt des législateurs en Europe. En effet, la commission britannique sur le jeu d’argent a affirmé dans son rapport Young people and gambling 2018 que de plus en plus d’enfants se retrouveraient à « parier » de l’argent dans les jeux vidéo (sur les douze derniers mois, 39 % des 11-16 ans auraient dépensé leur argent personnel dans ce type d’achats). Également, la Belgique et les Pays-Bas ont instauré une législation visant à réguler le principe des loot box. En France, la réglementation des loot box est à l’étude. L’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) a suggéré de collaborer avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCRF) pour porter une évolution législative sur le sujet. Néanmoins, l’industrie du jeu vidéo demeure hostile à une telle intervention des autorités publiques et prône l’autorégulation de l’industrie elle-même et des joueurs. […]
Il lui demande ainsi la position du Gouvernement sur l’éventuelle évolution législative à venir sur les loot box. »
Le ministère avait alors répondu qu’il se penchait sérieusement sur la question. On attend encore des nouvelles. Là est le problème, comme souvent : les pratiques commerciales douteuses évoluent plus vite que les législations.
La décision allemande est un pas en avant qui n’aura malheureusement que peu de conséquences, les parents n’étant pas souvent regardants sur ce à quoi jouent leurs enfants. En attendant, la Belgique sert d’exemple à suivre avec une interdiction pure et simple de ce genre de pratiques nauséabondes.
The Surprise Mechanics of Addiction – Loot Boxes
Sources :