Les accords d’Évian : la fin de la guerre d’Algérie

Sophie Volatier
Sophie Volatier
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Le 18 mars 1962, les accords d’Évian mettent fin à 132 ans de colonisation française et à huit ans de guerre sanglante. La guerre d’Algérie aurait fait 430 000 morts : 400 000 Algériens et 30 000 Français. Cette sombre période fut également marquée par la disparition de milliers de personnes. 

La difficile colonisation de l’Algérie

Il faut remonter au début de la colonisation de l’Algérie par la France pour comprendre la guerre d’Algérie et la portée des accords d’Évian. En 1830, la France prétexte une querelle commerciale avec le dey d’Alger pour envahir l’État d’Alger. À l’époque, l’Algérie fait partie de l’Empire ottoman. En réalité, le pays représente un enjeu colonial pour la France qui souhaite rivaliser avec l’empire colonial britannique. La conquête s’avère toutefois lente et rude. Pendant plus de dix ans, l’émir Abdelkader mène une guérilla contre les militaires français.

L’Algérie française

La IIIe République souhaite faire de l’Algérie une colonie de peuplement sur fond de « mission civilisatrice ». Des milliers d’Européens s’installent dès lors en Algérie. Les colons s’emparent des terres les plus fertiles. Le Code de l’indigénat (1887) assigne les Algériens à une position inférieure à celle des Français. De plus, pour accéder à la nationalité française, les Algériens doivent renoncer à la religion musulmane. La plupart des enfants algériens ne vont pas à l’école. Seuls quelques Européens, comme l’anthropologue Germaine Tillion, s’intéressent vraiment à ce pays et sa nation.

Dans les années 1930, des voix en faveur de l’égalité entre Français et Algériens commencent à s’élever. Ferhat Abbas, un pharmacien algérien qui a fait ses études en France, est l’un des plus ardents défenseurs de l’assimilation. L’arrivée au pouvoir du Front populaire en 1936 constitue un espoir pour Ferhat Abbas et les partisans de l’égalité. Bien que modeste, le projet Blum-Viollette souhaite accorder l’égalité à 24 000 des 6 millions de musulmans qui vivent en Algérie. Fermement opposés à l’égalité, les colons font toutefois échouer le projet.

Tous les Algériens ne soutiennent toutefois pas l’assimilation et l’égalité. Après l’échec du projet Blum-Viollette, Messali Hadj, père fondateur du nationalisme algérien, fonde le Parti du peuple algérien (PPA) qui connaît très vite un vif succès.

Les accords d'Évian : la fin de la guerre d'Algérie
Ferhat Abbas (source : Wikipédia).

Les prémices de la guerre d’Algérie

La Seconde Guerre mondiale change la donne. En 1943, Ferhat Abbas rédige le Manifeste du peuple algérien dans lequel il prône la création d’une république algérienne associée à la France. Le général de Gaulle, alors à la tête de la Résistance à Alger, ne mesure pas l’ampleur des revendications algériennes.

Défendu avec ferveur par les États-Unis, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est inscrit dans la Charte des Nations Unies de 1945. La fin de la guerre instaure une nouvelle ère mondiale. Les anciennes puissances coloniales accordent l’indépendance à de nombreuses colonies.

En 1945, plusieurs membres du PPA sont arrêtés. Messali Hadj est lui-même contraint à l’exil. La même année, la célébration de la victoire des alliés à Sétif vire au massacre. Pendant la fête, un drapeau algérien est brandi, un officier français fait feu sur la foule. L’événement entraîne des soulèvements nationalistes sans précédent. Les insurrections s’étendent à la région de Guelma. Les historiens estiment que la répression par l’armée française a fait entre 8 000 et 20 000 morts. Les massacres de Sétif et de Guelma marquent la montée du nationalisme algérien.

La guerre d’Algérie

  • 23 octobre 1954 : fondation du Front de libération nationale (FLN)

L’objectif des fondateurs du FLN est clair : créer un « État algérien démocratique et populaire ». Le 1er novembre 1954, le FLN invite le peuple algérien à se joindre à la « lutte nationale ». Le FLN commet 30 attentats principalement dans des casernes de gendarmerie. Pierre Mendès France, alors président du Conseil, et François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, proposent des réformes économiques inédites pour l’Algérie. Le gouvernement est toutefois renversé.

  • Massacre d’août 1955 à Philippeville

Les indépendantistes prennent les armes et sont réprimés dans le sang par l’armée française. Ces massacres, qui touchent toute la région de Philippeville, marquent le début du déferlement de la violence à l’égard des civils au cours de la guerre d’Algérie.

  • 12 mars 1956

L’Assemblée nationale vote les « pouvoirs spéciaux » à l’armée française en Algérie. La France envoie plus de 200 000 soldats supplémentaires. L’utilisation de la torture par l’armée française se généralise.

  • 13 mai 1958

Des partisans de l’Algérie française envahissent le gouvernement français d’Alger. Le 1er juin, le général De Gaulle, plébiscité par les Français d’Algérie, est investi président du Conseil.

  • 4 juin 1958

Le général de Gaulle se rend à Alger où il prononce son fameux discours ambigu commençant par « Je vous ai compris ! ». Les partisans de l’Algérie française pensent que le général les soutient. Il est élu président de la République le 21 décembre 1958 après le vote de la nouvelle Constitution.

Vers l’indépendance et les accords d’Évian

  • 16 septembre 1959 

Désormais élu président de la République, le général de Gaulle propose un « projet d’autodétermination » de l’Algérie.

  • 8 janvier 1961 : référendum sur l’autodétermination de l’Algérie 

Les électeurs de France et d’Algérie sont appelés aux urnes. L’autodétermination est ainsi approuvée par 75 % des votants.

  •  24 janvier – 1er février 1960 : semaine des « barricades » à Alger 

Des partisans de l’Algérie française se soulèvent pour rejeter le référendum et le départ du général Massu, figure des défenseurs de l’Algérie française, pour la métropole.

  • 11 février 1961 : création de l’Organisation armée secrète (OAS)

Après l’échec de la semaine des « barricades », des activistes, ensuite rejoints par des généraux, comme le général Salan, créent l’OAS à Madrid, une organisation politico-militaire proche de l’extrême-droite. L’OAS s’attaque aux soutiens de l’indépendance de l’Algérie en commettant des attentats.

  • 22 avril 1961 : putsch des généraux 

Les généraux Challe, Zeller, Jouhaud et Salan prennent le contrôle du gouvernement français d’Alger en réaction au référendum sur l’autodétermination de l’Algérie.

  • Mai-juin 1961 

Les premières négociations entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), dirigé par Ferhat Abbas, ont lieu à Évian et en Suisse. Elles se soldent finalement par un échec.

  • Massacre du 17 octobre 1961

À l’appel du FLN, des Algériens se réunissent un peu partout dans Paris pour manifester pacifiquement. La police fait feu. Au moins 120 personnes trouvent la mort. À l’occasion des quarante ans du massacre, le 17 octobre 2021, Emmanuel Macron s’est rendu sur les lieux et a reconnu la responsabilité de l’État français.

  • Mars 1962 

La deuxième session de négociations entre le gouvernement français et le GPRA aboutit à un accord sur l’indépendance de l’Algérie : les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 par les deux parties. Le 26 mars 1962, l’armée française fait feu sur des manifestants en faveur de l’Algérie française rue d’Isly. Emmanuel Macron a récemment reconnu que la fusillade était « impardonnable pour la République ».

Les accords d'Évian : la fin de la guerre d'Algérie
Charles de Gaulle (source : La Manche Libre).

Après les accords d’Évian, l’enjeu de la « réconciliation mémorielle »

Quarante ans après les accords d’Evian toutefois, les relations entre les deux pays restent tendues. Des zones d’ombre persistent. Ces derniers temps, l’expression « réconciliation mémorielle » a fait son apparition dans les médias. En 2020, Benjamin Stora, historien spécialiste de l’Algérie, a remis à Emmanuel Macron un rapport sur la colonisation et sur la guerre. Le président français a dès lors pris un certain nombre de mesures pour réconcilier les différentes camps. À la fin de l’années 2021, 18 descendants de militaires français, de harkis et de militants du FLN ont remis au président un autre rapport intitulé Regards de la jeune génération sur les mémoires franco-algériennes.

Le président français a par exemple reconnu que l’armée française avait assassiné deux indépendantistes : Maurice Audin, un mathématicien français, et Ali Boumendjel, un avocat nationaliste algérien. L’Assemblée nationale a en outre adopté un projet de loi pour demander « pardon » aux harkis.

Il y a quelques mois, le ministère de la Culture a annoncé l’ouverture avec quinze ans d’avance des archives judiciaires de la guerre d’Algérie, jusque-là classées « secret défense ». Elles contiennent notamment des informations sur l’OAS. Les archives judiciaires permettront aux historiens d’avoir accès à de nouvelles sources et d’enrichir l’historiographie de de la guerre d’Algérie.

Les accords d’Évian mettent ainsi fin à huit ans de guerre sanglante. Depuis, la guerre d’Algérie reste parfois encore source de malentendus, de tabous. La question de la mémoire de cette guerre reste toutefois un enjeu majeur des relations entre les deux pays.

Sources : 

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