Chocolat : le célèbre clown noir de la Belle Époque

Romain Lesourd
Romain Lesourd
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C’est l’histoire d’un esclave noir cubain, devenu star du Tout-Paris à la Belle Époque. Rafaël Padilla est sans doute une référence dans le domaine de la comédie. Surnommé « Chocolat », le pauvre homme ne souhaitait qu’être libre. Mais la vie a décidé de lui offrir la célébrité, avant de la lui reprendre de manière cruelle. Portrait de cette figure phare du monde comique.

La liberté avant tout

Rafaël Padilla est né fils d’esclaves en 1868 à Cuba. A l’époque, Cuba était une colonie espagnole, ce qui explique alors le nom donné au jeune homme. Néanmoins, son nom de famille, ainsi que le lieu et la date de sa naissance, restent inconnus.

Ses parents biologiques, eux aussi esclaves, décident de s’évader de l’enfer dans lequel ils vivaient depuis trop longtemps. Derrière eux, ils laisseront Rafaël. Une vieille Cubaine décide alors de prendre l’enfant sous son aile, même s’il s’avère que cela n’arrange pas sa situation financière. Elle décide alors de vendre Rafaël, qui avait une dizaine d’années, pour 18 onces, à un Espagnol.

Rafaël quitte alors Cuba et atterrit à Bilbao. Le jeune garçon devient garçon de ferme. Un rôle qu’il occupera pendant quatre longues années.

A l’âge de 14 ans, Rafaël ne souhaite plus dépendre de personne. Il s’enfuit donc de la ferme. Seul et sans le sou, Rafaël enchaîne les petits boulots pour vivre. Il devient alors chanteur de rue, groom, docker, et même mineur.

La vie n’était pas facile pour Rafaël. Mais au moins, il avait obtenu ce qu’il avait toujours désiré : la liberté.

L’entrée de Rafaël dans le monde comique : une étoile montante 

Alors qu’il travaillait comme docker, Rafaël fit la rencontre qui allait bouleverser sa vie. Il rencontra Tony Grice.

Tony Grice était une référence dans le monde du divertissement et du rire. Le clown, impressionné par la force brute du jeune Rafaël, ainsi que par sa capacité à danser, décide alors de l’engager.

Désormais, Rafaël côtoyait le monde du cirque. Au début, il était simplement le domestique de Tony Grice. Mais, rapidement, il se fait une petite place dans les spectacles, en tant que cascadeur. Le premier succès de Rafaël serait dû à sa capacité à chevaucher une mule indomptable. Cette prouesse impressionna le public.

En 1886, le duo Grice/Rafaël arrive à Paris pour faire des représentations au sein du Nouveau Cirque de Joseph Oller. Le duo conquiert le public de notables de la capitale, dans un contexte où l’industrie des loisirs connaissait un essor plus que favorable et rapide.

De ce succès, naît alors le nom de « Chocolat » pour Rafaël. Il avait réussi à se faire une place et il faisait enfin ce qu’il aimait : divertir et faire rire.

L’apogée de Chocolat : des rires provoqués par sa maltraitance

Lorsque Rafaël joue au Nouveau Cirque, il attire l’attention d’Henri Agoust, le régisseur du bâtiment. Ce dernier voit en Chocolat un énorme potentiel pour le mime et la danse. Il décide alors de l’engager pour devenir la vedette d’une pantomime nautique. L’ascension fulgurante de Chocolat commence.

Rafaël connait un franc succès. Et il va surfer sur cette vague pour mettre en place son propre numéro solo : ce dernier s’intitule La noce de Chocolat. Puis, il participe pendant plusieurs années à de multiples représentations avec de grands artistes, comme les clowns Pierantoni, Saltamontes et Geronimo Medrano, dit Boum Boum.

Grâce à cette notoriété, Rafaël trouva la femme de sa vie, qui avait 2 enfants. Rafaël élèvera ces enfants comme les siens, pour en faire des artistes de cirque eux aussi.

Puis, le Nouveau Cirque proposa un nouveau duo. Il s’agit du duo Foottit/Chocolat. Composé d’un clown blanc et d’un clown noir, ce duo fait rire les foules, particulièrement pour ses numéros qui montrent la supériorité raciale blanche.

Foottit et Chocolat - Cultea

Georges Foottit pouvait mettre autant de claques qu’il souhaitait à Rafaël, qui, par moments, ne se laissait pas faire. Mais finalement, ce n’est que la maltraitance du Cubain qui amusait les foules. Ces actions, qui seraient jugées odieuses, racistes et immorales aujourd’hui, étaient pour l’époque jugées valides, du fait du joug colonial du XIXe siècle. Chocolat passait donc pour une bête de foire.

La descente aux enfers

En 1910, le duo se sépare. Après avoir connu la gloire et le succès, Foottit et Chocolat décident de prendre des chemins différents. Aucun des deux ne retrouvera le succès. Mais l’un d’entre eux connut une vie plus difficile, voire cauchemardesque. Cet homme était Rafaël.

Désormais seul, Chocolat ne se faisait plus battre par un blanc dominateur. Les foules ne rirent donc plus. Il décida alors de s’adonner à un autre rôle : celui de divertir les enfants dans les hôpitaux. Eux ne voyaient pas un homme noir ou un homme blanc. Ils voyaient avant tout un clown.

Malgré cela, la vie de Chocolat continuait d’être un drame. On ne riait plus à ses représentations, il avait tout perdu. Et un drame arriva : la fille de sa femme meurt de la tuberculose à 19 ans.

Cette disparition affecta beaucoup Rafaël, qui sombra dans l’alcoolisme. Il finit sa vie dans la misère à 49 ans. Alors qu’il était à Bordeaux, en tournée, il meurt subitement. Chocolat, qui avait fait rire la bourgeoisie parisienne par ses malheurs, tomba dans l’oubli.

En 2016, un film qui retrace l’ascension du clown sort dans les salles. Et ce n’est autre qu’Omar Sy qui joue le rôle de Rafaël. Un bel hommage, qui montre toutefois les durs moments qu’a dû vivre Rafaël, alors qu’il ne cherchait rien d’autre que la liberté et l’acceptation des autres. 

Bande-annonce de Chocolat (2016)

 

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