Il y a peu de chances pour que son nom vous soit familier… Pourtant, Habib Benglia fut le premier comédien noir à connaître la célébrité en France, s’imposant comme une figure incontournable de la vie culturelle parisienne. Un véritable exploit, dans une société où les préjugés racistes avaient une sacrée place.
Habib Benglia est né le 25 août 1895 à Oran, qui fait alors encore partie de l’Algérie française. Fils de caravaniers du Soudan français (actuel Mali), Habib vécut toute son enfance à Tombouctou. Lui et sa famille arrivèrent par la suite en France, afin de livrer des dromadaires au Jardin d’acclimatation, à l’occasion de l’exposition coloniale de 1912, intitulée « les Nègres ». Suite à cet événement, le jeune homme décida de rester en France. Commença alors pour lui une carrière au théâtre, à partir de 1913.
Habib Benglia : prodige des planches et du cinéma
Dès 1913, Habib commence à monter sur scène. Malheureusement, sa carrière est rapidement interrompue par la Première Guerre mondiale, où il fut mobilisé comme tirailleur. Suite à cela, il reprit sa carrière et intégra la compagnie de théâtre de Firmin Gémier (qui devient d’ailleurs directeur du Théâtre de l’Odéon en 1922).
A la fois acteur de talent mais également danseur, Habib Benglia enchaîne les rôles, jusqu’à devenir lui-même premier rôle dans de grandes pièces. L’acteur en vint même à interpréter de grandes pièces du théâtre classique, telles que Le Bourgeois gentilhomme de Molière ou bien Le Marchand de Venise de Shakespeare.
Ainsi, Habib obtint une véritable reconnaissance, aussi bien de la part du public que des critiques. Un phénomène accentué par l’intérêt émergeant pour les arts venus d’Afrique, ou pour des personnalités considérées comme « exotiques » telles que Joséphine Baker. Malheureusement, cet engouement pour Habib Benglia fut également marqué par un profond rejet, motivé par le racisme, plus ou moins assumé, dans diverses critiques notamment.
Une critique parfois enjouée… Mais souvent raciste
Qu’importe son talent, Habib fut systématiquement renvoyé à sa couleur de peau. Ainsi, certaines revues le traitèrent comme une curiosité :
« Les lecteurs de la Revue Française connaissent-ils M. Habib Benglia ? C’est un nègre magnifique en train de conquérir le premier plan des préoccupations scéniques […] M. Benglia, simple figurant, fit sensation par la beauté de son corps brut, sa démarche de tigre, un mélange très noble de souplesse, de force, d’intelligence et de bestialité. »
La Revue française politique et littéraire (1924)
D’autres articles démontrèrent une plus grande réticence de la part de la critique, refusant qu’un homme noir puisse jouer certains rôles dits « classiques ». C’est notamment le cas concernant sa performance dans Le Loup de Gubbio :
« Je ne parviens pas à admettre M. Benglia, le danseur-comédien noir qui joue Ciacco. Je ne méconnais ni le réel talent, ni même l’habileté dramatique de cet artiste que des communiqués inconsidérés bombardent « grand tragédien » […] Mais il n’est pas le personnage. »
Comoedia (1924)
Enfin, d’autres auteurs se montrèrent encore plus explicitement racistes à l’égard du comédien. C’est notamment le cas d’Henri-René Lenormand, qui évoqua le rôle de Benglia dans la pièce A l’ombre du mal en ces termes :
« M. Benglia vint se trémousser, se mettre en transes comme un qui n’a pas chaud, tandis que de rauques vociférations partaient du plafond, d’où le beau tragédien noir était descendu, tel un singe qui parle. »
Comoedia (1924)
Fort heureusement, certains critiques reconnurent Habib Benglia pour son talent. C’est notamment le cas dans cette critique, parlant du comédien en ces termes :
« M. Benglia, qui est notre seul acteur noir, […] a définitivement affirmé sa personnalité et fixé notre attention par la diversité et l’accumulation de ses succès […]. Le voici à l’Odéon jouant du Shakespeare, du Molière ; enfin, il fut, il y a deux mois, l’inoubliable interprète de Empereur Jones, création qui l’a définitivement classé parmi nos meilleures vedettes de l’art. »
Comoedia (1923)
Un passage par le cinéma, puis par la radio
Outre sa carrière sur les planches, Benglia put faire valoir son talent au cinéma. Ainsi, de 1925 à 1960, le comédien apparut dans plusieurs dizaines de films, courts, moyens ou longs-métrages. Cependant, sa carrière cinématographique fut principalement limitée à de petits rôles. Ce qui ne l’empêcha pas d’apparaître dans La Grande Illusion de Jean Renoir ou Les Enfants du paradis de Marcel Carné.
Suite à la Seconde Guerre mondiale, les propositions de rôles se firent plus rares pour le comédien. Toutefois, il compensa cette baisse de régime au cinéma par une carrière à la radio, qui commença en 1947 pour se terminer peu avant sa mort, en 1960.
Aujourd’hui, Habib Benglia reste comme l’un des pionniers du théâtre et du cinéma noirs en France. Malgré les préjugés de l’époque, le comédien joua dans plus d’une centaine de pièces de théâtre, plusieurs dizaines de films et enchaina une carrière de 13 années en radio. Raison pour laquelle Google lui rendit hommage dans un de ses Doodle.
Sources :
- Habib Benglia, le premier acteur noir de la scène française – RetroNews
- Habib Benglia – Wikipédia
- Habib Benglia’s 128th Birthday – Google Doodle
Infos sur Habib Benglia :
- Naissance : le 25 août 1895 à Oran, à l’époque Département d’Oran, Algérie française
- Décès : le 2 décembre 1960 (à 65 ans) à Paris, France
- Professions : acteur, danseur, animateur de radio, danseur
- Nationalité : française
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